Anne Perraut Soliveres,
cadre supérieur infirmier à la retraite, praticien-chercheure
C’est au retour d’un voyage à Amsterdam, organisé par le Comité d’entreprise d’un petit hôpital de province, qu’une quinzaine de soignants décidèrent de se faire un barbecue pour prolonger le plaisir de leur rencontre. Le space cake, expérimenté dans un coffee shop, serait le clou de la soirée, agrémenté d’un punch préparé par un des protagonistes, antillais. Trois « initiés » se chargèrent de préparer les cakes dans lesquels ils ajoutèrent le cannabis sans trop savoir quelles proportions étaient « raisonnables ». Le soir venu, ils s’installèrent autour du punch dans l’enceinte du parc de l’hôpital et s’attaquèrent goulument aux cakes malgré les mises en garde de ceux qui les avaient préparés, en particulier sur le risque de potentialisation avec l’alcool.
Ce soir là, je travaillais (j’étais la surveillante de nuit) et étais invitée à passer les voir lorsque mes tâches le permettraient. J’étais très occupée lorsque l’un d’entre eux me bipa pour me dire qu’il fallait que je vienne rapidement. Je déclinai ce que je pris pour une invitation à venir avant qu’il n’y ait plus rien à boire... jusqu’au deuxième appel que je pris au sérieux devant la confusion de mon interlocuteur qui m’appelait au secours du poste d’un service proche. Lorsque j’arrivai sur les lieux du « délit », je me crus transportée dans Vol au-dessus d’un nid de coucous. La moitié d’entre eux marchaient de long en large, très agités, l’un buvant de grandes gorgées d’eau, les autres vomissant tous les trois pas... Les autres étaient prostrés sur les bancs ou dans leurs voitures. Tous se plaignaient d’avoir froid. Les moins défoncés essayaient de gérer la situation, mais étaient manifestement débordés par l’ampleur du problème. Je décidai de parer au plus pressé et allai dans le service de soins le plus proche chercher des couvertures que j’installai sur les épaules des frigorifiés. Je ne savais trop quelle attitude adopter, mais compris très vite qu’il fallait les mettre à l’abri du froid et surtout les soustraire au qu’en-dira-t-on, puisque tous appartenaient au personnel de l’hôpital : aides-soignants, médecins, infirmières, cadres... Je leur proposai de les accompagner chez l’un d’entre eux qui habitait sur place et les mis en rang, leur couverture grise sur les épaules. Je les suivais, au pas, dans ma voiture de fonction. Je devais être rapidement joignable et ne pouvais prendre le risque qu’ils salissent la voiture... et surtout je n’avais pas trop envie de nettoyer les vomissures qui fusèrent tout au long de cette drôle de procession. Le passage devant la loge du concierge était le plus périlleux, mais je me chargeai de lui expliquer plus tard (ainsi qu’aux infirmières du service proche) qu’ils avaient trop bu... et qu’il valait mieux éviter de l’ébruiter. J’eus toutes les peines du monde à rassurer l’un d’entre eux (le plus âgé et plutôt accoutumé à l’ivresse...) qui voulait absolument que j’appelle le SAMU... et les installai dans l’appartement avec toutes les cuvettes et seaux que je pus trouver. Leur ayant préparé café, thé et tisanes, et conseillé de se reposer, je fis le tour de leurs voitures pour rassembler leurs sacs et leurs clés et voir si personne n’était en perdition, car d’autres personnes habitant sur place étaient allées se coucher. Lorsque je revins les voir, ils se rassuraient peu à peu grâce aux explications des consommateurs habituels de cannabis. Ils commençaient même à rire de la situation...
Contrairement à l’évidence, cette aventure qui aurait pu leur faire peur, les a littéralement transportés et ils se congratulent encore lorsqu’ils se rencontrent. Les consommateurs fument toujours et les non fumeurs sont restés sur cette expérience qu’ils ont finalement énormément appréciée. La petite chienne gourmande qui avait léché quelques vomissures est restée prostrée durant quatre jours...