Vers un « service de médecine générale »

La Maison de Santé, de par sa structure non hiérarchisée, de par son insertion dans le quartier, dans la cité, de par ses liens avec l’hôpital, participe de la disparition de l’entité « hôpital » et de son corollaire « ville ».

Bertrand Riff,
médecin généraliste, Maison Dispersée de Santé

Au moment où nous transformons la maison médicale en maison de santé, j’ai l’impression, le sentiment que ce concept, élaboré entre autres par le Syndicat de la Médecine Générale dans les années 70, est révolu.
Nous sommes en fait en train d’écrire la préfiguration des futurs services de médecine générale.

Le constat actuel
Notre maison repose sur la présence de :
— sept médecins généralistes, soit l’équivalent de cinq temps plein curatif (50 heures semaine fois cinq !), deux étudiants en SASPAS [1], trois infirmiers, deux orthophonistes, deux psychologues, cinq kinésithérapeutes, deux secrétaires, des représentants d’usagers et des usagers actifs animateurs de groupes d’auto-support. Notre maison, c’est aussi :
— le secrétariat, lieu d’accueil, de coordination et de débrouillage social,
— la permanence des soins de 8 heures à 19 heures (médecin généraliste 6 j/7 et infirmier 7j/7),
— un dossier commun informatisé,
— l’existence de staffs de concertation à l’intérieur de la maison,
— l’existence de multiples concertations avec l’extérieur (COREVIH [2], réseau Lille Addiction, réseau périnatalité « ombrel », réseau gérontologie, réseau précarité...),
— l’existence de multiples concertations avec le quartier (foyer l’escale, la PMI...).
Il nous manque la part sociale (assistante sociale, médiateur de santé, guichet accès aux soins...) que nous compensons par le travail en réseau et un secrétariat multitâches.
Ce service de médecine générale est, comme tout service de spécialité, rattaché à l’ARS [3] et en constant débat, réflexion, évaluation et consensus avec elle. Ce service n’est pas rattaché à une administration intermédiaire (hospitalière par exemple).

Vers une organisation horizontale
Aucun service ne se résume à « ses chefs » : les médecins.
Que serait une maternité où il n’y aurait que des obstétriciens, pas de sage-femme, pas de puéricultrice, pas de secrétaire ?
Un service est la conjonction d’expertises de toutes sortes, des patients aux soignants, et c’est la confrontation de ces expertises qui permet l’écriture de la médecine.
Il faut que la médecine quitte l’illusion pyramidale de l’organisation pour une réelle écriture de la démocratie sanitaire et une structuration horizontale des rapports humains.
C’est ce que nous faisons dans notre maison.
La salle de détente, lieu de repas et de réunion, est un lieu d’échanges formels et informels constants entre les professionnels, où une telle écriture s’expérimente au quotidien.

Vers une écriture de la complexité
— Nous avons une relation forte avec le service des maladies infectieuses concernant les patients porteurs du VIH : un dossier commun partagé, une permanence, deux fois par mois, d’une assistante sociale COREVIH, la présence de TEC (technicien d’étude clinique) dans la maison ; la participation tous les jeudis à la réunion de concertation pluridisciplinaire et en corollaire une primo prescription des antirétroviraux en ville ; la présence du centre LGBT (lesbien gay trans et bi) et de groupe d’auto-support au sein de la MDS. Cet ensemble fait de la MDS un élément du service des maladies infectieuses, un acteur du COREVIH, un accueil de niveau 3 (type CHU).
— Trois de nos médecins ont une longue pratique de l’accompagnement des patients en problématique addictive.
Deux de nos infirmiers se sont formés à l’accompagnement des sevrages ambulatoires en alcool et nous sommes animateurs et utilisateurs du PASBA (protocole de sevrage ambulatoire de boissons alcoolisées), comme du réseau Lille Addictions. Nous avons une pratique avancée de l’accompagnement de ces patients et nous sommes à même de fournir des prestations de deuxième, voire troisième recours dans ce domaine.
— Nous participons à un pôle d’expertise TransGenre regroupant la MDS, les associations d’usagers et d’autres spécialités médicales.
— Nous avons une pratique complète de l’orthogénie de premier recours, de l’accompagnement de toutes les contraceptions, de l’IVG médicamenteuse en ville (trois médecins), comme des entretiens de santé sexuelle.
Ce service complet, il est probable qu’aucun gynécologue de ville dans le Nord ne l’offre.
Ainsi, la MDS est à la fois un service de médecine générale, un point avancé du service des maladies infectieuses, un intervenant privilégié du réseau Lille Addictions, un partenaire du réseau périnatalité, un maillon du collectif santé trans.
En 2011, l’hôpital fait partie de la ville comme la ville de l’hôpital. L’offre de soins se dé-territorialise. Le premier recours peut s’imaginer dans un « hôpital » comme le troisième recours se trouver en maison de santé. Des jeunes formés à la MDS ouvrent une Maison de Santé dans un quartier sud de Lille, dans des locaux loués au CHRU.
La MDS, de par sa structure non hiérarchisée, de part son insertion dans le quartier, dans la cité, de par ses liens avec l’hôpital, participe de la disparition de l’entité « hôpital » et de son corollaire « ville ». Elle écrit une nouvelle offre de soins coordonnée sur un territoire.

Vers un « service universitaire de médecine générale »
Nous accueillons des internes en médecine générale (quatre à six).
Depuis six ans, nous accueillons deux remplaçants permanents que nous accompagnons deux ans maximum dans une formation postuniversitaire. Ils participent aux staffs formels comme informels. Ils accompagnent les internes de façon informelle, discussions de couloir, conseils, encouragements... La maison accueille des élèves infirmiers, orthophonistes, kinésithérapeutes, secrétaire médical... Nous sommes enseignants en médecine générale, dont un maître de conférences, enseignant en orthophonie, en psychologie et en kinésithérapie. Nous travaillons à la « masterisation » des infirmiers. Il nous faut désormais obtenir la reconnaissance de ce que nous sommes, un service universitaire de médecine générale, et revendiquer ce titre.
La Maison de Santé de Lille sud, qui est probablement une des premières maisons universitaires de médecine générale, est une première écriture de cela.

Vers une socialisation de la médecine générale
Cette façon de travailler fabrique-t-elle une socialisation de la médecine de premier recours ?
— Oui, au sens où la médecine générale est un espace socialisé. Elle a des responsabilités de santé publique. Cependant, elle reste encore insuffisamment tournée vers la composante sociale comme vers la composante santé publique.
— Non, dans l’idée qu’une socialisation entraînerait une perte de liberté de la médecine de premier recours exerçant en secteur libéral.
Dans la mesure où je travaille à la fois en secteur libéral, en hôpital général et en CHU, je sais que dans ces trois champs, les espaces d’expérimentations, de liberté existent et j’en ai régulièrement fait usage. Aucune de ces trois architectures n’est en elle-même une garantie. La liberté reste à imaginer, construire, expérimenter quel que soit le lieu... Les médecins ne sont pas plus libres selon les secteurs où ils exercent.
— Oui, au sens où nous sommes prêts à expérimenter de nouveaux modes de rémunération du premier recours comme le salariat et donc des cohabitations public/privé.


par Bertrand Riff, Pratiques N°58, juillet 2012

Documents joints


[1Stage Ambulatoire en Soins Primaires en Autonomie Supervisée.

[2Coordination régionale de lutte contre le VIH.

[3Agence régionale de santé.


Lire aussi

N°58 - juillet 2012

À propos du film documentaire : Le mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme

par Alain Quesney
Alain Quesney, pédiatre Un film documentaire de Sophie Robert disponible sur le web sur le site de l’association Autisme Sans Frontières De ma position de pédiatre ambulatoire qui s’inquiète …
N°58 - juillet 2012

Le quartier, la médecine générale, le toxicomane

par Emmanuel Pichon
Deux histoires cliniques pour étayer le rôle de « pivot » du généraliste pour rendre au patient toxicomane sa position prépondérante au travers de son histoire, de son territoire et de ses espoirs.
N°58 - juillet 2012

Apprendre à soigner

par Marion Thierry-Mieg
Comment chercher son chemin de soignant dans les dédales de la toxicomanie.
N°58 - juillet 2012

Un voyage au long cours

par Clarisse Boisseau
Comment un cabinet de généralistes s’est débrouillé pour pallier les manques de l’institution soignante dans la prise en charge des usagers de drogues.