Jacques Paul,
Cuisinier, pâtissier, dans une unité éducative de la protection judiciaire de la jeunesse
Apprendre à manger
Les jeunes de 14 à 18 ans, placés au sein de notre structure par décision de justice, sont souvent issus de milieux défavorisés. Compte tenu de leurs problématiques individuelles (rupture familiale, maltraitance, délinquance, placements divers), ils sont exclus de l’enseignement traditionnel. Ces mômes, totalement déstructurés, ont perdu (ou n’ont jamais eu) la notion d’un repas pris en commun, autour d’une table, à heures régulières. Le fait de manger en respectant un tant soit peu un régime alimentaire équilibré, ne veut rien dire pour eux.
La malbouffe fait partie de leur quotidien au point que la notion d’un repas sans ketchup et sans Coca-cola leur est profondément insupportable. Certains jeunes mangent tout et n’importe quoi, quelle que soit l’heure, largement aidés par la médiatisation de la bouffe toute prête vantée par le matraquage publicitaire des multinationales (plats préparés, sodas, boissons énergisantes, sucreries). En ce qui concerne les filles, elles sont souvent touchées par la boulimie ou l’anorexie.
En tant que responsables de l’alimentation, nous sommes contraints de réapprendre aux jeunes à se structurer et à retrouver les règles élémentaires de base pour bien s’alimenter. Cela consiste en une découverte des saveurs, des textures, des équilibres, à leur faire découvrir d’autres goûts afin de les sortir du régime patates nouilles... Quelques stratégies :
D’abord être présent à table avec eux ! Fractionner le repas (entrée, plat principal, fromage, dessert), sinon les repas sont expédiés en dix minutes.
Les inciter fermement à goûter tous les plats. Faire des choix de menus judicieux, en les sollicitant, en privilégiant les mélanges pour préserver les équilibres nutritionnels (salades composées, potages, viandes en sauce, viandes grillées, purées de légumes, poissons, laitages, fruits).
Faire accepter les principes du collectif avec la notion de partage et d’échange autour d’une table. Certains repas sont orageux, d’autres homériques et donnent la possibilité d’échanges sur les différences alimentaires et culturelles en fonction des origines de chacun.
Insister également sur les horaires et la nécessité de régularité de prise des repas : notion devenue abstraite pour des mômes qui ont souvent connu les fugues et l’errance.
C’est un travail de longue haleine, sans cesse à recommencer...
Ateliers et découverte des métiers
Il s’agit de les remotiver et les réorienter au travers d’ateliers divers pour leur faire découvrir les différentes facettes des métiers et du monde du travail avec ses réalités et ses contraintes.
Notre action se décompose en plusieurs étapes :
— Les amener à retrouver l’estime de soi et la confiance pour affronter le regard de l’autre. Être inscrit dans des ateliers est un facteur socialisant, cela impose une discipline (se lever à l’heure... respecter des horaires...)
— Se mettre en tenue et respecter les règles usuelles et les normes du travail.
— Réaliser des choses en atelier en respectant les consignes de préparation.
Plusieurs ateliers leur sont proposés : bois, mosaïque, sport (il faut qu’ils se défoulent...), jardin, culture, couture...
Dans l’atelier pâtisserie, ils sont amenés à confectionner des pâtisseries simples, mais appétissantes, qui seront dégustées par tout le monde à quatre heures. Dans l’atelier resto, ils réalisent des repas servis par d’autres jeunes à de vrais clients... Encadrés par un professionnel, ils préparent, créent, décorent et dressent les assiettes. Le fait de revêtir une veste blanche, un tablier, une chemise blanche, un nœud papillon et le petit gilet change tout ! Ce ne sont plus les mêmes.
Lors de la réalisation de buffets institutionnels (préfecture, biennales, etc.), ils assurent le service, en tenue, dans le respect des règles d’hygiène, ce qui représente un véritable défi pour ces jeunes désignés à la vindicte populaire ! Mais quelle satisfaction quand, souriants et contents d’eux, ils sont félicités officiellement par le préfet, le conseil général, les magistrats qui les ont jugés... les policiers qui les ont arrêtés... voire par la « bonne société » de la ville...