Extraits des notes de Patrick Dubreil, membre SMG de la délégation. Les échanges ont été traduits par Alexis Karacostas, psychiatre, qui a été l’un des organisateurs du voyage.
Mai 2015, une délégation de militants français, soignants pour la plupart, se rend en Grèce dans le cadre du « collectif Solidarité France-Grèce pour la santé » [1].
Rencontre au Dispensaire Médico Social de Néa Smyrni [2]
Nous sommes accueillis par cinq membres du dispensaire autour de glaces et boissons rafraîchissantes. Ce dispensaire a été créé en juin 2014 au sud-est d’Athènes, dans un quartier « qui n’est pas le plus pauvre » selon nos interlocutrices. Le collectif qui l’anime compte plus de 60 personnes. La pharmacienne prend la parole : « Au 25 janvier 2015 (jour de la victoire de Syriza), soit sept mois après l’ouverture, nous avions 200 patients venus au dispensaire, aujourd’hui en mai 2015 nous en avons 388, plein de gens arrivent ».
Une secrétaire poursuit : « A ce jour, 1 264 consultations ont été effectuées, soit en moyenne un peu plus de trois par patient ».
Le dispensaire se situe au rez-de-chaussée d’un immeuble. Il appartient à un privé. La commune (parti socialiste Pasok) est locataire et paie le loyer, mais « nous payons les charges qui sont de 350 euros/mois », selon la pharmacienne. Elle poursuit « Nous avons exigé un lieu pour le dispensaire pendant six mois en manifestant devant la mairie. Nous avons apporté à chacun des élus municipaux, un gros dossier qui comportait : 1. C’est quoi un dispensaire ; 2. Des coupures de presse ; 3. La revendication d’une couverture maladie.
Nous faisons une assemblée générale par mois, ouverte à toute la population, mais y viennent surtout les militants, volontaires, tous bénévoles. Des discussions ont eu lieu sur la place de la commune à trois reprises ou devant le dispensaire. Nous avons l’intention d’expliquer à la population ce que nous faisons, mais il y a peu de répondant de la part des gens. Nous n’avons pas suffisamment de retours, de réciprocité et certains patients n’arrivent pas à croire que les militants du dispensaire sont bénévoles ».
Paradoxalement : « Les soins effectués dans les dispensaires sont, dans l’esprit de beaucoup de patients, des soins de qualité, notamment vis-à-vis de certains soins à l’hôpital. La mobilisation existe, mais elle reste insuffisante… Nous manquons énormément de médicaments mais parfois, il nous arrive d’en donner à l’hôpital public qui en manque aussi ».
Le dispensaire fonctionne avec des dons en matériel médical et en médicaments (pharmacies, population), des collectes lors de manifestations ou lors de fêtes (Noël Pâques), un don d’un ordinateur (pour le secrétariat) et du miel (pour dire merci). Ici, certains patients viennent faire le ménage. Un travail est effectué par des artistes en situation de handicap avec, par exemple, la projection d’un film documentaire : Terres inconnues du handicap. En janvier 2015, des exilés syriens ont entamé une grève de la faim pour obtenir des papiers et des conditions de vie dignes. Ils ont été chassés d’une place par la police et sont venus établir un squat dans le quartier. Le dispensaire leur a apporté un soutien financier, alimentaire et a assuré des consultations. Certains d’entre eux ont obtenu des papiers grâce à une association de soutien juridique. Une patiente réfugiée ukrainienne fait de la cuisine dans le cadre de cette solidarité. Une troupe de théâtre amateur est venu jouer une pièce pour soutenir le dispensaire.
« Nous voulons être un dispensaire unitaire » affirme la pharmacienne. À noter qu’il existe un dispensaire qui se dit « dispensaire social de classe », très anticapitaliste et antimilitariste, qui ne fait pas partie de la coordination des dispensaires médico-sociaux, selon elle.
Un médecin endocrinologue, qui se trouvait là en raison d’une consultation, prend ensuite la parole. Il travaille dans ce dispensaire et est médecin hospitalier dans le quartier du Pirée.
« La question de la santé publique est politique et quatre niveaux existent :
- Financement du système (besoin de soins de 1er niveau et de formation de personnels).
- Administration, gestion : centralisation ou décentralisation ?
- Dynamique humaine : de quels médecins avons-nous besoin ? Combien ? Comment structurer les spécialités ? Faut-il une médecine générale de haut niveau ou plus de spécialistes ?
- Philosophie générale du système : le système est l’expérience issue de l’histoire et d’une lutte permanente par rapport au pouvoir politique. Comment rester au contact de la réalité de la population ? C’est une question de maturité sociale.
Aujourd’hui, on assiste à la mort de l’État providence en Europe et la Grèce est le « cobaye » des politiques néolibérales du « laisser-faire » et des privatisations. Il existe une destruction des systèmes de protection sociale (retraites, assurance santé), c’est une dérégulation très agressive ».
Un membre de la délégation française pose la question suivante : « Pourquoi vous êtes-vous engagées et quel sens donnez-vous à votre action ? »
La pharmacienne répond après un silence : « Principalement, les groupes solidaires, ce sont les femmes, les groupes revendicatifs, ce sont les hommes. Nous sommes dans une structure horizontale, autogérée, autonome. Ce n’est pas facile car existent des désaccords et des contradictions. C’est pourquoi je suis ici. Je ne veux pas que ce soit quelqu’un qui décide pour moi. Je veux collaborer, coopérer. Mais les Grecs sont assez égoïstes. Pour nous, c’est une évolution énorme d’arriver à lutter ensemble. Une vraie culture se développe. Un pétrissage et une reconfiguration des consciences de chacun s’opèrent. Coopération, concessions, compromis ; un équilibre dynamique se forme ».
Une secrétaire : « On est différent, on se corrige mutuellement ».
Entretien avec Patrick Dubreil, complété par Ariane Salomé Jeunesse, membres SMG de la délégation
Pourquoi aller en Grèce ?
Le « collectif Solidarité France-Grèce pour la santé » existe depuis trois ans et soutient matériellement, financièrement et politiquement les dispensaires médico-sociaux autogérés.
Ce voyage a regroupé principalement des soignants militants issus du secteur associatif, syndical et politique [3] Notre sort commun se joue actuellement dans le rapport de forces entre « Athènes » et l’union Européenne. Cela aura des répercussions politiques ailleurs. Nous voulions échanger avec celles et ceux qui ont mis en place à Athènes des nouvelles pratiques solidaires, car les Grecs ont pris de plein fouet la crise économique.
À cause de la fermeture massive de petites et moyennes entreprises, les travailleurs et leurs familles ont vu du jour au lendemain leur couverture maladie supprimée, puisque celle-ci dépend de diverses caisses liées aux branches d’entreprises. La grande majorité des chômeurs, soit 1,5 million de personnes sur 11 millions, ne touche aucune indemnité. Seulement 7 % des chômeurs touchent une allocation, qui a été baissée à 360 euros par mois et n’est versée qu’un an. De nombreuses personnes malades sont mortes prématurément faute de soins : infarctus du myocarde chez des diabétiques mal équilibrés, cancéreux n’ayant pas accès aux traitements onéreux.
Comment les dispensaires autogérés se sont-ils créés ?
Les premiers dispensaires ont été créés avant la crise économique pour venir en aide aux immigrés clandestins. Le premier a vu le jour en Crête, un des fondateurs était Andréas Xanthos, microbiologiste de métier, actuel ministre adjoint à la Santé.
Le mouvement populaire d’occupation de la place du parlement grec, en écho aux mouvements d’occupation de places au Caire, en Turquie, en Espagne… a participé à la création d’une conscience et d’une force collectives.
Comme on l’a vu pour le dispensaire de Néa Smyrni, les gens se sont réunis dans les quartiers et ont manifesté en disant qu’il n’était plus possible de continuer ainsi et pour obtenir des locaux. C’est ainsi que les dispensaires autogérés se sont mis en place. Aujourd’hui, il y en a 14 sur le grand Athènes et 39 sur toute la Grèce. La population qui les fréquente est majoritairement grecque. Dans les dispensaires d’Athènes, le fonctionnement se fait sur un mode de démocratie directe et en assemblées générales ou une personne égale une voix ce qui change beaucoup dans les prises de décision. Malgré toutes les contradictions, les paradoxes et les obstacles, ils progressent. Ils ont un fonctionnement en réseau avec un maillage territorial important grâce à la « coordination des dispensaires » que nous avons rencontrée.
Les Grecs se mobilisent aussi avec des juristes et des avocats contre les expulsions de personnes trop endettées pour payer leurs crédits bancaires. Beaucoup de jeunes couples reviennent vivre chez leurs parents, les gens dorment dans les voitures, font des squats. Il y a aussi une organisation pour l’aide vestimentaire et alimentaire avec des marchés publics directement du producteur au consommateur. Depuis huit ans, des mouvements de solidarité se sont créés autour de toutes ces questions et aussi autour de l’enseignement pour l’accès à l’université, celui-ci étant très sélectif (cours privés très chers).
Nous avons rencontré à Athènes « Solidarité pour tous », association qui facilite (et non pas coordonne, ils n’aiment pas ce mot car ils souhaitent une démocratie partant de la base) les actions locales de solidarité dans l’ensemble des secteurs concernés. Les députés de Syriza versent 20 % de leurs indemnités parlementaires à cette association.
En mai, s’est tenue à Athènes la première réunion de l’ensemble des mouvements de solidarité concernant aussi bien l’agriculture, l’éducation, que le logement et la santé.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les dispensaires ?
Les gens s’organisent pour venir en aide à ceux qui n’ont plus rien, mais aussi aux assurés sociaux qui ont encore une couverture médicale, mais n’ont plus les moyens de se payer leurs traitements. À Athènes, on voit des dispensaires se mettre en place y compris dans les quartiers les plus aisés. Les gens sont bien conscients que ce sont des structures indispensables, palliant la totale désorganisation des soins de proximité due à l’incurie des gouvernements précédents. Les dispensaires vivent des dons des Grecs et de la solidarité internationale (syndicats anglais, belges). Les trois principaux motifs de consultations sont les soins dentaires (30 %), notamment chez les jeunes, le renouvellement de médicaments dans les maladies chroniques, les soins psychologiques avec une augmentation de la prescription de psychotropes (le taux de suicide a augmenté de plus de 40 % en quatre ans).
La problématique est assez généraliste, même si les consultations sont surtout effectuées par des médecins spécialistes. Les lieux de consultation gratuite sont les dispensaires, les cabinets libéraux ou parfois les hôpitaux (médecins hospitaliers solidaires).
« La coordination des dispensaires » liste par Internet les besoins en médicaments et ceux qui sont disponibles au niveau des pharmacies autogérées ou de ville. Elle les répartit ensuite entre les dispensaires selon les besoins. Elle en a aussi adressé une liste au ministère de la Santé et attend une réponse. Tous les intervenants sont bénévoles, mais les dispensaires ne sont pas dans la charité ou la philanthropie. Comme on l’a vu à celui de Néa Smyrni, ils veulent impliquer chacun-e pour sortir de l’impuissance individuelle et avoir plus de force collective. Les dispensaires organisent aussi des mouvements de protestation auprès des ministères et des hôpitaux pour l’accès aux soins, par exemple, pour que les cancéreux aient accès aux traitements. Point important à souligner, c’est l’action des dispensaires qui a permis aux politiques de prendre conscience de la réalité catastrophique de la situation sanitaire.
Vous avez aussi été reçus à l’hôpital
Nous sommes allés dans deux hôpitaux généraux dont l’hôpital de Sotiria : le plus grand des Balkans pour les maladies respiratoires et la tuberculose.
La situation sanitaire s’aggrave. Les patients cancéreux meurent chez eux, dans la rue ou arrivent à l’hôpital avec des cancers très évolués au stade terminal. Il n’y a pas de services de soins palliatifs. Le cancer du poumon n’est plus soigné chez ceux qui n’ont pas d’assurance maladie. La tuberculose augmente de manière très importante. Et dans le même temps l’hôpital est au bord de l’effondrement en raison des problèmes de financement et du manque de matériel.
Cinq services ont été fermés. Il est question de vendre le laboratoire d’analyses au privé.
Il y a un problème d’accès aux soins même à l’hôpital public : comme les soins primaires ont été « massacrés » les gens se présentent aux urgences pour n’importe quel type de problème. Une femme médecin nous a dit avoir vu 112 patients en 12 heures de garde et faute de lits même des patients qui auraient du être hospitalisés ne le sont pas.
Un patient hospitalisé peut mettre plusieurs heures pour aller des urgences à son pavillon car il n’y a pas d’ambulance et l’hôpital s’étend sur plusieurs hectares.
Sous l’ancien gouvernement, l’administration de l’hôpital envoyait des factures très chères aux patients, par exemple 1000 euros pour un accouchement et quand les gens ne pouvaient pas payer, ils envoyaient le fisc dans les familles qui saisissait les biens au domicile.
Il n’y pas eu de vague de licenciements dans les hôpitaux mais les départs en retraite ne sont pas compensés. Les médecins nous ont dit que leurs salaires n’avaient pas été baissés mais qu’ils étaient faibles. Ils sont encore assez nombreux : pour 45 lits, 5 médecins et 10 internes mais il y a un turn-over important de patients tous les 6 jours. Les médecins font énormément de consultations et aussi de gardes aux urgences.
Il n’y a pas de médecine du travail à l’hôpital, ni de techniciens de sécurité, pas de moyens pour évaluer la fréquence et l’évolution des pathologies.
A l’hôpital on nous a parlé du rôle fondamental des dispensaires et un médecin nous a dit qu’ils étaient dans un pays en état d’occupation avec des privations.
Avez-vous eu d’autres éclairages sur le système médico social ?
Pratiquement toutes les structures publiques où il y avait des médecins salariés ont été supprimées, en particulier au niveau de la petite enfance, un peu comme en France en ce moment. C’est un coup terrible contre lequel les gens n’ont pas pu se mobiliser.
Pour ce qui est des médecins libéraux, la rencontre avec un généraliste au dispensaire du Pirée n’a pas pu se faire : il y a apparemment peu de généralistes en Grèce comparativement au nombre de spécialistes.
Il y a aussi des cliniques privées mais elles sont inaccessibles pour la majorité de la population, même pour ceux ayant une couverture sociale.
Au niveau du secteur psychiatrique : les personnes qui ont une pathologie psychiatrique sont laissés dans la rue, faute de structures de soins psy en ville qui ont été fermées, le plus grand des 8 hôpitaux psychiatriques de Grèce, l’hôpital de Daphni à Athènes, que nous avons visité, est menacé de fermeture et son personnel qui avant, réclamait la fermeture de lits hospitaliers pour une plus grande ouverture sur la ville, se bat maintenant pour le maintien de l’hôpital…
Il y a aussi des cliniques privées psychiatriques « familiales » très chères ; une psychiatre qui y a travaillé nous disait qu’ils faisaient de la contention de malades. Son témoignage était éloquent, ce sont des mouroirs à malades qui font payer très cher le prix de journée aux patients
Par ailleurs il y a une émigration importante de soignants : plus de 20 000 soignants ont quitté la Grèce ces dernières années (hospitaliers, libéraux) pour vivre à l’étranger et gagner plus.
Les syndicats :
En Grèce les syndicats sont très affiliés aux partis politiques et en même temps dans EKA qui est l’interprofessionnelle des syndicats du secteur privé, il y a des représentants des différents courants politiques.
EKA demande d’augmenter le salaire minimum à 750 euros par mois, de rétablir les conventions collectives de manière obligatoire dans tous les secteurs et notamment la couverture assurance maladie.
EKA a été aussi obligé, même si ce n’est pas son objet initial et que ses ressources sont faibles, de faire l’aide sociale, en particulier du soutien juridique par rapport aux problèmes d’endettement avec l’aide bénévole des syndiqués EKA des banques. Chaque année, 1 million de personnes sur 11 millions d’habitants vient voir EKA.
EKA a des contacts avec « Solidarité pour tous », avec les mouvements de consommateurs ils ont un bureau pour le droit des immigrés et aussi un contact ancien avec les palestiniens.( en savoir plus ?)
Et vos rencontres au ministère de la santé et avec les députés ?
Je n’y étais pas à la rencontre avec les députés puisque ce soir là avec Ariane nous sommes allés à 5 personnes de la délégation au dispensaire d’Halandri, de création récente (mars 2015), où une réception était organisée spécialement pour nous, avec l’accueil de l’ensemble des volontaires militants et le du maire du quartier.
Présents à la rencontre avec le ministère
Le ministère a du pallier à l’urgence : le gouvernement Syriza a pris la décision essentielle de créer des cartes d’accès aux soins hospitaliers, ils ont supprimé le forfait de 5 euros et mis en place un accès gratuit aux vaccins
Nous avons posé la question au ministre adjoint à la santé, Andréas Xanthos, sur leur réflexion au niveau d’une prise en charge globale de la santé, sur la santé et l’environnement et la santé au travail. Le ministre a répondu qu’il y avait un gros problème au niveau des accidents de travail avec une mortalité importante, c’est une des priorités du gouvernement de remettre à flot la médecine du travail notamment par les conventions collectives dans les entreprises qui ont été supprimées par les gouvernements précédents.
Il y a aussi un enjeu crucial au niveau de la fixation des prix des médicaments le ministre adjoint Andréas Xanthos nous a bien dit qu’Athènes ne voulait pas forcément nationaliser l’industrie pharmaceutique mais pouvoir produire des génériques à bas prix : cela pose la question des brevets . Le ministre adjoint a fait un appel à la solidarité entre les peuples et les forces de gauche pour que les forces politiques de gauche se mobilisent collectivement sur la question de la fixation des prix , la question des brevets
L’idée est aussi de créer une assurance maladie universelle qui ne dépende plus du marché de l’emploi.
L’avenir dépend beaucoup du bras de fer du gouvernement grec avec l’Union Européenne.
Les députés nous ont dit qu’un mouvement fort de solidarité européenne était important pour les aider à forcer la main à leur gouvernement et aussi pour faire pression sur nos propres gouvernements : rien n’est joué c’est cette année que la Grèce doit rembourser le maximum d’argent à l’ex-troïka (en dizaines de milliards d’euros). Et une grande partie de cette dette est illégale, illégitime ou odieuse selon les propres termes d’Eric Toussaint.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans ce voyage ?
Patrick :
D’abord un accueil extrêmement chaleureux, des sourires, des collations servies généreusement, mais aussi des visages graves et tendus en raison de la réalité vécue. On sent un engagement politique très fort. L’organisation des dispensaires se fait horizontalement à partir de la population et de façon démocratique. En dépit de la gravité des conséquences de la crise, les gens qu’on a rencontrés disent qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’agir à la fois sur le plan humanitaire, mais aussi sur le plan politique en revendiquant de tourner le dos à l’austérité et en exigeant du gouvernement grec qu’il assume ses responsabilités en matière sociale et de soins. Il y a une remise en cause de tout le système économique et du fonctionnement de la société grecque, en sachant qu’ils ont tous conscience qu’il y a eu beaucoup de corruption, d’évasion fiscale et de privatisations [4].
Beaucoup nous ont affirmé qu’ils ne faisaient rien avant et que le fait de donner gratuitement de leur temps avait transformé leur vie. Ils nous ont dit l’importance pour eux que nous soyons venus.
Les pratiques actuelles questionnent la façon de vivre et de travailler. Il y a un vrai débat à « Solidarité pour tous » qui porte sur l’avenir : que fera-t-on après ? Que vont devenir les dispensaires si un jour la situation est meilleure et si le gouvernement grec arrive à mettre en place une assurance maladie pour tous ? Ils espèrent que les nouvelles pratiques de dons se généralisent progressivement dans la société grecque et changent la manière de voir le travail et les relations entre les gens. C’est peut-être un peu utopiste, mais c’est ce qu’on peut comprendre. Par exemple, il y a plein d’entreprises qui ont fermé avec du matériel qui reste sur place, alors ils se posent la question d’utiliser les compétences des gens : cordonnerie, textile, agriculture… Comment reprendre l’outil de travail ? Comment le repenser d’une manière plus collective ? Est-ce que la crise ne va pas être le moyen pour les Grecs de travailler autrement de manière moins hiérarchisée et plus coopérative, comme dans certains pays d’Amérique latine, dont ils s’inspirent et qui ont vécu eux aussi des dictatures militaires ou celles des marchés !
Ce sont des questions fondamentales pour nous tous
On serait difficilement capables de faire en France ce qui se fait en Grèce, à cause du poids de notre superstructure bureaucratique verticale et hiérarchisée. À l’inverse, en Grèce, le nouveau pouvoir nous a ouvert ses portes. Nous avons été reçus au ministère de la Santé, de l’Éducation et au Parlement par les députés de Syriza. C’est une autre façon de concevoir la politique et les rapports entre les citoyens et les responsables politiques.
Enfin, j’ai trouvé qu’en Grèce, le poids de l’histoire est très présent dans les mentalités avec des clivages importants et un lourd passé (affiches antifascistes et antinazies dans les dispensaires). Les militants sont très internationalistes : une délégation de « Solidarité pour tous » est allée soutenir les Kurdes de Kobané, cette ville syrienne encerclée par « Daesh » en apportant des médicaments aux populations dans le besoin.
Ariane
Ce qui m’a frappé ?
Le geste de beaucoup de Grecs qui mettaient une main devant leur gorge pour signifier que la troïka (Commission européenne, Banque Centrale Européenne , Front Monétaire International ) asphyxiait la Grèce
Le contraste très fort entre l’énergie des personne impliquées dans les mouvements de solidarité et la position des autres très fataliste, défaitiste : « no futur »
Le décalage important entre les personnes investies dans les dispensaires et notre délégation autour du concept d’autogestion : ils avaient une expérience , un savoir que nous ne possédions pas et nous avions du mal à comprendre leur fonctionnement.
Le décalage aussi entre la croyance de beaucoup d’entre nous dans le pouvoir de changement de l’Etat, de Syriza alors que pour eux c’étaient les dispensaires qui avaient vraiment le pouvoir de changement du quotidien.
Que pouvons–nous faire pour soutenir le mouvement de solidarité ?
Leur faire parvenir des médicaments. C’est ponctuel, symbolique mais comme ils disent : « nous acceptons les petits sacs, les sacs poubelles, les valises » …et éventuellement une collecte d’argent pour les aider. Il faut travailler avec le collectif Solidarité France Grèce pour la santé qui est en contact permanent avec « Solidarité pour tous » qui peut donner une liste de médicaments nécessaires. Il y avait aussi dans la délégation française, Fabien Cohen, dentiste, président du syndicat des centres de santé dentaire et membre du PCF, qui va se renseigner pour leur faire parvenir du matériel dentaire moins cher qu’en Grèce à partir des réseaux d’achat en France. Il va inviter des dentistes et des militants grecs à leur congrès en octobre 2015.
Il est aussi fondamental de faire connaître en France la situation en Grèce et le mouvement de résistance et de solidarité qui s’est développé. Il y a aussi une question très importante : comment peser sur le gouvernement français pour soutenir le peuple grec et le gouvernement qu’il a porté au pouvoir en majorité relative le 25 janvier dernier, en sachant que le président Hollande a plutôt admonesté plutôt que soutenu Alexis Tsipras, le premier ministre grec (Syriza).
De notre côté en France, nous avons besoin du témoignage des grecs pour illustrer les risques encourus si la politique de l’Europe et de la France ne change pas. Quand nous avons décrit aux grecs la situation en France, ils nous ont dit que c’était celle qu’ils avaient connue il y a 20 ans et ils nous ont répondu :
« Mobilisez chez vous pour défendre votre système social : ce qui nous arrive chez nous peut aussi vous arriver »
« Commencez par virer vos gouvernements qui soutiennent la politique autoritaire de l’union européenne ».
Ils affirment collectivement « Nous ne devons pas, nous ne vendons pas , nous ne payons pas »
Et … au SMG nous envisageons d’organiser prochainement un voyage syndical en Grèce.