Renouer l’alliance thérapeutique

La prohibition de l’usage de drogues en France a empêché de développer une politique de santé publique. La réduction des risques a été imposée par l’épidémie de sida. Les médecins doivent reprendre la gestion des psychotropes, en alliance avec les usagers.

Entretien avec Anne Coppel
Sociologue.
Propos recueillis par Martine Lalande et Anne Perraut Soliveres

Pratiques : Les médecins connaissent mal les effets des drogues et s’intéressent surtout à leurs dommages. Comment expliquez-vous cela ?
Anne Coppel : Comment se fait-il que les médecins ne s’intéressent pas aux psychotropes qu’ils prescrivent pourtant tous les jours ? C’est d’autant plus paradoxal que les addictions, tabac, drogues ou alcool font l’objet d’un large débat de société qui sollicite l’expertise médicale. Bien sûr, c’est un héritage de la prohibition des drogues, qui a creusé un fossé toujours plus profond entre le médicament qui est « bon » et la drogue qui est mauvaise. En 1916, lors de la première loi de prohibition, le monde médical venait de subir un terrible revers : la morphine, médicament-miracle, devait soulager l’humanité de toute souffrance ; or elle avait engendré une maladie en quelque sorte iatrogène, et il en a été de même pour la cocaïne, puis pour l’héroïne. Des médecins hygiénistes ont été favorables à la prohibition, d’abord pour lutter contre le principal fléau, l’alcool, et ensuite confier ces médicaments modernes aux seuls médecins. En 1916, en pleine guerre contre les Allemands, la prohibition est adoptée, après une campagne de presse contre la cocaïne, « l’arme des boches », produite par l’industrie pharmaceutique allemande. Pour l’alcool, il ne pouvait être question que les Français y renoncent, mais la prohibition a orienté la recherche pharmaceutique vers une course folle, le médicament qui soulage mais qui n’engendre pas de dépendance, parce qu’il ne donne pas de plaisir. Tout au long du XXe siècle, les médicaments n’ont cessé de basculer dans le statut infamant de drogues, les barbituriques puis — non sans de nombreuses difficultés — les amphétamines. Dans les pays anglo-saxons, un débat s’est ouvert au cours des années 90 sur les prescriptions d’anxiolytiques, puis sur les antidépresseurs. C’est la grande hantise de l’industrie pharmaceutique. En France, cette industrie a obtenu en 1999 de ne pas relever de la lutte contre les toxicomanies, contrairement à l’alcool et au tabac. Il n’y a pas de recherche indépendante de l’industrie pharmaceutique sur les effets indésirables, ni pour les benzodiazépines, ni pour les neuroleptiques. La recherche pharmaceutique veut donner au médicament psychotrope le même statut que les médicaments somatiques ; les effets des médicaments sont évalués avec des critères qui se veulent aussi objectifs que possible, comme s’il était possible de ne pas tenir compte de ce que ressent le patient.

L’interdit inconscient qui porte sur ce que ressent le patient est étroitement lié à l’histoire du médicament. Pendant tout le XIXe siècle, médecins et pharmaciens ont été chargés du « pharmakon », à la fois remède et poison. Lorsque la loi de prohibition a été votée, le monde médical n’a pas eu conscience qu’il a perdu le contrôle de ces psychotropes, dès lors qu’ils devenaient illicites.
Les mécanismes qui ont contribué au fossé entre les mauvaises drogues et les bons médicaments sont en grande part inconscients. Intellectuellement, on sait que la réalité des risques n’a rien à voir avec le statut légal ou illégal des psychotropes, mais la prohibition a créé une réalité sociale qui pèse lourdement sur nos croyances et nos comportements, pour les médecins comme pour les patients, pour les usagers de drogue comme pour les parents. Le fossé entre usagers de drogue et médecins s’est encore creusé avec les consommations de drogues des jeunes qui commencent à la fin des années soixante. Dans le mouvement contre-culturel, les drogues sont associées à un mode de vie marginal ; les usagers de drogues proclament haut et fort qu’ils ne sont pas des malades, ils veulent « vivre vite », intensément. Le médecin qui voudrait les soigner est assimilé à un gardien de l’ordre qui voudrait les normaliser. C’est effectivement le cas dans la loi de 1970 qui fait de l’usager de drogue soit un malade, soit un délinquant.
Les experts médicaux, dont le Dr Olievenstein, ont accepté la loi de 1970, imposée par le ministre de l’Intérieur, parce qu’ils ont obtenu l’injonction thérapeutique, alternative à l’incarcération, mais le message envoyé aux médecins a été de ne pas soigner ces faux malades. « La médicalisation » a été assimilée à du contrôle social. Cette approche purement idéologique a eu des conséquences catastrophiques avec l’épidémie de sida et la dépendance à l’héroïne. Sous la menace du sida, les liens se sont renoués entre les usagers de drogues et le monde médical, non sans difficultés. Il a fallu revoir toutes les croyances, se rappeler que même si quelqu’un consomme des drogues, il reste un être humain, avec un corps qu’il faut soigner ; il a fallu enfin intégrer dans la pratique médicale, les acquis des recherches scientifiques. Ce basculement s’est fait sur le terrain. En France, nous étions tous persuadés que « la médicalisation de la toxicomanie » était une erreur contrairement aux Anglais qui considéraient la dépendance comme une maladie chronique. Je me souviens qu’en 1990-91, quand j’ai commencé à lire les travaux anglo-saxons, je me suis dit qu’avec une théorie que je considérais comme fausse (la toxicomanie comme maladie), les Anglais obtenaient des résultats bien meilleurs que les nôtres. Les médecins britanniques s’inscrivent dans une tradition de santé publique héritée du XIXe. Ils n’ont jamais hésité à prescrire des drogues — « drug » est aussi bien un médicament qu’une drogue illicite — pour la dépendance comme pour soulager la souffrance.

À l’hôpital on ne traitait pas non plus la douleur. La crainte de la morphine date d’avant 70.
Nous n’avons pas conscience des mécanismes par lesquels la prohibition s’est imposée dans nos esprits : par la stigmatisation des drogues certainement, sans doute aussi par indifférence à la douleur ; par des croyances, et par la répression.

Les contraintes du carnet à souches ont pesé lourdement sur les pratiques médicales, avec des sanctions que l’on pensait réservées à des « médecins marrons ». Les médecins ont payé un lourd tribut à la prohibition, une histoire secrète qui est tombée dans l’oubli. Aux États-Unis, vingt-cinq mille médecins ont été incarcérés entre 1919 et 1939 pour prescription de morphine. En France, on ne connaît pas le nombre de médecins qui ont été sanctionnés. Nous nous sommes posés cette question lorsque Jean Carpentier et Clarisse Boisseau ont dû affronter le Conseil de l’Ordre, parce qu’ils avaient commencé à prescrire avant que les traitements de substitution n’aient un statut légal. En septembre 1992, le recours au carnet à souches était devenu obligatoire pour prescrire du Temgésic®, ce qui n’était pas le cas avant, puisque la buprénorphine n’était pas classée comme stupéfiant. Les premières années en France, ni les autorités, ni les usagers de drogues, ni même les médecins prescripteurs ne considéraient que ces prescriptions étaient véritablement un traitement. Les usagers de drogue demandaient des prescriptions « pour décrocher » disaient-ils. Certains faisaient ainsi le tour des médecins, et la relation était complètement faussée. Les médecins avaient souvent mauvaise conscience lorsqu’ils acceptaient de prescrire, et je me souviens qu’en plein débat sur le rôle des médecins, un numéro du Quotidien des médecins avait ainsi titré un article : « Apprendre à dire non ». Il fallait fermer sa porte. Et si on ne la fermait pas, on risquait d’être envahi. Dans les années 80, les usagers de drogues se donnaient le mot quand un médecin acceptait de prescrire. Dans les réseaux Ville-Hôpital, des médecins ont commencé à prescrire le temps d’une maladie somatique ; souvent, ils y ont renoncé lorsque le carnet à souches est devenu obligatoire si bien qu’en septembre 1992, les quelques médecins qui avaient continué à prescrire ont été envahis par des patients en rupture de traitement. Nous avons pris conscience alors que ces prescriptions étaient bien un traitement médical, qui pouvait même être vital. À cette date, nous n’avions plus de doute sur l’utilité des traitements, mais un jour, j’ai demandé à Jean Carpentier pourquoi il avait accepté de prescrire la première fois. Comme presque tout le monde à l’époque, il était persuadé que la toxicomanie était le symptôme d’une souffrance psychique et que la question n’était pas le produit. Il m’a répondu une phrase très forte : « Parce que ce patient me l’a demandé ». Il m’a raconté comment il avait pris conscience qu’il y avait là un conflit. À chaque fois, le même dialogue se répétait. Tandis que Jean s’efforçait de convaincre le patient de parler « des vrais problèmes » (à savoir de sa souffrance psychologique), l’autre continuait d’insister « oui, mais d’abord il me faut tel produit... ». « Lorsque je suis en conflit avec un patient, m’a-t-il expliqué, je sors un drapeau blanc, je recule, j’accepte le terrain. Mais j’établis des bornes. En matière de toxicomanie, je cadre ». Fidèle au serment d’Hippocrate : le patient soigne sa maladie à l’aide du médecin. Il fallait beaucoup de courage pour affronter les croyances collectives, transgresser la loi, affronter une clientèle difficile, et une grande liberté de penser pour identifier qu’il y avait là un problème. Jean Carpentier est un médecin de quartier, ce qui veut dire pour lui, prendre en compte ce que les gens vivent dans ce quartier. Son cabinet est situé juste à côté de la gare de Lyon. Voilà comment il décrit ce qu’il a vu : « Assez rapidement, nous avons eu l’impression de vivre une sorte de guerre. Des jeunes gens mouraient d’overdoses dans les encoignures des portes, ou de septicémies profondes chez eux ou à l’hôpital. Envahis par un insurmontable sentiment d’impuissance, des couples de parents se déchiraient ; les rafles de police se succédaient dans les rues sombres et crasseuses de l’Îlot Chalon. Des inspecteurs de la brigade des stupéfiants étaient venus tabasser violemment quelqu’un dans le couloir de notre cabinet médical ; « C’est un dealer » m’a dit l’un des policiers sur un ton hargneux ». Jean a ouvert sa porte. Bien sûr, ces « toxicos » demandaient des produits pour se désintoxiquer, car c’était la seule « bonne » raison à l’époque. Comme tous les médecins de cette génération, il a été « converti » aux traitements de substitution en constatant que ces patients allaient mieux, qu’ils reprenaient visage humain, en devenant « des patients comme les autres ». Les usagers d’héroïne étaient alors confrontés à ce que le rapport Henrion en 1994, a appelé « une catastrophe sanitaire et sociale ». Plusieurs milliers d’usagers d’héroïne mouraient chaque année, pour moitié de leur sida et moitié de multiples autres causes. En 1995, cette catastrophe a été surmontée avec les traitements de substitution, qui leur ont également donné accès aux traitements du sida. Ainsi, ces usagers d’héroïne n’étaient pas morts de leur toxicomanie, comme on le croyait à l’époque, ils sont morts de réponses qui se limitaient à la cure ou à la prison.

Pendant longtemps, la seule alliance possible entre médecins et usagers a été à travers la substitution.
Bien sûr, la relation patient/médecin est beaucoup plus facile lorsque le médecin a un médicament qui répond à la demande du patient. L’alliance qui s’est nouée avec les premiers prescripteurs ne s’est nullement limitée au médicament. Ensuite, lorsque ces traitements ont acquis un statut officiel, le patient usager de drogue s’est normalisé, il est devenu « un patient comme les autres ». Mais qu’est-ce qu’un patient comme les autres ? La même question se pose avec la prescription de benzodiazépines. Encore une fois, médecins et patients sont victimes de la croyance qui veut que le médicament psychotrope soit un médicament comme les autres. La souffrance psychique serait traitée par la prescription de benzodiazépines ou d’antidépresseurs comme s’il s’agissait d’un antibiotique. Ce que vit le patient, ce qu’il ressent, n’est pas pris en compte. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte très différent des années 90. Les usagers actuels d’héroïne n’ont rien à voir avec « les toxicos » d’hier, ils ne savent même pas ce qu’est le manque ; nombre d’entre eux sont parfaitement intégrés. Mais la différence fondamentale est liée aux nouveaux modes de consommation qui privilégient les stimulants, la cocaïne et les polyusages. Quand on prescrit un traitement de substitution à quelqu’un qui consomme surtout des stimulants, on ne peut espérer les résultats incontestables obtenus dans les années 90. C’est beaucoup plus difficile pour les médecins aujourd’hui. Il faut prendre le temps de comprendre quel est le contexte de la consommation, quels sont les effets recherchés. Plus le médecin sait de quoi il s’agit, plus le patient peut échanger sans craindre le jugement du médecin.

Certains médecins prescrivent sans se préoccuper des risques éventuels d’addiction.
Effectivement, c’est un des problèmes cliniques qui se pose aujourd’hui et qui exigerait un travail collectif. Doit-on considérer que le traitement de substitution est justifié pour des prises d’opiacés en descente de stimulants ? Faut-il prescrire précocement à des jeunes usagers qui, peut-être, n’ont jamais consommé que du Subutex® ? Bien sûr, il serait absurde de renvoyer ce jeune en lui disant « Revenez me voir dans dix ans, quand vous serez au bout du rouleau ». L’alliance thérapeutique doit être préservée. Je pense qu’il faudrait procéder comme on l’a fait à l’époque en évaluant avec le patient les avantages au regard du risque de chroniciser des prises peut-être ponctuelles. Et observer les résultats. Il faut prendre le temps de parler. Pour savoir quelle est la place de l’opiacé dans l’ensemble des consommations. Il y a de nombreux chantiers cliniques à ouvrir aujourd’hui, sur les polyusages, sur l’alcool, qui est certainement un des chantiers prioritaires. Autre question : on observe aujourd’hui que le nombre d’overdoses mortelles ne cesse d’augmenter — un indicateur très indirect de la mortalité liée à l’usage de drogues, et ce malgré la protection qu’offre effectivement le Subutex®, Quelles sont les causes de cette augmentation de la mortalité ? Quels sont les contextes de la contamination à l’hépatite C ? Qui sont les nouveaux injecteurs ? Les questions cliniques ne manquent pas !

Si les médecins étaient mieux formés sur la question des addictions, peut-être arriveraient-ils à parler avec les personnes de ce qu’elles consomment et à mieux les aider ?
Sans aucun doute ! Je vais parler pour ma paroisse : il ne faut pas se limiter à la connaissance des processus neurobiologiques. Il faut tenir compte du contexte des consommations, de la signification que l’usager donne à ses consommations.
Les médecins généralistes sont en première ligne, comme toujours d’ailleurs et il est urgent de renouer le lien avec les nouvelles générations d’usagers. C’est l’alliance thérapeutique qui a permis de surmonter la catastrophe sanitaire du siècle précédent, car le médicament est seulement un outil. Toute la question est de savoir comment on s’en sert. Les réseaux de médecins et de pharmaciens, les associations d’usagers et de lutte contre le sida, tous ont contribué à une mobilisation collective. Entre-temps, le lien s’est rompu. La réduction des risques liés à l’usage a été limitée à la distribution de seringues et pourtant cette démarche globale a modifié la conception du traitement. Avant la réduction des risques, l’objectif du traitement était uniquement de « sortir de la toxicomanie », arrêter de consommer des drogues illicites. Si on demande au patient pourquoi il prend ce traitement, il dit en général qu’il veut s’en sortir, avoir une famille, trouver un travail, ne plus se droguer... Le patient est toujours de bonne volonté, mais changer de comportement est une entreprise de longue haleine. Il faut accepter les petits pas, tels que limiter les sorties en boîte, les soirées trop arrosées, soigner une pathologie somatique. Renoncer à l’injection est toujours particulièrement difficile. Les patients n’osent pas en parler au médecin, ils ont peur de son jugement. Si le médecin se montre à l’écoute, s’il fait le premier entretien de façon suffisamment fouillée pour connaître la trajectoire du patient, ce qu’il a consommé et quelles sont ses motivations, quelles sont aussi ses ressources et ses contraintes, on peut se donner des objectifs plus précis. Si un jeune vous explique qu’il a découvert les opiacés un lendemain de fête, cela veut dire qu’a priori, les opiacés alternent avec des stimulants. À partir de l’histoire, on peut faire des hypothèses sur le sens que les consommations ont pour lui. C’est sur la base de cette trajectoire qu’il faut négocier, puis il faut réajuster. Et si on voit qu’il n’y a pas d’amélioration, on en reparle : « Qu’est-ce qui se passe ? J’ai l’impression que vous en êtes toujours au même point ». L’usager doit comprendre que le médecin est à ses côtés, qu’il le soutient dans sa démarche pour aller mieux, ce qui est le fondement de l’alliance thérapeutique.
Les premiers médecins ont été formés par les patients. Le médecin doit connaître le mode de vie de ses patients, qu’ils soient paysans, routiers ou avocats. Les consommations de drogue doivent être appréhendées dans leur contexte. On ne peut pas tout dire au médecin, on dit au médecin ce qu’on pense qu’il peut comprendre. On apprend par les patients, en confrontant les expériences les unes aux autres. Un premier raconte quelque chose, le suivant ne dit pas pareil et on comprend que ce n’est pas toujours comme ça. On fait l’enquête. Mais cela implique qu’on s’y intéresse. C’est l’échange d’une expérience contre un savoir. La démarche de changement se construit dans cet échange. En matière de psychotropes, les usagers de drogues ont acquis une certaine compétence. Certains savent très bien comment prendre « les uppers, les downers », faire des mélanges. Ce sont de vrais pharmacologues, tandis que sur le Net, les nouvelles drogues ne cessent de se multiplier. On ne connaît pas les risques associés à ces nouvelles drogues, les usagers les découvrent par l’expérience, mais ce n’est pas suffisant. Il faudrait développer parallèlement la recherche pharmacologique et la recherche clinique.

Maintenant, on se trouve dans une situation où l’on n’a pas de prise médicale, et on abandonne le terrain. Qui va faire ce travail d’enquête médicale sur les nouvelles drogues ?
Je crois que le premier pas, c’est justement l’alliance entre le médecin et le patient. Le médecin doit aussi rompre son isolement, aller chercher l’information là où elle est, solliciter les équipes et les chercheurs sur les questions qui se posent à eux. On ne peut avoir de doute sur la rupture de cette alliance : des équipes sur le terrain, comme celles de Médecins du monde, rencontrent aujourd’hui des jeunes usagers qui ont recours à l’injection, sans lien avec les générations précédentes. C’est d’ailleurs ce constat qui justifie les projets de salles de consommation. Mon espoir, c’est que la démarche de réduction des risques connaisse un second souffle — après dix années de recul. On a pu penser que tout était résolu parce que la menace du sida et de l’héroïne avait été surmontée. Or la situation a évolué très rapidement, et la crise économique aura certainement d’autres conséquences sur les consommations de psychotropes, et donc sur la santé des jeunes. Il faut se remettre au travail et on a un avantage sur les années 80, on sait quelle doit être la démarche. La prohibition a mis à mal les politiques de santé publique, qui au XIXe siècle avaient ouvert ce champ, mais on revient aujourd’hui à ces fondamentaux. Prendre au sérieux l’objectif de protection de la santé, c’est une des portes de sortie du système prohibitionniste. Au niveau international, on voit bien que les politiques de santé publique s’orientent dans cette direction, avec, par exemple, les prescriptions d’héroïne médicalisées, de cannabis thérapeutique. Dans le système prohibitionniste, les médecins avaient été mis de côté : « On n’est pas là pour se substituer à la loi », disaient-ils eux-mêmes. Il faut maintenant que les professions médicales assument de nouveau leur rôle de gestion du « pharmakon », tous psychotropes compris. Les nouveaux modes de gestion se construiront dans une interaction entre compétence et expérience, entre médecins et consommateurs. J’espère qu’en France, nous aboutirons à une nouvelle loi de santé publique qui prenne en compte chacun de ces produits. La société française est à l’écoute des médecins, ils ont un poids dans l’opinion, ils doivent se faire entendre — et au niveau international, c’est déjà le cas. Un consensus de l’expertise internationale a pu se construire sur les acquis, mais il reste encore nombre de questions en suspens, qui exigent un développement de l’expérience et des connaissances.
Les usagers de drogues proclament haut et fort qu’ils ne sont pas des malades, ils veulent « vivre vite », intensément.


Publications
Anne Coppel, Olivier Doubre (avec), Drogues, sortir de l’impasse, La Découverte, à paraître sept. 2012.
Anne Coppel, Peut-on civiliser les drogues ? De la guerre à la drogue à la réduction des risques, La Découverte, 2002, 380 p.
Anne Coppel, Le Dragon domestique, deux siècles de relations étranges entre la drogue et l’Occident, en coll. avec C. Bachmann, Albin Michel, 1989, 564 p., réed. La Drogue dans le monde, Point seuil, 1991.


par Anne Coppel, Pratiques N°58, juillet 2012

Documents joints

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