Jessica Guibert,
interne en médecine générale
On entend de-ci de-là beaucoup d’affirmations péremptoires et contradictoires sur ce que seraient les souhaits des jeunes médecins généralistes pour leur exercice futur. Et oh, surprise ! Les résultats de cette étude remettent en question des représentations pourtant bien enracinées...
Quelques clichés à oublier... [1]
« Les étudiants en médecine choisissent la médecine générale par défaut. »
84,2 % des internes ayant répondu déclarent avoir volontairement choisi la médecine générale lors des Épreuves Classantes Nationales.
« Les jeunes médecins généralistes se fichent complètement de la continuité des soins et des autres professionnels de santé. »
Près de 90 % des internes ayant répondu estiment indispensable d’avoir à proximité de leur lieu d’exercice : un laboratoire d’analyses médicales (94,6 %), une pharmacie (94,5 %), des paramédicaux libéraux (IDE, kinésithérapeute, orthophoniste, etc.) (92,7 %), un cabinet de radiologie avec échographie (89 %).
90,8 % des internes répondent qu’ils accepteraient d’organiser leur temps de travail avec les autres professionnels du secteur dans lequel ils exerceront.
78,3 % des internes estiment que la réalisation de gardes en ambulatoire fait partie du métier de médecin généraliste et 78,6 % ont l’intention d’en effectuer.
« Les jeunes médecins généralistes ne veulent absolument pas s’installer en zone déficitaire, quelles que soient les incitations proposées. »
Seuls 12,2 % des internes affirment que, quelle que soit l’aide proposée, rien ne les inciterait à s’installer en zone déficitaire.
Pour 69,5 % des internes, une aide logistique et financière à la création d’une maison de santé pluriprofessionnelle ou d’un cabinet de groupe correspondrait à leurs attentes. La deuxième mesure plébiscitée par les internes (60,5 %) est la mise en place d’avantages fiscaux (il était explicité dans le questionnaire : « diminution des charges à payer à l’État ou aux collectivités territoriales »). Et enfin, la présence d’une crèche, d’une garderie ou d’une école à proximité de leur lieu d’exercice est une mesure facilitant l’installation en zone déficitaire pour 51,9 % des internes.
« Les jeunes médecins généralistes tiennent farouchement au paiement à l’acte. »
Une diversification de la rémunération est largement souhaitée chez les internes : 78 % des internes ayant répondu souhaitent sortir du paiement à l’acte exclusif, avec 22 % des internes envisageant une rémunération par salaire. 56 % souhaitent une rémunération mixte.
Parmi les nouveaux modes de rémunération, ce sont avant tout les forfaits qui sont souhaités par les internes (47,5 %), puis la capitation (38,6 %) et en dernier lieu la rémunération à la performance (13,8 %).
« L’enseignement en médecine générale ne concernera toujours qu’une minorité des médecins généralistes. »
Parmi les internes ayant répondu, 71,4 % souhaiteraient être maîtres de stage plus tard.
Quelques souhaits d’exercice évidents mais qui méritent d’être soulignés...
L’informatisation
Près de 95 % des internes souhaitent travailler sur un système informatisé.
Le secrétariat
86,6 % des internes estiment qu’un secrétariat doit absolument être présent dans la structure dans laquelle ils exerceront.
Le refus du poids de l’administratif
Les internes sont très majoritairement favorables à des outils leur permettant de dégager plus de temps médical (90 %), comme l’utilisation de formulaires administratifs électroniques, l’embauche de personnel administratif, les coopérations interprofessionnelles.
Quelques clichés qui n’en sont pas...
« Les jeunes médecins généralistes veulent moins travailler, surtout les femmes ! »
Parmi les internes ayant répondu, la moyenne d’heures de travail maximum par jour est de 9,24 heures. La moyenne du temps de travail hebdomadaire est de 41,2 heures par semaine pour les femmes et de 46,6 heures pour les hommes. Cette différence entre les moyennes (près de cinq heures et demies par semaine) est significative.
« Les jeunes médecins généralistes ne veulent pas s’installer. »
Plus de la moitié des internes (55 %) déclarent qu’ils exerceront en tant que remplaçants à la fin de leur internat. Seuls 16,1 % des internes souhaitent s’installer après leur internat.
Une vérité qui malheureusement n’est pas un cliché...
« Les jeunes médecins généralistes veulent garder le monopole de la prescription. »
Seulement 29,7 % des internes ayant répondu à l’enquête seraient favorables à la délégation du renouvellement d’ordonnance d’un patient atteint de pathologie chronique à un professionnel paramédical dans le cadre d’un protocole de coopération.
À quoi ressemble le médecin généraliste rêvé par les jeunes médecins généralistes ?
Il, ou plutôt elle (72,3 % de femmes ont répondu à cette étude) a véritablement choisi d’être médecin généraliste. Elle a d’abord fait des remplacements pendant plusieurs années avant de s’installer enfin, ce qui n’a pas été sans difficultés.
Elle s’est installée en zone déficitaire, mais seulement là où les services de proximité ont été maintenus, et avec les aides financières et structurelles des collectivités locales. Elle exerce en lien étroit avec les acteurs de l’offre de soins sur un territoire, par exemple dans le cadre d’une maison de santé pluriprofessionnelle. Cela lui permet d’ailleurs d’embaucher une secrétaire, et donc de limiter au maximum son travail administratif, puisque ce qu’elle souhaite, c’est soigner. Elle travaille avec des dossiers informatiques, en réseau avec les professionnels de santé du territoire, dont l’hôpital. Elle se préoccupe de la continuité des soins, en participant au service de gardes ambulatoires organisé collectivement avec les autres professionnels de santé.
Elle travaille un peu plus de quarante heures par semaine, ce qui lui permet d’avoir une vie à peu près équilibrée, et donc de mieux soigner. Elle est rémunérée avec un mode de paiement mixte, comportant une partie fixe et une partie variable selon les actes qu’elle effectue, et ceci avec les avantages sociaux du salariat : indemnisation au titre des Accidents du travail/Maladies Professionnelles, délai de carence de trois (ou quatre) jours, congé maternité.
Elle est maître de stage et reçoit des stagiaires, internes et externes, pour transmettre son expérience et son amour pour la médecine générale.
Malgré les biais que peut comporter cette étude (recueil des données par l’ISNAR-IMG, réponses fermées ou explications orientées, etc.), ses résultats sont assez marqués pour bien nous renseigner sur les souhaits des internes en médecine générale. Mais pourquoi les résultats de cette étude ne sont-ils pas transformés en revendications clamées haut et fort ?
Les syndicats d’internes et de jeunes médecins pourraient peut-être, pour une fois, abandonner leur mollesse habituelle afin de militer clairement pour les maisons de santé pluriprofessionnelles, pour la sortie du paiement à l’acte, et lutter contre le paiement à la performance imposé par la nouvelle convention médicale ?
Quant aux syndicats de médecins représentatifs, quelle légitimité ont-ils à négocier l’avenir de la médecine générale alors qu’ils sont majoritairement composés de médecins de plus de 50 ans, amoureux du libéral et du paiement à l’acte ? Pourquoi refusent-ils la simple présence des syndicats de jeunes médecins aux négociations conventionnelles ?
Quand entendrons-nous dans ces négociations des prises de position fortes des jeunes médecins pour l’organisation des soins de proximité de demain ?