La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public*

Note de lecture présentée par Marie Kayser

Ce livre offre une lecture historique et sociologique de la crise hospitalière particulièrement intéressante, en cette année où se multiplient les luttes des soignants (psychiatrie, urgences…) dénonçant la faillite de l’hôpital public face à ses missions, et où a été votée une nouvelle loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.
Quatre indicateurs témoignent de cette crise : la diminution importante du nombre de lits d’hospitalisation à temps plein, non compensée par l’augmentation de ceux à temps partiel, le doublement des prises en charge aux urgences en vingt ans, l’augmentation importante de l’activité hospitalière, non compensée par celle des effectifs, et la diminution des moyens alloués à l’hôpital.
Deux grilles de lecture de cette crise s’opposent. La première, nommée organisationnelle-gestionnaire, est portée par les élites politiques, bureaucratiques et médiatiques : l’hôpital va mal parce qu’il manque d’efficience et que le système de soin est trop hospitalo-centré, le remède est la réorganisation des établissements et le virage ambulatoire, « c’est le fantasme de l’hôpital aéroport : le patient atterrit et redécolle presque aussitôt après avoir subi l’intervention technique que son état requiert ». La deuxième est portée par de nombreux professionnels de santé, des syndicats et des mouvements sociaux qui dénoncent la pénurie financière matérielle et humaine au niveau de l’hôpital et demandent plus de moyens.
Pour les auteurs, il est nécessaire « de plaider simultanément pour une augmentation des moyens accordés à l’hôpital public et pour la nécessité de le délester de certaines tâches, à condition que le report vers la ville soit correctement financé et organisé, ce qui aujourd’hui est loin d’être le cas », les amenant à parler du « mirage du virage ambulatoire ».

L’hôpital public s’est vu confier toujours plus de missions, il remplit un rôle technique et social, il reste l’endroit du système de soins accessible financièrement et ouvert jour et nuit.
Mais il subit une emprise croissante de la rationalité gestionnaire sur la logique soignante.
Sous la férule de son directeur, lui-même sous tutelle des Agences régionales de santé, il est soumis à l’obligation d’équilibre financier, mais les restrictions sur son financement à travers la Tarification à l’activité (T2A) le mettent en précarité financière et parfois en faillite.
Les fusions au sein des Groupements hospitaliers de territoire bouleversent l’organisation des hôpitaux, sans qu’il y ait eu d’études prouvant leur pertinence et leur faisabilité.
Dans le même temps, les règles du nouveau management public sont présentées comme des outils pour améliorer la « performance » : nouvelle organisation du travail avec flexibilisation de la main-d’œuvre, contrats d’objectif et de moyens, indicateurs de performance – qui ne disent rien de la qualité du travail –, protocoles standardisant les pratiques.
L’intensification du travail se fait au détriment de la relation avec le patient et des collectifs de travail, et entraîne une souffrance au travail.
Devant la fragilisation de l’hôpital, par les réformes censées le sauver, un des ressorts convoqués par les « élites réformatrices » est celui de l’innovation : un marché de start-up et d’autres opérateurs privés investit le secteur de la santé pour y développer des innovations techniques et numériques. Pour les auteurs, l’hôpital deviendrait ainsi « le soutien et l’agent de la solvabilisation des activités économiques d’acteurs privés innovants ».
Face à cette transformation de la fonction et du sens politique de l’institution, les auteurs interrogent la possibilité d’un soulèvement qui dépasserait les mobilisations locales ou sectorisées.
En conclusion, ils ouvrent des pistes pour une transformation en profondeur du système basée sur les valeurs d’universalité, égalité et solidarité, mais remettant en question les compromis de 1945 avec la médecine libérale et les mutuelles, prenant en compte les problématiques environnementales et de santé publique, s’attaquant à la domination socio-économique racisée ou de genre au sein de l’hôpital, redonnant leur place aux patients et usagers, s’interrogeant enfin sur la médicalisation et la sanitarisation du social.
« La santé doit enfin devenir un enjeu politique »

* Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, Fanny Vincent, La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public, Éditions Raisons d’agir.


par Marie Kayser, Pratiques N°87, octobre 2019

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