Ateliers Claude Chassagny,
association de formation et recherche sur le langage - www.acchassagny.org
« ... Les Ateliers Claude Chassagny se saisissent de cet incroyable non-sens pour faire entendre la voix de l’orthophonie, métier formidable et méconnu. [1]
Parce que le langage est le centre de la vie humaine, une personne qui souffre au niveau du langage, quel que soit son symptôme particulier, en ressent les difficultés dans l’ensemble de sa vie, dans la construction et la perception de son identité, dans son rapport aux autres et au monde. La complexité et la difficulté d’une prise en charge orthophonique ne dépendent pas du symptôme présenté. Comment alors oser prétendre qu’une spécialisation est requise pour les pathologies neurologiques et ORL (c’est-à-dire celles pour lesquelles on pourrait invoquer une cause organique), mais que les pathologies dont l’origine est moins objectivable et forcément multifactorielle se satisferaient d’une compétence moindre, alors qu’elles demandent un traitement nécessairement singulier ?
Selon la loi, toute rencontre avec un orthophoniste commence par un bilan — bilan orthophonique évidemment — duquel sont issus le diagnostic — orthophonique — et les modalités thérapeutiques. Comment « trier » les patients ? Qui orientera les patients vers un orthophoniste diplômé Master 1 ou vers un orthophoniste muni d’un Master 2 ? Qui osera annoncer un délai d’attente de deux ans à cet assuré social d’une région sous-équipée qui demande un rendez-vous pour sa fille traumatisée crânienne ? Les orthophonistes sont tous déjà des praticiens, et des praticiens généralistes ! Au cours de sa journée de travail, l’orthophoniste reçoit — indifféremment mais sans indifférence — une personne âgée souffrant de pertes de mémoire, une fillette de 4 ans et demi qui n’a pas encore dit son premier mot, un professeur multipliant les arrêts de travail pour aphonie... un jeune homme dont le bégaiement est si violent qu’il ne peut plus téléphoner pour répondre à une proposition d’embauche, un jeune adulte sortant de l’hôpital avec une ordonnance de rééducation orthophonique pour séquelles d’accident vasculaire cérébral, un enfant qui n’arrive pas à apprendre à lire et écrire après deux années de CP, un bébé accompagné de ses parents désemparés par l’annonce d’un diagnostic de surdité... un très vieux monsieur muré dans le silence par l’aphasie, une comédienne qui vient de subir une laryngectomie totale, un collégien à deux doigts de la déscolarisation...
Quel est le point commun entre ces personnes qui se croisent dans la salle d’attente d’un orthophoniste ? Une pathologie du langage, c’est-à-dire un empêchement de parole ou d’écoute, à l’oral ou à l’écrit. L’origine des troubles de langage est multiple, souvent elle demeure mystérieuse, les moyens que l’orthophoniste met en œuvre pour soulager son patient sont tout aussi multiples. La seule constante, c’est le langage, avec les quelques évidences qui le fondent, trop souvent « oubliées » : pour parler, il faut être au moins deux, deux qui aient assez de désir pour s’adresser à l’autre et pour écouter l’autre. L’orthophoniste, pour son patient, est ce deuxième, lui proposant dans un cadre thérapeutique défini des situations langagières infiniment variées et complexes, mettant en œuvre conjointement leurs compétences psychiques et somatiques.
Quelle insulte ce serait de considérer que les personnes touchées dans leur corps par une pathologie entravant leur appropriation du langage ou leur maniement de la langue demandent plus (ou moins) de savoir-faire que ceux dont le trouble est lié à une cause invisible !
Mépris ou cynisme ? Peut-être les ministres ont-ils parfaitement identifié les dangereux praticiens que sont les orthophonistes qui, refusant d’asservir le langage à des considérations gestionnaires, prétendent accorder la même valeur unique, singulière à chaque parole de chaque citoyen, sans discrimination physique, psychique, économique, géographique, linguistique, politique. »