Vers une médecine collaborative. Politique des maisons de santé pluriprofessionnelles en France

Présenté par Marie Kayser

Ce livre n’est pas centré sur les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), même s’il apporte des éclairages sur leur historique et leur fonctionnement.
L’auteure, sociologue, s’est centrée sur la problématique suivante : comment le mode d’organisation des soins primaires que représentent les MSP, encore peu nombreuses, a-t-il réussi à s’imposer « comme une réponse à un ensemble de problèmes publics relatif à l’organisation du système de santé, notamment celui du virage ambulatoire ? »
La question est intéressante parce que ce mode d’organisation est assez éloigné des fondamentaux de la médecine libérale et que, par ailleurs, les Unités sanitaires de base (USB) des années 1980, précurseurs des MSP, n’ont pu survivre du fait de l’hostilité du corps médical et de l’absence de soutien politique.
Pour creuser cette problématique, l’auteure s’est intéressée à la Fédération Française de Maisons et des Pôles de Santé (FFMPS), qui est la représentante des différentes fédérations régionales des maisons de santé. Elle a étudié son fonctionnement et les relations qu’elle a développées auprès des acteurs politiques, des institutions, des soignants libéraux, des instituts de recherche…
Pour cela, de 2014 à 2018, l’auteure a assisté aux rencontres nationales et à celles des fédérations régionales et a mené des entretiens semi-directifs avec vingt-quatre membres de MSP.
Elle a ainsi étudié comment la FFMPS a réussi à faire apparaître le mode d’exercice en MSP comme un enjeu collectif et une réponse aux enjeux de la crise des soins primaires, avec l’argumentaire suivant : le travail en équipe pluriprofessionnelle permet de dépasser le problème du déficit de médecins, il est bien adapté aux enjeux de continuité dans le parcours de soins, l’organisation collective et coordonnée du travail en MSP permet de répondre aux souhaits des professionnels de mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle.
Elle montre aussi comment la FFMPS a construit sa légitimité de représentante des fédérations régionales et des MSP à travers, notamment, ses journées annuelles qui servent à « construire et à stabiliser une rhétorique » sur le rôle joué par les MSP dans la société et qui sont un lieu d’échange et de soutien pour la mise en place et le fonctionnement des MSP.
La FFMPS a réussi à investir trois arènes pour mettre en avant son organisation des soins primaires : celle du droit (reconnaissance légale de la collaboration entre professions différentes, statut des Sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires-SISA qui permet aux MSP de toucher des financements de l’État), celle du lieu du travail (l’enjeu consistant à persuader les praticiens qu’une amélioration globale de leurs conditions de travail est possible grâce aux maisons de santé) et l’arène de l’opinion publique avec une médiatisation croissante des MSP.
Pour l’auteure, le contexte actuel est favorable au développement des MSP, car l’État souhaite développer une offre de soins territorialisée en ambulatoire et cherche à s’impliquer dans le pilotage, mais aussi dans le contrôle du financement du secteur ambulatoire des soins ; et c’est grâce au récit commun que la FFMPS a porté, qu’elle « s’est positionnée comme un entrepreneur de cause dans la construction d’une réponse clefs en main à un problème de santé publique », d’autant que la FFMPS met en avant un souci d’intérêt général et non un intérêt particulier.
Ainsi, à travers leur soutien aux MSP et à la FFMPS, « les pouvoirs publics s’appuient sur un acteur privé pour réguler le marché des soins primaires en France » et « cet acteur participe d’une coproduction de l’action publique ».
À l’issue de son travail de recherche, l’auteure se pose la question de l’instrumentalisation ; pour elle, il s’agit d’une instrumentalisation croisée : « Les maisons de santé apparaissent autant comme des instruments des politiques publiques de santé menées par le ministère en vue de garantir une certaine offre de soins qu’une dynamique professionnelle d’extension progressive d’un territoire professionnel » et de préservation d’une certaine autonomie face à l’État.
Il me semble important de reposer cette question de l’instrumentalisation dans le contexte actuel où l’État compte s’appuyer sur les MSP et la FFMPS pour mettre en place les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

Nadège Vezinat, Vers une médecine collaborative. Politique des maisons de santé pluriprofessionnelles en France, PUF, mars 2019.


par Marie Kayser, Nadège Vezinat, Pratiques N°87, octobre 2019

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