Micros-rebelles

La pratique radio comme activité créative collective, et thérapeutique, quand la radio devient une œuvre collective.

Roxane Lemaire,
journaliste animatrice d’une émission de radio avec des personnes suivies en hôpital de jour
et Manon Baverel,
infirmière

Roxane Lemaire

Il existe, dans le bassin minier, une petite radio associative appelée Micros-rebelles : un lieu où la création radiophonique se pratique ensemble. Association d’éducation populaire, elle propose des ateliers dont l’objet est de créer des objets radiophoniques au plus proche des préoccupations des participants. Il s’agit de partir des savoirs de chacun et de chacune pour construire ensemble le fil conducteur d’émissions ou de podcasts depuis les prémisses jusqu’à la réalisation finale.
Ce sont leurs vécus, leurs interrogations, leurs recherches, leurs mots – mêlés – qui conduisent à créer, ensemble, un petit chef-d’œuvre.
L’activité radiophonique n’est pas souvent pensée comme une forme d’art à part entière, et pourtant… si vous saviez !
Nous allons vous raconter l’histoire d’une émission de radio qui était l’objectif final d’une série d’ateliers d’éducation populaire appelés « Club Radio Santé ». Ce projet, porté par Micros-rebelles depuis 2020, se donne pour but de réunir un groupe de personnes autour d’une thématique de santé. L’objectif final est de réaliser une émission en direct et en public, durant laquelle le groupe pourra poser toutes les questions qu’il a préparées à un ou une professionnelle de santé, spécialisé dans la thématique choisie. Pour préparer l’émission, le groupe fait des recherches, écrit des chroniques ou réalise un reportage, un micro-trottoir, selon les envies des participants et participantes.
Par-delà les choix musicaux qui accompagnent les prises de paroles, la création sonore est un vaste terrain de jeu pour celles et ceux qui aiment s’exprimer. Et pas seulement par les mots. Lorsqu’on s’y plonge, on découvre que faire de la radio peut représenter un lieu de créativité bien plus vaste encore. Il s’y trouve en effet de nombreux recoins.

Dans le début, il s’agit de créer ensemble un habillage sonore et un conducteur pour l’émission. L’habillage correspond à l’identité sonore d’une émission de radio, le conducteur en est le scénario. Dans cette première étape, le groupe se découvre, recueille et invente des sons. Puis, dans un second temps, nous nous répartissons les rôles pour que chacun et chacune puisse apporter sa pierre à l’édifice ; il peut s’agir de lire des poèmes, de chanter des chansons, d’inventer des jingles, de créer des contenus de différents formats comme le reportage, le micro-trottoir… place est faite à l’imagination pendant ce moment d’élaboration collective. Finalement, lorsque le moment de l’émission est enfin venu, la mission d’animer l’émission ouvre un espace ludique dans lequel les transitions entre chaque rubrique sont propices à inventer des jeux de correspondance entre les thématiques qui s’enchaînent comme les actes d’une pièce de théâtre, entre les rubriques qui en composent les petites saynètes.

C’est à l’occasion d’un de ces ateliers que nous avons réalisé une émission de radio dont le thème était : « De quoi ai-je besoin dans mon environnement pour m’y sentir bien ? »
L’émission a été créée par un groupe de personnes usagères du centre local de santé mentale (le CLSM) de Bully-les-Mines. Elle ouvrait la 33e édition des semaines d’information sur la santé mentale (SISM) qui a eu lieu dans le bassin minier du Pas-de-Calais du 10 au 23 octobre 2022. C’était la deuxième année pour laquelle Séverine Lambin, coordinatrice du centre local de santé mentale invitait Micros-rebelles à participer à cet évènement. Une belle occasion de lier santé et créativité.
L’idée qui a porté le groupe a été de créer une émission qui informe sur les risques pour la santé de problèmes environnementaux propres au bassin minier, comme la mauvaise qualité de l’eau, de l’air, ou encore la pollution sonore. Tout ceci, sans nourrir l’éco-anxiété de quiconque, au contraire, en abordant le problème par l’autre bout : de quoi ai-je besoin pour me sentir bien ?
Face à la pollution sonore, quels sons sont propices à se sentir bien chez soi et ailleurs : entendre le chant des oiseaux, l’écoulement d’une rivière, l’ambiance rassurante de pas dans une forêt habitée par une faune qu’on entend si peu dans notre environnement urbain… nous avons aussi évoqué la musicothérapie.
Face aux injonctions de distanciation sociale, face à l’isolement causé par une société trop individualiste : de quoi ai-je besoin dans mon environnement social pour m’y sentir bien ?
Après cette période où l’enfermement dans un logement, parfois, et trop souvent, précaire, insalubre ou oppressant, a été un enfer, nous nous sommes demandé : de quoi ai-je besoin, dans mon logement, pour me sentir bien ?
Face à la pollution de l’air, de l’eau, des sols, s’informer et informer les autres a eu un effet apaisant sur le groupe, car nous étions lancés dans une démarche constructive, et avions des éléments concrets pour réfléchir grâce aux réponses de nos deux invités.
À l’occasion de cette émission, nous avons invité une infirmière en psychiatrie, Manon Baverel et un médecin généraliste, le docteur Jean-Paul Duparcq.

Manon Baverel

Infirmière en psychiatrie depuis quelques années, je suis plus convaincue que jamais que la parole des personnes psychiatrisées est bien trop souvent empêchée, qu’on les laisse trop rarement prendre les décisions les concernant et que le respect n’a malheureusement pas toujours sa place dans le « soin ». Les dispositifs permettant la libération de la parole sont de plus en plus mis à mal. Face à la destruction organisée du système de santé public, à sa privatisation et son impact désastreux sur les soins, face à la destruction du secteur en psychiatrie, face à des conditions de travail et de soins dégradées, il faut trouver la force de résister. Comment donner du sens à nos pratiques professionnelles, comment garder la joie et la créativité, comment se laisser surprendre, comment résister collectivement ? Comment supporter de travailler dans un lieu où les tentatives de penser ensemble les manifestations transférentielles sont la plupart du temps vaines ? J’ai appris l’existence de la psychothérapie institutionnelle dans une dynamique de formation politique et non à l’école. La formation infirmière en psychiatrie est pauvre et s’inscrit dans un cadre théorique et politique souvent bien éloigné des pratiques collectives.
Mon métier me passionne, j’adore en parler, raconter des anecdotes de soins, composer avec la psychose, œuvrer à la déstigmatisation, rencontrer des personnes, vivre avec elles et eux un quotidien rempli de moments difficiles et d’angoisses, mais aussi de joie et de créativité. La joie insufflée dans la quotidienneté permet de tenir debout dans les rouages de l’hôpital destructeur de soignants comme de patients. Au quotidien, je lutte pour trouver des alliés qui résistent, qu’ils ou elles soient soignants, patients, familles ou citoyens. C’est dans cet état d’esprit que je me retrouve invitée à une émission de radio organisée par la webradio Micro-rebelles.
Les animateurs sont des personnes suivies en hôpital de jour, cette émission s’inscrit dans le cadre d’un atelier radio décrit précédemment par Roxane. Ils ont choisi d’inviter un médecin généraliste et une infirmière en psychiatrie afin de nous interviewer sur des thématiques en lien avec l’environnement. J’ai été très heureuse de cette invitation, mais mal à l’aise avec l’expertise demandée, préférant l’idée d’un partage d’expériences. Ne voulant pas m’imposer comme une sachante qui ferait part de son savoir ascendant, je n’ai pas préparé cette émission. J’y suis allée en prenant le risque de la spontanéité dans mes réponses et ainsi de me retrouver frustrée par l’incomplétude de mes propos.

Lorsque je suis arrivée, quatre personnes ainsi que la journaliste se trouvaient autour du plateau, je n’avais jamais participé à une émission de radio auparavant. Plusieurs personnes de l’hôpital de jour, de Micro-rebelles ou du CLSM étaient présentes pour assister à l’émission. J’ai été très intimidée par cette situation. Nous nous sommes présentés, ils m’ont demandé comment m’appeler lors de l’émission, j’ai préféré l’usage du prénom, car ils s’étaient eux-mêmes présentés ainsi.
Lorsque l’émission a démarré, chacun était à l’écoute du groupe, tout était extrêmement bien préparé. La trame définie semblait rassurer chacun. J’ai porté une attention importante à attendre qu’on me donne la parole, car c’est ainsi que les échanges étaient préparés en amont, et cela permettait aux animateurs de garder la maîtrise de leur émission. Le médecin qui m’accompagnait, n’ayant pas le même positionnement, anticipait les questions des animateurs, dont nous avions eu au préalable la liste. Trop soucieuse de ne pas prendre trop de place, je n’ai pas adopté le comportement que j’aurais eu en temps normal, j’ai laissé un homme me couper la parole sans réagir.
J’ai préféré raconter des anecdotes, illustrant combien l’art peut s’immiscer dans les moindres recoins d’un établissement de santé et dans les soins. À l’écoute de l’émission, je ne suis pas vraiment satisfaite de mes interventions, ni assez développées ni assez politisées, mais je suis ravie d’avoir pu participer à une expérience radio. D’avoir pu me sentir toute petite face à des personnes qui m’ont impressionnée dans leur travail de co-construction de l’émission, qui ont dépassé leurs inquiétudes pour construire celle-ci.
Par défaut de temps dans la rédaction de cet article, nous n’aurons malheureusement pas de témoignage de l’un des animateurs. À la fin de l’émission, tous ont fait part de leur joie d’avoir participé à cette création radiophonique et étaient ravis.
Forte de cette expérience, j’ai maintenant envie de créer un atelier radio dans l’hôpital de jour dans lequel je vais travailler prochainement afin de contribuer à distiller l’art dans la joie.


par Manon Baverel, Roxane Lemaire, Pratiques N°100, mars 2023

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