Martine Lalande
médecin généraliste
Ma nounou du Liban me nourrit chaque semaine. Elle habite un appartement HLM en bordure d’une cité difficile où je fais mes visites à vélo. A la fin de la tournée, je m’assieds dans sa cuisine et elle me régale pendant que je fais sa « psychothérapie ». Cela a commencé il y a vingt ans, quand elle gardait mon fils (pas de crèche ni école maternelle le samedi). A l’arrivée, elle lui demandait : « Que veux-tu manger à midi ? » et il répondait invariablement : « viande hachée, frites et ketchup ». Moi, au retour, elle me faisait les plats de son pays, épinards et gombos frais arrivés du Liban, multiples entrées, pâtisseries fondantes et légères, café à la cardamome. Puis mon fils a grandi, elle n’avait pas besoin de moi, sachant très bien seule soigner ses huit enfants, qui sont devenus adultes. Jusqu’en 2000 où un accident de voiture lui a brisé le genou et le moral. Ne pouvant plus marcher ni espérer trouver un travail, elle m’a rappelée et, naturellement, invitée à manger. Depuis, nous avons repris le rythme du repas hebdomadaire, où l’on prescrit peu, on parle beaucoup, on se rassérène mutuellement, on échange des nouvelles et on pose ses soucis. Souvent, je repars avec des boîtes en plastique pleines de restes délicieux « pour mon fils ». Je lui apporte du pain, du miel et des fleurs, nous échangeons des cadeaux d’anniversaire ou de retour de vacances et des cartes postales. Il me semble qu’elle ne va pas trop mal, même s’il y a des péripéties (multiples douleurs et périodes de déprime). Je réponds aux questions des membres de la famille parfois présents, je prends des nouvelles du quartier et des évènements au Liban. La vie passe, les drames sont affrontés ensemble, les plaisirs partagés. Le repas permet cet échange qui aide à faire face aux douleurs et à la vie.