Du temps pour mieux choisir

Pour les patients en surpoids, il s’agit de réduire l’apport énergétique des repas et d’améliorer leur qualité. Mais à côté du « quoi manger », il semble intéressant de s’interroger sur le « comment manger ».

Florian Saffer,
diététicien

Le présent article a pour vocation de mettre en avant des solutions simples permettant à nos patients de normaliser leur rapport au temps afin de leur donner la possibilité de s’alimenter dans de bonnes conditions.

Le temps du manger 
Dans leur ouvrage Manger Français, Européens et Américains face à l’alimentation  [1], les sociologues Claude Fischler et Estelle Masson soulignent les principales différences entre le modèle alimentaire français et le modèle anglo-saxon. Il est aujourd’hui admis que le modèle alimentaire français est plutôt protecteur contre le surpoids, alors que le modèle anglo-saxon le favorise. Rappelons que ce modèle français est caractérisé par une rythmicité des prises alimentaires (les repas sont pris à heures régulières) et par un véritable temps de repas (les Français consacrent en moyenne 125 minutes par jour pour se nourrir, soit deux fois plus de temps que les Américains ou les Canadiens).
Des travaux de science du comportement alimentaire vont également dans le même sens : plus le temps de repas est court, plus le risque d’ingérer trop de calories est élevé.
Selon une étude publiée dans le British Medical Journal, manger rapidement et jusqu’à être repu triple le risque de devenir un jour en surpoids [2].
Idéalement, les repas principaux devraient dépasser les vingt minutes. En effet, le rassasiement, qui correspond à la disparition progressive de la faim, est un processus faisant intervenir différent mécanismes (hormonaux, mécaniques...) qui ne sont pas instantanés.
Ce conseil simple permet dans de beaucoup de cas de réduire l’apport énergétique des repas, ce qui facilite fortement la perte de poids.
Lors de mes consultations, je m’intéresse également à la consistance des aliments consommés par mes patients ; en effet, la texture des aliments influence fortement la durée d’un repas. Les aliments à texture molle ou liquide (brioche, pain de mie, yaourt à boire...) sont d’ailleurs souvent sélectionnés afin de répondre dans cette logique de gain de temps. Je peux illustrer cette notion avec l’exemple de la collation chez l’enfant. Pour beaucoup le pain, le chocolat et le fruit d’antan ont laissé leur place à des compotes en gourde et des brioches qui peuvent être avalés en quelques secondes.
Il paraît donc logique que les professionnels de santé ne se focalisent pas uniquement sur la qualité nutritionnelle et sur la densité calorique de l’aliment. En effet, les jus de fruits et autres compotes en gourde peuvent présenter des intérêts indéniables (densité calorique basse, vitamine C, polyphénols...), alors que leur mode de consommation est peu propice au respect des sensations alimentaires.
Les solutions proposées aux patients peuvent consister à les inviter à choisir davantage d’aliments de base demandant un effort de mastication (pain complet, fruit frais, chocolat...).

Le temps de l’écoute 
Comme beaucoup de cliniciens, je fais régulièrement le constat que beaucoup de patients en surpoids ont parfois de sérieuses difficultés à différencier la faim (le besoin physiologique de manger) de la simple envie de manger. Cette discrimination impose d’être disponible afin d’être à l’écoute de son corps ; en effet, la faim est facilement reconnaissable dans la mesure où elle est associée à des sensations désagréables facilement identifiables (petit creux, gargouillement...).
Des conseils invitant le patient à prendre le temps de se détendre et de s’écouter avant de manger sont parfois d’une efficacité redoutable. Ils permettent au patient en surpoids de s’interroger sur ses motivations à manger (faim, habitude, envies...), ce qui leur permet de redonner du sens à leur comportement.

Le temps de la dégustation 
Il est clairement admis que le fait de manger avec des perturbateurs (télévisions, radio...) peut entraîner une augmentation importante de la prise alimentaire (de 15 à 20 %).
Le fait de porter son attention de manière soutenue sur les sensations gustatives (textures, flaveurs, aspects hédoniques...) paraît également pertinent.
Cette attitude de « pleine conscience » qui s’oppose au pilotage automatique redonne également au patient la possibilité de faire des choix (ne pas se resservir, prendre des quantités adaptées...). Prenons exemple de la consommation d’aliments caloriques (chocolat, pâtisseries...). Le plaisir à manger ces aliments décroît proportionnellement à la quantité consommée. On parle d’alliesthésie négative. Apprendre à observer cette baisse de plaisir laisse la possibilité de s’arrêter de manger.

Le temps pour soi 
Parmi les facteurs conduisant à surmanger, le stress et les émotions désagréables sont fréquemment incriminés. Pour certains, le stress est à l’origine de grignotages répétitifs, pour d’autres ces émotions peuvent être le facteur déclenchant de véritables perte de contrôle (hyperphagie boulimique). Parmi les facteurs nourrissant ce stress, le rapport au temps est encore en cause.
Le stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face [3]. Lorsque ce déséquilibre est perçu par l’organisme, tout s’accélère : le cerveau se met à penser à vitesse grand V afin de trouver une solution, le corps se met en mouvement, certains gestes stéréotypés se mettent en place (se ronger les ongles, se toucher les cheveux...).
Cette accélération ne solutionne souvent rien et, dans beaucoup de cas, aucune solution n’émerge vraiment, ce qui amplifie le sentiment d’impuissance et donc le stress perçu.
Apprendre à sortir de ce rapport au temps peut se faire par de simples mesures comme la ritualisation de petites pauses réparties sur la journée (cinq minutes toutes les quatre-vingt-dix minutes de travail, par exemple).
Je peux également observer dans ma pratique que beaucoup de femmes actives enchaînent de véritables journées « marathon » : la journée de travail précède une seconde journée dédiée aux tâches ménagères ou encore aux enfants. L’instauration d’une véritable pause de quinze à vingt minutes entre ces deux journées et bien souvent suffisante pour réduire l’impulsivité alimentaire de fin de journée.

Du temps pour se consacrer à l’essentiel 
Lors d’un travail sur le rapport au temps, il m’arrive fréquemment d’inviter mes patients à tenir un journal consistant à consigner par écrit leurs activités quotidiennes et en leur décernant une appré-ciation (note entre 0 et 10) en fonction de leur potentiel de plaisir et de sens [4].
Le but de ce travail d’auto-observation est d’amener le patient à discriminer les activités méritant un véritable investissement des automatismes comportementaux chronophages.
La réduction des activités superflues peut, par exemple, se traduire par une limitation de l’usage de l’ordinateur et du téléphone portable le week-end et en soirée.
Le temps dégagé laissera la possibilité au patient d’investir ce temps pour des activités plus congruente avec ses valeurs et ses besoins (prendre le temps de cuisiner conduisant à équilibré, passer du temps en famille, faire du sport ou simplement se reposer...).
_Pour conclure, la prise en charge nutritionnelle d’un patient en surpoids se résume souvent à des conseils nutritionnels sur le choix des aliments visant à réduire l’apport calorique de la ration. Or l’expérience de terrain nous montre que pour beaucoup de mangeurs, la surconsommation caloriquen’est pas uniquement causée par un manque de connaissances nutritionnelles, mais plutôt par un mode de vie dans lequel tout va très vite. Il paraît donc pertinent d’apprendre à nos patients à se donner la possibilité de ralentir afin d’observer leurs besoins et ceci dans le but de faire des choix bons pour eux.
Il semble également important que ces conseils ne soient pas imposés comme une énième injonction (« il faut prendre le temps de souffler »), mais présentés comme une possibilité, une alternative.
Selon moi, la diététique ne devrait pas être une science « qui impose des règles », mais une science humaine permettant à chacun d’avancer vers une alimentation allant dans le sens du bien-être physique, social et psychologique, et tout cela avec douceur, respect et bienveillance. Gardons toujours à l’esprit que le mot « diététique » vient du grec « diaita » qui signifie « art de vivre » .

1Claude Fischler Estelle Masson, Manger Français, Européens et Américains face à l’alimentation, Edition Odile Jacob, 2008.
2 Maruyama,K.,S.Sato,T.Ohira,K.Maeda,H.Noda,Y.Kubota et al. « The joint impact on being overweight of self reported behaviours of eating quickly and eating until full : cross sectional survey », British Medical Journal, 21 octobre 2008.
3 Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail — OHSA, 2002.
4 Cet exercice est issu du livre du psychologue et philosophe Tal Ben Shahar, L’apprentissage du bonheur, Principes, préceptes et rituels pour être heureux du psychologue, Edition Belfond, 2007.


par Florian Saffer, Pratiques N°56, février 2012

Documents joints


[1Claude Fischler Estelle Masson, Manger Français, Européens et Américains face à l’alimentation, Edition Odile Jacob, 2008.

[2Maruyama,K.,S.Sato,T.Ohira,K.Maeda,H.Noda,Y.Kubota et al. « The joint impact on being overweight of self reported behaviours of eating quickly and eating until full : cross sectional survey », British Medical Journal, 21 octobre 2008.

[3Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail — OHSA, 2002.

[4Cet exercice est issu du livre du psychologue et philosophe Tal Ben Shahar, L’apprentissage du bonheur, Principes, préceptes et rituels pour être heureux du psychologue, Edition Belfond, 2007.


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