Beatriz Domínguez-Gil
Docteure en médecine
Organización Nacional de Trasplantes Madrid, Spain
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- Le rôle des professionnels de santé est de combattre le trafic d’organes qui a la particularité de nécessiter la participation des soignants.
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La greffe d’organes est le meilleur et, dans la plupart des cas, le seul traitement disponible pour les patients en insuffisance terminale d’organe. En 2015, plus de 126 000 greffes ont été réalisées au niveau mondial. On estime cependant que moins de 10 % des besoins des patients sont actuellement couverts. La situation actuelle de pénurie d’organe en vue d’une greffe se traduit par l’existence de patients dont la qualité de vie est fortement impactée et qui, parfois, décèdent en liste d’attente. La détresse de certains de ces patients peut les conduire à s’engager dans une démarche de greffe illicite, réalisée dans un contexte de trafic d’organes humains, et/ou de trafic d’êtres humains dans un but de prélèvement d’organes [1].
D’une manière générale, le trafic d’organes humains concerne le prélèvement à partir de donneurs vivants ou décédés en vue d’une greffe, ou de toute autre utilisation, lorsque le prélèvement est réalisé sans le consentement libre et éclairé du donneur vivant, ou dans le cas d’un donneur décédé sans que le prélèvement soit autorisé par la loi nationale ou lorsque, en échange du prélèvement, le donneur vivant ou une tierce partie se sont vus offrir ou ont obtenu un gain financier, ou un avantage comparable [2].
Le trafic d’être humain dans le but de prélèvement d’un organe est un crime odieux, car il concerne des donneurs vivants qui sont contraints de donner un organe suite à l’utilisation de moyens frauduleux, à de la coercition ou à l’exploitation de leur situation financière désespérée [3] [4] [5].
On ne connaît pas l’ampleur exacte du trafic d’organe ou d’être humain, mais l’OMS estime que 5 à 10 % des greffes d’organes réalisées dans le monde le sont dans un contexte de commerce international d’organes [6]. Ces deux activités criminelles surviennent dans le cadre dit « de tourisme de la greffe », avec des patients qui se rendent dans des pays où la législation contre la vente ou l’achat d’organes est mal appliquée, et où les personnes démunies et vulnérables deviennent une source d’organes pour des patients riches [7].
Une des caractéristiques de ces trafics, par rapport à d’autres activités criminelles, est qu’ils nécessitent la participation des professionnels de santé. Cette situation offre une opportunité unique pour ces derniers, ainsi que pour les établissements de soins, d’intervenir auprès des patients afin de prévenir et combattre de telles pratiques.
Les professionnels de santé réalisent les évaluations des paires potentielles donneur vivant/receveur. Ils évaluent non seulement leur aptitude médicale au don et à la greffe, mais également la nature de la relation entre le donneur et le receveur, ainsi que les motivations du donneur, afin d’écarter autant que possible tout don résultant d’une pression quelle qu’elle soit, financière ou autre.
L’évaluation du consentement du donneur par une tierce partie indépendante est la norme qui doit exister dans tout programme de greffe à partir de donneurs vivants. Des normes supplémentaires ont été émises par les sociétés savantes professionnelles ; elles soulignent la responsabilité des professionnels envers les patients en attente d’un organe ainsi qu’envers le donneur (donneur vivant ou décédé). [8] [9] [10]
Les professionnels, quand leurs patients leur révèlent – ce qui est rare – leur intention de s’engager dans une démarche de greffe illicite à l’étranger, ont le devoir de les conseiller en leur donnant des informations sur les risques que ces activités peuvent entraîner pour leur propre santé, ainsi que sur l’impact négatif d’un prélèvement sur le bien-être et la santé des donneurs [11].
Les patients doivent également être informés qu’ils ne pourront pas réclamer le remboursement des frais liés à ces greffes réalisées dans un contexte de trafic, sur la base des recommandations faites aux systèmes de santé et aux assureurs (privés ou publics) [12] [13]. Les professionnels qui informent leurs patients peuvent ainsi les amener à changer d’avis. Cependant, si les patients persistent dans leur démarche, il convient que les professionnels ne facilitent pas de telles pratiques et ne fournissent ni courrier de référence, ni rapports médicaux, et ils ne doivent pas entreprendre des examens et des bilans médicaux [14].
Les patients greffés requièrent des traitements à vie avec un accès aux médicaments immunosuppresseurs ainsi qu’à d’autres traitements. Après une greffe réalisée à l’étranger, les patients reviennent normalement dans leur pays pour les soins de suivi, une situation qui pose beaucoup de défis aux systèmes de santé et aux professionnels qui sont amenés à suivre ces patients. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe et le groupe de suivi de la déclaration d’Istanbul ont récemment adopté des recommandations sur la prise en charge de ces patients à leur retour. [15] [16]
Les recommandations de ces deux organisations sont cohérentes entre elles, elles posent le principe que la responsabilité première d’un professionnel, et du système de santé, est de prendre soin de ces patients quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils ont été greffés. Ces patients doivent être pris en charge dans un centre de greffe ayant la connaissance et l’expertise pour la prise en charge et le suivi de ces patients, en particulier dans le champ des maladies infectieuses. Certains professionnels peuvent ne pas vouloir prendre soin des patients qui ont été greffés avec un organe prélevé de façon illicite. Ce n’est pas acceptable dans un contexte d’urgence, mais ces professionnels peuvent référer ces patients à un collègue pour les soins de long cours. [17]
Les « touristes de la greffe » doivent avoir accès aux soins, aux médicaments immunosuppresseurs et à tout autre traitement nécessaire, comme tout patient greffé dans des conditions normales. Cependant, comme déjà mentionné, les frais liés à la greffe réalisée dans un contexte de trafic ne peuvent en aucun cas être remboursés par le système de santé ou les assurances privés ou publics.
Il est fortement recommandé que les données médicales concernant le suivi des patients greffés à l’étranger puissent être recensées dans les registres nationaux du suivi des patients greffés dans le pays. L’objectif est d’assurer une transparence des pratiques et une traçabilité transnationale (capacité à tracer les organes greffés à partir du donneur ou du receveur). [18]
La lutte contre le trafic d’organes requiert des professionnels de santé qu’ils rapportent aux agences nationales, chargées d’encadrer légalement ces pratiques, les cas suspects ou confirmés de greffes réalisées dans des contextes de trafic, en vue de poursuites pénales et de détention pour des activités criminelles. Cette pratique a cependant suscité d’intenses débats au niveau international, avec des doutes quant à savoir si les cadres légaux existants permettent ou au contraire interdisent la levée du secret professionnel dans de telles circonstances. [19]
Les recommandations internationales demandent aux gouvernements et aux sociétés savantes dans chaque pays de mettre en place un cadre pour rapporter les cas suspects ou confirmés dans des conditions respectueuses des législations nationales. En fonction du pays, le système peut être basé sur une anonymisation ou non des cas rapportés. Les professionnels peuvent aussi rapporter des cas aux autorités sanitaires, qui partageraient ensuite les informations avec les agences concernées. Quel que soit le système mis en place, les patients doivent être informés en amont pour qu’ils coopèrent avec les investigations menées. Il reste très difficile, malgré les enquêtes réalisées, de connaître l’importance de ce trafic.
Les personnes les plus vulnérables doivent être protégées, alors que celles qui facilitent ou sont activement impliquées dans ces activités criminelles doivent être comptables de leurs actes et poursuivies.
En résumé, la fin du trafic d’organes ou du trafic d’êtres humains pour un prélèvement d’organe repose sur l’évolution des pays vers l’autosuffisance dans le domaine du prélèvement et de la greffe. Il convient de développer les prélèvements sur donneurs décédés au maximum de son potentiel et établir un cadre éthique pour le développement d’un programme de greffe à partir de donneurs vivants. [20] [21]
Le monde est confronté aux conséquences désastreuses de pratiques qui violent les droits humains fondamentaux et posent des risques sérieux pour l’individu et la santé publique. Pour prévenir et lutter contre ces trafics, les professionnels de santé et les systèmes de santé doivent s’engager et travailler en cohérence avec les recommandations produites par les groupes actifs dans ce champ.
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- Version longue de l’article paru dans la revue. La version en pièce jointe est la version extraite de la revue.