Cet ouvrage aborde la formation des sages-femmes au cours du temps, l’évolution de l’accompagnement à l’accouchement, les problématiques actuelles liées à la surmédicalisation et les difficultés d’accès à un accompagnement global. Il laisse une large place aux témoignages, ce qui donne un aperçu complet, nuancé et très vivant de la question.
Les sages-femmes ont accompagné les femmes pour la naissance de leurs enfants dès l’Antiquité. Jusqu’au XIXe siècle, en France, la naissance a lieu exclusivement à domicile, et « jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres, la naissance reste peu médicalisée ». Avec les assurances maladie, les allocations maternité et la volonté des médecins, les femmes sont déplacées progressivement vers les maternités. À partir des années cinquante, la maternité est abordée de plus en plus comme une maladie ou un risque. La place de la sage-femme est dévalorisée. En entrant à l’hôpital, elle devient une infirmière en obstétrique super spécialisée. L’accouchement sans douleur, introduit en 1952, est réservé aux médecins jusqu’en 1960. L’hypermédicalisation se poursuit et se renforce dans les années quatre-vingt. Les petites maternités et les cliniques tenues par des sages-femmes sont fermées. La formation devient de plus en plus technique, privilégie la pratique hospitalière. « Avant l’importation […] de l’accouchement sans douleur, les femmes ne bénéficiaient pas de cours de préparation à l’accouchement. Cependant, les savoirs transmis par l’intermédiaire des matrones […] constituaient […] une autre forme de préparation à l’événement ». De plus, les sages-femmes hospitalières ont de moins en moins de temps à consacrer aux parturientes. Elles sont nombreuses à témoigner de la pression exercée sur les patientes et sur elles-mêmes par les médecins et anesthésistes pour choisir la péridurale (« Bon alors ! Elle la veut ou pas sa péri ? Parce qu’après, je ne reviens plus » entretien avec Nadia, étudiante sage-femme). « La formation des sages-femmes met l’accent sur la surveillance des actes médicalisés » et la médicalisation est telle que « il est rare pour une étudiante sage-femme de vivre cette expérience (de l’accouchement naturel), pourtant essentielle à la confiance dans le processus physiologique ». Dans ce contexte, certaines sages-femmes quittent l’hôpital car elles ne supportent plus les conditions de travail, et s’impliquent dans l’accompagnement des femmes en cabinet libéral où elles se sentent plus en accord avec elles-mêmes. Quelques-unes d’entre elles pratiquent alors l’accompagnement global, défini par « le suivi de la mère pendant sa grossesse, son accouchement, ses suites de couches, par une sage-femme ». Cependant, les directeurs d’établissements, les médecins, les DDASS sont très réticents à leur donner l’accès aux plateaux techniques, ce qui les contraint à n’avoir plus que le domicile de leurs patientes comme lieu d’accouchement. Par ailleurs, le poids du médico-légal augmente et les primes d’assurance sont tellement élevées que les sages-femmes pratiquant les accouchements à domicile ne peuvent pas s’assurer. Elles sont de ce fait peu nombreuses… Pourtant, la demande se développe en raison de l’aspect personnalisé du suivi, la relation de confiance avec la praticienne, la prise en charge non intrusive, la discrétion, le respect. Ce sont aussi le refus de la surmédicalisation, la crainte de subir des pressions qui motivent cet intérêt croissant. Des perspectives s’ouvrent avec l’expérimentation, depuis 2015, des maisons de naissance. En effet, celles-ci permettent un accompagnement global dans des structures attenantes aux maternités, alliant respect de la physiologie et sécurité.
En conclusion, « nombreuses sont les femmes qui se sentent en position d’infériorité face au milieu médical, détenteur du savoir et garant de leur sécurité […] et qui se soumettent, plus ou moins volontairement, aux pratiques médicales standard ». Selon Béatrice Jacques, cette soumission est due à une évolution lente du suivi de la grossesse… orienté vers une modification des conceptions de la grossesse d’un état physiologique à « un état dangereux pour la mère et l‘enfant ». Par conséquent, « il apparaît primordial de préserver une pluralité des modes d’accompagnement […] par l’application des lois existantes sur le libre choix du praticien […] autrement dit sur l’accès à une assurance professionnelle ainsi qu’aux plateaux techniques des maternités, pour les sages-femmes libérales ». Mais le consentement du corps médical, indispensable à l’application de ces lois, n’est pas encore acquis…
Anne Pagès