Les Guignols

Didier Ménard,
médecin généraliste

Un jour, j’accompagnais un ami médecin américain à sa consultation au Montefiore Hospital dans le Bronx à New-York. Il devait rencontrer des personnes malades qui demandaient l’asile politique aux États-Unis.
Il s’est gravé dans ma mémoire ce jour-là plusieurs faits qui m’ont marqué parce que prédictifs d’un système de santé qui m’effraie plus que jamais.
D’abord, les personnes consultées ont toutes décrit les sévices endurés du fait de leur engagement pour la liberté. De ce point de vue, l’ignoble est partout le même. Mais en plus d’entendre ces effroyables récits, il fallait accepter pendant la consultation la présence d’un avocat qui vérifiait si le médecin conduisait cette consultation dans le respect des lois ! J’en étais très perturbé, essayant d’imaginer ce que je ferais dans une situation identique et m’interrogeant sur mon espace de liberté pour soigner. Depuis, après réflexion, je pense que la présence d’un avocat pendant une consultation médicale illustre assez bien le fonctionnement de la société libérale. À partir du moment où les deux grands piliers sur lesquels cette société fonctionne sont d’une part l’individualisme et d’autre part le droit comme système de régulation sociale, il est évident que les valeurs qui président à l’éthique de la médecine deviennent accessoires : la confiance, le respect de l’autre, le don et le recevoir sont négligés pour laisser au droit sa toute-puissance. L’avocat faisant commerce de la faute et de l’erreur trouve presque naturellement sa place dans le colloque qui n’est plus singulier, mais s’exprime comme dans un prétoire. L’erreur n’est plus jugée pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle rapporte.
Le comble fut atteint lorsque quittant l’hôpital, je découvris dans le hall de celui-ci une multitude de petits castelets abritant de charmantes hôtesses représentant les cabinets d’avocats, qui proposaient aux malades l’aide d’un avocat pour défendre leurs intérêts face aux médecins. J’ai quitté cet hôpital avec l’image d’un immense théâtre de Guignols, mais cette fois-ci, Guignol ne m’a pas fait rire.


par Didier Ménard, Pratiques N°59, octobre 2012

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