Le clown triste

Certains pendant leur hospitalisation pouvaient virer au rouge, au blanc, au vert, au jaune, aux petits pois rouges (pétéchies 1), virant au vert ... et donnant la réplique, au-dessus de leurs lits, trônaient des reproductions de clowns bariolés, mais tristes : car en plus ils pleuraient !

Un jour, on m’a mis un gros dossier, un dossier de mon année de naissance. Un dossier relatant deux années de descente aux enfers, deux années de souffrances inimaginables qu’on m’a chargée d’étudier dans tous les détails. Elle s’appelait Christine, elle avait une leucémie : diagnostic fatal. Étudiante en psychologie, elle se battait contre l’inhumanité du service, elle était admirée pour sa pugnacité... Son esprit tenace et critique faisait peur aux chefs de clinique, car elle exigeait d’eux un minimum d’égards, de paroles même pour ses voisines de chambre !

Mais son courage pouvait flancher, et un jour où le professeur s’était efforçé de la faire se raccrocher au moindre espoir, tentant d’éloigner de sa pensée l’inéluctable fin de la maladie, alors que nous étions sortis de la chambre, il s’est récrié en découvrant mes yeux remplis de larmes : « Ah non ! Pas vous aussi ! » Pas vous remonter le moral, certes, mais les rumeurs courraient sur sa crainte de voir encore de jeunes externes se foutre en l’air après un stage dans son service...

Au staff 2, le professeur nous assurait que l’on ne savait pas si la leucémie n’était pas d’origine virale.., pour nous garder à l’écart des malades ? Cela ne m’a pas empêchée de rapporter un bouquet de violettes à Christine le matin où elle devait sortir de sa chambre stérile où tout objet extérieur était passé à l’étuve... Mais pourquoi, sous prétexte qu’elle n’avait pas le téléphone, m’a-t-on chargé d’aller porter de mauvaises nouvelles à son domicile ?Je garde gravé en moi le geste qu’elle a eu d’ouvrir la porte du petit jardin de son échoppe bordelaise pour vider son corps d’un grand cri de désespoir... avant le retour en chambre stérile...

J’ai appris il y a quelques années que ce professeur était mort d’une leucémie : le virus l’aurait-il donc atteint ?

1. Multiples taches hémorragiques de la peau.
2. Réunion de service à l’ouest de Paris ; « soviet » à l’est.

par Elisabeth P., Elisabeth Pénide, Pratiques N°36, mars 2007

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