Chercher des outils

A partir de l’apparente opposition entre l’espace privé de la relation médecin-malade, et l’espace du droit ou de la loi, une réflexion peut cheminer.

_ La possibilité de rencontres entre professionnels sans finalité utilitaire immédiate est probablement un moyen très utile pour prévenir le burn out.

Il y a encore bien du chemin à faire avant que la formation en sciences humaines, pourtant inscrite dans le marbre des décrets des années 90, ne soit une réalité. En 1977, pour échapper aux décennies de formation technologique qui ont tant fait souffrir les générations précédentes, la Société de Formation Thérapeutique du Généraliste, structure associative de formation médicale continue, s’est dotée d’un Département Sciences Humaines et Sociales. Elle a incité et laissé au gré de la sensibilité, des nécessités éprouvées, et des bonnes volontés se développer en son sein des multitudes de groupes de travail pluridisciplinaires.
L’éthique médicale au quotidien, le premier de ces groupes, a permis dans l’interdisciplinarité (médecin généraliste, juriste, psychanalyste, philosophe) de définir une méthode d’analyse lorsqu’un conflit entre différentes valeurs ou systèmes de référence a mis en difficulté le médecin généraliste. A l’aide du regard des non médecins, nous nous autorisons à une compréhension différente. A partir de l’apparente opposition entre l’espace privé de la relation médecin-malade, et l’espace du droit ou de la loi, une réflexion peut cheminer et aboutir à une proposition de résolution du problème dans le respect de chacun : lorsqu’il s’agit par exemple de mise en tutelle d’une personne âgée, de mauvais traitement à enfants, de demande d’un certificat de virginité, etc. Les participants soulignent le retentissement de cette démarche de réflexion dans leur pratique.

Pour réfléchir aux représentations de pratiques médicales et culturelles différentes des nôtres, et prendre de la distance vis-à-vis de sa pratique, la SFTG s’est dotée de plusieurs outils. Le groupe Santé Médecine et Représentations a tenu plusieurs soirées, autour d’un historien sur la douleur, d’une anthropologue médecin sur la transfusion sanguine, d’un sociologue sur le cancer. La SFTG a organisé plusieurs voyages avec des anthropologues et des correspondants pour rencontrer d’autres cultures et manières de soigner en Inde, au Portugal et au Bénin. Je repense à ce jeune père originaire du Niger accompagné de son fils de huit ans. « Pourquoi mon fils a-t-il été malade ? » m’avait-il demandé à plusieurs reprises. Cela semblait être sa seule préoccupation, alors même que le gamin n’avait rien de grave. J’avais bien perçu que mes réponses n’apaisaient pas son inquiétude. En rencontrant des tradipraticiens, en passant plusieurs journées avec une famille à se faire raconter leur « parcours de soins », en réécrivant chacune de ces histoires avec d’autres médecins du groupe, en cheminant avec l’anthropologue qui nous accompagnait, j’ai pris la mesure du sens différent de la maladie dans d’autres cultures, de la place et du rôle du magique…
Les séminaires de formation médicale continue proposés aux médecins généralistes s’ouvrent aussi à des sujets anthropologiques : « santé des patients migrants sous le regard de l’anthropologie médicale » ; « comportements de santé », avec l’apport de l‘analyse systémique et de l’anthropologie ; « la vérité médicale » ou « communication, narration et méthodologie, notions d’herméneutique dans le champ médical » sous les lumières de la philosophie ; « maladies génétiques et place du médecin généraliste » pour aborder les difficultés devant les possibilités de prédiction, la révélation des secrets des familles, les choix de vie et de mort. Les séminaires sur la tenue du dossier médical ou sur l’informatique ont inclus un temps de réflexion sur les problèmes éthiques posés par la détention et la possible circulation de toutes ces données, leur propriété, leur pérennité. Une charte « éthique » informatique a été écrite par un club de médecins utilisateurs.

L’effervescence du festival d’Avignon permet depuis douze ans à une quarantaine de médecins de participer à deux journées d’expression théâtrale que nous organisons sur des thèmes comme le pouvoir, la peur, l’attente ou l’amour. Les ateliers d’expression théâtrale ou de clown permettent aux médecins de se mettre en scène, de jouer, d’improviser, de travailler avec leur corps et sur leurs émotions dans un environnement ludique, mais aussi dans le cadre très précis des règles du théâtre. Des ateliers avec philosophe, anthropologue ou psychanalyste occupent des intervalles de travail théorique. Un groupe de théâtre d’une vingtaine de participants se réunit mensuellement. Des groupes de psychanalyse et médecine, psychologie ou philosophie existent aussi. Le dernier en date s’interroge sur l’environnement.

A partir du choc ressenti par la prise de conscience de l’importance de la mortalité prématurée dans les catégories socioprofessionnelles défavorisées, nous construisons avec l’aide de sociologues une recherche sur les possibilités d’intervention des médecins généralistes dans ce domaine. En 2007, nous proposons une formation qui permettra d’y réfléchir et d‘acquérir les outils nécessaires.

Au travers des différents groupes de travail ou selon les angles qu’il aura choisi pour analyser sa pratique, chacun d’entre nous cherche à progresser dans sa relation avec le patient, différent de lui, sujet de parole, avec sa capacité d’autonomie.
Nous développons ainsi un esprit critique et nous démarquons délibérément de ceux qui ne voient dans l‘échange avec le patient que la recherche de l’identification des traits de sa personnalité pour s’adapter à lui. Ces techniques de communication plus ou moins consciemment manipulatoires sont de plus en plus souvent employées et recommandées en particulier pour le suivi des patients atteints de maladie chronique et servent aussi de modèles dans certaines associations de patients. Elles nous paraissent gravement réductrices au détriment des autres champs possibles du changement de l’être humain.
L’isolement, le poids de la souffrance et de la demande inlassablement répétée des patients, la conscience de nos incompétences et de l’inadéquation parfois sans solution peut finir par nous envahir. La possibilité de rencontres entre professionnels sans finalité utilitaire immédiate est probablement un moyen très utile pour prévenir le burn out. L’élargissement de notre réflexion au-delà du seul champ médical confirme la difficulté de notre exercice, mais restaure aussi une assise plus solide et une image meilleure de ce que nous avons à affronter et de ce que nous pouvons appréhender. La confiance qui s’instaure permet la remise en question de nos pratiques et l’amélioration de celles-ci pour le mieux-être de tous.

Pour la SFTG, ce laboratoire d’idées qui débouche ensuite sur des actions concrètes proposées largement aux médecins généralistes ne peut exister que grâce à notre affirmation d’indépendance dans la formation médicale, en particulier par rapport à l’industrie pharmaceutique, mais aussi dans les relations avec l’université ou les syndicats. Cet espace ouvert offre une plus grande liberté de pensée et d’agir, une réelle créativité génératrice de mieux être, une révolte contre l’enfermement d’une vision exclusivement biomédicale.

Parce qu’aucun domaine de la connaissance ne peut prétendre détenir la vérité sur la relation médecin-patient, nous avons besoin de tous les éclairages possibles et donc d’un travail dans la pluridisciplinarité. Parce que, comme toute relation humaine, cette relation gardera toujours sa part « sacrée » de mystère, nous sommes contraints de l’interroger sans cesse en repartant modestement de notre pratique quotidienne.

SFTG : 233 bis rue de Tolbiac, 750I3 Paris - sftg@wanadoo.fr

par Isabelle De Beco, Pratiques N°36, mars 2007

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