Paul Scheffer
doctorant enseignant à Paris 8 et président de l’ADNC www.adnc.asso.fr
3,5 euros par jour sont nécessaires au minimum pour arriver à se nourrir convenablement en prenant comme critère ceux du Programme National de Nutrition et Santé (PNNS). Il faut savoir cependant que ce seuil a été calculé par des ordinateurs ayant toutes les informations pour optimiser leurs choix, autant dire que les personnes concernées par de telles démarches doivent certainement dépenser bien plus ; or, toujours selon Nicole Darmon, déjà cinq à six millions de personnes en France consacrent cette somme ou moins à leur alimentation [1].
La socio-anthropologue Christine César a mené une étude de plus d’un an concernant l’alimentation de familles en grande précarité, qui donne certains éclairages sur cette situation [2]. Jusqu’alors, les personnes ayant recours à l’aide alimentaire n’avaient pas été prises en compte par les études alimentaires. Avec en moyenne 2,60 euros par jour consacrés à la nourriture, les choix alimentaires privilégient les aliments gras et sucrés, ces derniers étant des apports caloriques peu chers, mais peu recommandables pour la santé : la qualité des produits et des graisses en question laissant à désirer. Ces personnes présentent ainsi des problèmes d’hypertension, de surpoids ou d’obésité, mais aussi de scorbut, d’anémie et de carence en folates. L’étude de Christine César montre également que souvent ces personnes n’arrivent pas à manger à leur faim.
La chercheuse souligne la souffrance psychique marquée qu’elle a pu rencontrer auprès de ces familles, avec un recours fréquent aux médicaments psychotropes pour tenir le coup. Elle insiste aussi sur le fait qu’il ne s’agit pas pour elle d’erreurs nutritionnelles, leurs choix s’avèrent au contraire tout à fait rationnels pour arriver à être « calé » à moindres frais. Elle invite ainsi les professionnels de santé, encore souvent porteurs de cette vision, à ne pas culpabiliser ces personnes lors de leurs interventions.
Pour Christine César, il s’agirait de faire en sorte que les conditions de vie économique de ces familles soient soutenues, par l’emploi de chèques fruits et légumes par exemple, qui sont sans doute un minimum quand on a en plus à l’esprit que les prix des denrées de base ont augmenté de près de 25 % entre 1998 et 2011 [3].
La lutte contre les inégalités économiques commence seulement en France à être considérée comme un vecteur d’amélioration de la santé publique, inscrite dorénavant dans différents plans d’État : le deuxième volet du PNNS notamment 4. Malgré cela, le sociologue et anthropologue Didier Fassin rappelle que « les inégalités sociales de santé présentent deux caractéristiques majeures : elles sont plus élevées que dans la plupart des pays européens et elles ont tendance à s’aggraver. [4] »