Interprétariat en médecine générale

Emmanuel Baudry, Emmanuelle Coulange, Anne Fallai, Marie-Ange Lecomte, Françoise Oheix, Louis-Marie Raimbault, Rosalie Rousseau, Adrien Rousselle
Médecins généralistes

        1. La présence d’interprètes professionnels dans les cabinets des médecins généralistes existe, mais est encore trop peu développée.

Selon le Code de déontologie médicale : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ».

Comment dialoguer avec nos patients, les écouter, les rassurer, les faire devenir acteurs de leur prise en charge si nous ne parlons pas la même langue ? De nombreuses expériences à l’hôpital comme en ville témoignent des difficultés rencontrées dans la communication avec les patients allophones (ne parlant pas français). En résultent parfois des erreurs de prescription, des reproductions d’examens complémentaires inutiles avec des conséquences à la fois sur la santé des personnes et sur les dépenses de santé… Cette barrière de la langue et de la culture du patient allophone constitue un véritable frein à prendre soin de celui-ci. Les interprètes professionnels permettent de faire le lien, d’établir une communication tant culturelle que linguistique, de percevoir les codes culturels au plus proche des besoins des personnes et de faciliter leur intégration dans le système de soins. [1] [2]

Octobre 2014. Un groupe de travail « Médecine de Proximité » sensibilisé aux difficultés d’accès aux soins des personnes en situation de précarité est mis en place dans l’agglomération nantaise. Il rassemble des médecins généralistes libéraux, des associations d’interprètes : l’Association Santé migrants Loire-Atlantique (ASAMLA) puis l’Association pour la promotion et l’intégration dans la région d’Angers (APTIRA), des membres des différents programmes Médecins Du Monde Pays de la Loire, de Nantes et Angers, de la Permanence d’accès aux soins de santé du CHU de Nantes, du SAMU social nantais… Un objectif : permettre et soutenir l’accès aux soins de proximité des personnes en situation de précarité, dont les personnes allophones. La présence d’interprètes professionnels n’était jusqu’alors possible qu’à l’hôpital, sur demande ponctuelle des professionnels de santé.

Cinq axes de travail sont discutés : la mise en place d’interprètes professionnels en ambulatoire, la médiation en santé, la construction d’un annuaire/guide pour faciliter la prise en charge des personnes en situation de précarité par les médecins généralistes, la formation initiale et continue des professionnels de santé et la mise en place d’un réseau santé précarité.

Juin 2017. Trois ans plus tard, en partenariat avec l’URML des Pays de la Loire, le projet d’interprétariat voit le jour, grâce à une expérimentation dans les cabinets des médecins généralistes volontaires de l’agglomération nantaise. Elle se fait sur le modèle de la mise en place de l’interprétariat professionnel en médecine libérale en Alsace et selon la charte de l’interprétariat social et professionnel en France adoptée à Strasbourg en 2012.

Ce projet consiste à mettre à disposition, gratuitement pour les médecins et les patients, les services d’interprétariat physiques (interprètes professionnels de l’ASAMLA) ou téléphoniques par le biais d’Inter service migrant (ISM Interprétariat). À partir d’octobre 2017, les médecins de l’agglomération angevine peuvent à leur tour avoir recours aussi à ces services (interprètes de l’APTIRA ou ISM). Une extension de l’interprétariat téléphonique à l’ensemble de la région Pays de la Loire est prévue courant 2018. Ce dispositif expérimental d’interprétariat est cofinancé par l’Agence régionale de santé et l’URML Pays de la Loire pour une durée de dix-huit mois. Les médecins généralistes participants signent une adhésion au projet et s’engagent à participer à l’évaluation du dispositif par un bref questionnaire en ligne après la consultation.

« J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences » cette phrase du serment d’Hippocrate, déclarée par les médecins en Occident avant de commencer à exercer, est prononcée plusieurs milliers de fois par an dans nos facultés de médecine. Si ce serment n’a pas de valeur juridique, il garde pourtant une forte valeur symbolique. Les interprètes professionnels sont une des clés de voûte d’une bonne communication. Ils s’appuient sur un cadre déontologique : la charte de l’interprétariat professionnel social et médical en France (fidélité de la traduction, confidentialité, secret professionnel, impartialité et respect de l’autonomie des personnes). [3]

La commission « précarité » de l’URML Pays de la Loire, avec la présence de médecins généralistes de Nantes, Angers, Cholet, Le Mans, la Roche sur Yon, continue à porter ces différents axes de réflexion en étant sensible et vigilante aux ressentis et besoins des patients concernés [4]. Un guide à destination des professionnels de santé accueillant des personnes en situation de précarité (concernant pour l’instant la Loire-Atlantique, le Maine et Loire et la Sarthe) a été réalisé et mis en ligne sur le site de l’URML Pays de la Loire [5]. Il est destiné à répondre aux nombreuses questions d’ordre médico-sociales, à proposer un annuaire local des partenaires sensibles à cette problématique et à permettre un travail en collaboration autour des personnes en situation de précarité. La commission a répondu à la consultation publique de l’HAS sur l’interprétariat professionnel et sur la médiation en santé [6].

Janvier 2018
À ce jour, au bout de six mois de fonctionnement sur la région nantaise et de quatre sur celle d’Angers, 153 médecins sont adhérents au réseau et celui-ci a reçu 173 sollicitations d’interprétariat.

Nous espérons que cette expérimentation se pérennisera, qu’elle s’étendra à d’autres régions, aux autres professionnels paramédicaux et sociaux et qu’elle sera complétée par des dispositifs de médiation en santé. Cela permettra aux patients, quels que soit leur parcours de vie et leurs origines, de se faire comprendre, d’être mieux soignés et de devenir autonomes.


par Emmanuel Baudry, Emmanuelle Coulange, Anne Fallai, Marie-Ange Lecomte, Françoise Oheix, Louis-Marie Raimbault, Rosalie Rousseau, Adrien Rousselle, Pratiques N°81, mai 2018

Documents joints


[1Le recours aux interprètes dans les consultations médicales est-il justifié ?, PASS international Joan Muela Ribera, Setats Unisnna Hausmann-Muela Koen Peeters Grietens & Elisabeth Toomer, 2008.

[2Usage et opportunité du recours à l’interprétariat professionnel dans le domaine de la santé – Analyse des pratiques d’interprétariat en matière de prévention et de prise en charge du Vih/sida, de la tuberculose et du diabète, Direction Générale de la Santé, Michaël Schwarzinge, décembre 2012.

[3« Ressenti des patients migrants allophones lors de leurs premières consultations médicales : entretiens semi-dirigé en Pays de la Loire avec des patients parlant désormais français », Anne Charlotte Gallon, Florence Le Quere, Thèse de médecine Nantes, janvier 2017.

[4« Ressenti des patients migrants allophones lors de leurs premières consultations médicales : entretiens semi-dirigé en Pays de la Loire avec des patients parlant désormais français », Anne Charlotte Gallon, Florence Le Quere, Thèse de médecine Nantes, janvier 2017.

[5Guide de l’accompagnement médico-psycho-social des personnes en situation de grande précarité par les médecins généralistes en région Pays De la Loire.

[6Dr Marie-Ange Lecomte, « L’intérêt d’un médecin généraliste pour la médiation en santé dans son cabinet et le quartier », Colloque Médiateur(e) s en santé : une approche reconnue, un métier à promouvoir ; 12 décembre 2016, p. 61.


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