J’ai accompagné ma sœur, Michelle, pendant plus de dix ans. Si je m’en tiens aux neuf derniers mois, plus particulièrement aux cinq derniers mois de sa vie, je ne me suis étrangement pas posé la question de l’euthanasie, ou très furtivement, car j’étais trop occupée à me battre pour qu’on veuille bien prendre en compte ses douleurs, ses souffrances et les soulager. Je souhaitais que ces douleurs cessent.
Ma sœur a vécu ses dernières années dans un Ehpad, proche de chez moi, que j’avais choisi pour l’avoir fréquenté une dizaine d’années auparavant. J’avais apprécié l’ambiance, la qualité de l’accueil offert à mon père – qui y avait passé quelques jours alors que j’avais dû me rendre à l’étranger –, l’attention qu’on lui avait apportée, les compétences du médecin et de l’équipe soignante. Mais pour Michelle, je me suis retrouvée dans un contexte bien différent. Pourtant, j’avais un a priori plutôt favorable.
Le juge des tutelles m’a désignée comme tutrice de ma sœur, après lui avoir demandé son avis. « Acceptez-vous que votre sœur devienne votre tutrice ? » et elle de répondre : « Oui, absolument ! » Le juge m’a alors précisé qu’il me revenait de faire tout ce qui pouvait être bon pour elle. J’ai essayé de garder ce souci comme cap de mes actions et décisions.
Michelle, après plusieurs AVC, une longue fréquentation de la bouteille et de la cigarette, était assez mutique. À moi, elle ne parlait que rarement, ne répondait presque jamais à mes questions, mais, en revanche, demandait que l’on me prévienne chaque fois qu’elle était envoyée aux urgences, devait se rendre à un rendez-vous médical à l’extérieur de l’Ehpad… Et je l’ai presque toujours accompagnée dans ces déplacements. Elle parlait, plus ou moins, avec certains résidents, avec une des personnes de l’accueil qui l’avait prise en affection. Mais elle ne disait pas grand-chose aux soignants, ne signalait pas ses problèmes de santé, ses douleurs…
Alors comment faire ? Était-ce à moi d’alerter le personnel soignant, le médecin, des altérations de son état de santé, de ses souffrances… ? Je me suis souvent posé la question, d’autant plus après avoir eu une discussion avec le nouveau directeur, quelques jours après l’arrivée de ce dernier à l’Ehpad. Il me demandait si tout se passait bien. Je lui ai dit qu’il m’était difficile d’obtenir des informations sur l’état de santé de ma sœur. Il m’a répondu vertement que la santé de ma sœur ne me concernait pas, qu’il y avait des personnels soignants pour se charger de ça ! J’ai été très étonnée, choquée même. Je pensais qu’être la sœur, la personne de confiance et la tutrice m’autorisait à m’informer de sa santé. De plus, l’Ehpad affichait l’importance de la présence des familles, comme le font certaines approches des soins infirmiers
Après quelques années sans trop de problèmes, les neuf derniers mois ont été très compliqués et douloureux pour ma sœur, et très difficiles pour moi aussi. À l’été 2022, j’ai constaté que l’état d’un de ses pieds se détériorait. Je l’ai signalé aux infirmiers, qui lui ont mis une bande de gaze flottant au vent et attachée comme les lanières d’une tong ! Ma sœur a commencé à avoir mal, mais ne disait rien aux soignants, malgré mes conseils et mes incitations. Il m’était très difficile de ne rien faire. Un jour que je signalai à un infirmier que ma sœur était douloureuse, il m’a répondu : « Ici, on part du principe que si on ne nous dit pas qu’on a mal, c’est qu’on n’a pas mal ». Il me semble qu’il existe des moyens, des outils d’évaluation de la douleur qui peuvent être mobilisés pour mesurer la douleur de quelqu’un qui ne s’exprime pas. Mais l’observation clinique d’une personne permet déjà, je crois, de se faire une idée de la situation. Après plusieurs « plans douleur » – le premier à la fin des années 1990 –, comment peut-on en être encore là ?
Et petit à petit, la douleur de ma sœur s’est installée. Combien de fois suis-je arrivée à l’Ehpad, et, dès la porte d’entrée passée, me suis-je entendu dire que ma sœur était « douloureuse ». Et ? Pas grand-chose. Pendant des mois, j’ai donc dû me battre pour que l’on prenne soin de Michelle, de ses douleurs et de ses souffrances.
Fin novembre, on m’a signalé que ma sœur était envoyée aux urgences de l’hôpital voisin. Elle avait du mal à marcher, sa jambe était en mauvais état et elle était très douloureuse. Constat : ses artères étaient bouchées. Elle a dû attendre plusieurs jours dans un service que le chirurgien puisse l’opérer, car il était surchargé. Elle souffrait énormément. Un dimanche, voyant à quel point elle se contractait à chaque élancement, je l’incite à appeler pour qu’on puisse la soulager. Mais, comme d’habitude, elle refuse. Je pars donc à la recherche de quelqu’un dans des couloirs vides. Je trouve une aide-soignante qui me dit qu’elle va prévenir. Un médecin, pressé, demande à ma sœur à combien elle évalue sa douleur sur une échelle de 1 à 10. Et j’entends ma sœur crier : 10. Elle sera soulagée. Finalement, le chirurgien a fait un premier pontage qui n’a tenu que trois jours. Il a effectué un deuxième pontage, plus compliqué, « pour sauver sa jambe ». Il a tenu un peu plus de deux mois semble-t-il. Le chirurgien lui a expliqué que la situation était critique, qu’elle devait absolument arrêter de fumer, sinon il faudrait l’amputer ou alors passer « aux soins palliatifs ». Et il m’a bien expliqué la situation à moi aussi.
À son retour à l’Ehpad, j’ai eu un bref échange, dans le couloir, avec des infirmiers et la psychologue. Ils pensaient que ma sœur ne voudrait pas d’une amputation. Mais qui en a discuté avec elle ? J’ai essayé, mais n’ai pas réussi à obtenir qu’elle me fasse part de son souhait. Elle m’a juste déclaré qu’elle avait bien entendu ce que le chirurgien lui avait dit. L’équipe soignante me pressait de faire un choix « puisque j’étais sa tutrice et sa personne de confiance ». Mais je n’arrivais pas à trancher. J’ai discuté avec des médecins, des soignants à l’extérieur de l’Ehpad, mais prendre une décision était difficile.
Si Michelle a essayé de limiter sa consommation de cigarettes après sa sortie de l’hôpital, elle n’a pas pu tenir longtemps. Le médecin ne veut pas non plus qu’elle fume car cela anéantirait le bénéfice du pontage. Je me retrouve à discuter dans la salle de restaurant avec une cadre administrative, une jeune psychologue, la pasteure et la cadre soignante. Nous pensons tous qu’il ne faut pas l’empêcher de fumer. Elle a déjà arrêté de boire du vin. Mais le médecin explose et impose un arrêt total de la cigarette, et plus personne ne doit lui en apporter. Plus aucune cigarette ! C’est lui, le médecin, qui décide. Coup de tonnerre ! Ma sœur accepte difficilement. Mais cette interdiction a un autre effet. Comme on lui avait interdit de fumer dans l’enceinte de l’établissement, ma sœur siégeait souvent sur une chaise, sur le perron d’entrée. Elle était connue de tous les visiteurs réguliers, qu’elle accueillait, à qui elle donnait des nouvelles de leurs proches. « Ah il est pas bien aujourd’hui », « Elle se repose »… et les gens discutaient avec elle… Une dame lui avait tricoté un ensemble bonnet, écharpe, gants pour qu’elle n’ait pas froid. Interdire à Michelle de fumer, outre le manque qui s’est installé, ajoutant de la souffrance à la douleur, c’était aussi lui faire perdre la place qu’elle s’était faite dans l’établissement. Michelle s’est rebellée, elle voulait fumer, c’était obsessionnel. On lui a donc posé des patchs pour accompagner le sevrage de tabac, mais elle les arrachait tous… Elle s’est refermée sur elle-même.
Puis passage à l’hôpital pour un écho doppler pour vérifier l’état du flux sanguin dans sa jambe. Elle ne se laisse pas facilement examiner. Elle ne « coopère pas ». Le médecin me fait entrer pensant que ma présence va la calmer, mais non. Mais je ne sais pas pourquoi, prise par ce qu’on me renvoie du comportement de ma sœur, je ne pense pas à signaler qu’elle est douloureuse. Le médecin me dit que, puisque le seul chirurgien vasculaire de l’hôpital est absent pour deux mois, je devrais prendre un autre avis dans un autre établissement. Qu’il ne fallait pas que je « porte tout ça » seule.
Je finis par obtenir un rendez-vous fin février dans un service de chirurgie cardiaque et vasculaire d’un autre établissement hospitalier spécialisé. L’état de ma sœur ne s’est pas amélioré. Elle souffre d’une escarre énorme. Le chirurgien demande à l’infirmière de défaire le pansement. En voyant son pied, l’état de l’escarre, peu soignée, celle-ci me dit : « Le chirurgien va la mettre tout de suite sous morphine ». Elle s’accroupit pour nettoyer, sécher la plaie afin que ma sœur puisse continuer à laisser pendre ses jambes. Le chirurgien note qu’elle est très douloureuse, qu’il est difficile de lui faire ses pansements et qu’il n’est pas « licite » de lui proposer une nouvelle revascularisation qui serait vouée à l’échec. Il faut donc prendre en charge ses douleurs, soit en augmentant le traitement médicamenteux, soit en envisageant une amputation. Mais, au vu de son état général, cela pose question. Le chirurgien le signale au médecin de l’Ehpad, à qui il propose de discuter les options avec ma sœur et moi-même, et lui écrit qu’il est joignable si besoin.
Retour à l’Ehpad. On m’a rapporté que le médecin a contacté le chirurgien pour qu’il fixe une prescription d’antalgiques. Quand je demande au médecin de l’établissement si on ne peut pas augmenter les antalgiques, prendre en charge les douleurs et souffrances, puisqu’il ne reste que cette option, en pensant à une approche palliative, elle me répond : « On n’en est pas là ! Les soins palliatifs c’est quatorze jours avant le décès ! ». La réponse me laisse interloquée. Qui peut prédire le jour et l’heure du décès de quelqu’un ? Et en conséquence décider du moment d’une prise en charge en soins palliatifs ? N’y a-t-il pas confusion entre la durée moyenne actuelle de prise en charge dans des services de soins palliatifs qui ne sont pas assez nombreux sur le territoire et avec pas assez de lits et le fait de faire de cette durée une norme temporelle à partir de laquelle on pourrait envisager la prise en charge de douleurs de plus en plus intenses, sans considérer chaque situation individuelle et son évolution particulière ?
J’essaie d’obtenir que ma sœur me donne en quelques sorte des « directives anticipées ». Mais pas de réponse. Elle me redit juste qu’elle veut donner son corps à la science. Mais en l’absence de document signé en ce sens avant sa mise sous tutelle, le juge refuse que j’accède à cette demande. N’obtenant pas de réponse concernant sa fin de vie, je prends contact avec la pasteure de l’établissement qui s’entend bien avec elle. Celle-ci me tendra un jour un court billet. Ma sœur y a inscrit qu’elle souhaite qu’il y ait une cérémonie à l’Ehpad après son décès, qu’on écoute le requiem de Mozart pendant qu’on lira le texte de l’évangile sur la samaritaine.
Michelle souffre de plus en plus. Elle se tord autour des barrières de son lit pour pouvoir laisser pendre ses jambes, ce qui la soulage un peu. Lorsque je signale au médecin qu’elle est vraiment douloureuse, il me dit que les personnels de nuit constatent, au cours de leur tour, qu’elle est debout et « déambule ». Donc… je dois comprendre qu’elle n’a pas mal. Petit à petit, tout le personnel médical et soignant me sert cette histoire chaque fois que je fais remarquer qu’elle a mal. Je n’ai jamais cru à cette explication. Je sais que l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs est très douloureuse. J’ai lu quelques articles, mais je n’ai découvert que bien après son décès (et je m’en veux) que faire pendre ses jambes, se lever le soir, rester debout, signent une étape du développement de la maladie. Alors déni de la gravité de l’état de santé de ma sœur ? Méconnaissance de la maladie ? Un infirmier me dira qu’ils n’ont jamais eu un tel cas. Soit, mais n’est-ce pas une opportunité pour s’informer, raviver des connaissances ? Je m’interroge sur l’importance accordée à la formation professionnelle continue des médecins et des soignants dans les Ehpad. À quoi cela sert-il de passer des conventions avec des services de gériatrie aiguë, des services de soins palliatifs hospitaliers ou mobiles s’ils ne sont pas mobilisés, s’ils ne permettent pas un transfert de connaissances et de compétences ?
À cette période, je n’arrive pas à contacter les soignants, à les faire passer dans sa chambre. Ils ne viennent qu’aux heures prévues pour les traitements, ne répondent pas aux sonnettes, quand elles sont atteignables. Un jour, lorsque l’infirmier est là, je lui demande de signaler au médecin à quel point ma sœur est douloureuse. Je lui demande de le noter dans son dossier. Le lendemain, j’appelle le médecin présent ce jour-là – il assure deux demi-vacations dans la semaine. J’attire son attention sur l’état douloureux de ma sœur. Il me répond qu’il n’a pas « notion » de cela, que rien n’est marqué dans le dossier. Le personnel soignant semble fuir la chambre de ma sœur. Je suis obligée de me poster dans le couloir pour intercepter quelqu’un. Une fois deux aides-soignants acceptent, un peu contraints, de la réinstaller un peu mieux dans son lit. Ils la soulèvent, la remontent et la laissent tomber comme un sac de pommes de terre ! Ma sœur gémit. Et me dit après leur départ : « Tu vois pourquoi je n’appelle pas ! » Une autre fois, j’appelle avec mon portable le poste de soins car ma sœur a encore mal, alors qu’elle aurait dû être sous l’effet d’une injection de calmants. Je dis donc à l’infirmier qui décroche que je m’étonne de son état. Il me répond qu’il est bien passé à 16 heures.
« Mais j’étais dans la chambre de ma sœur à 16 heures ! » Il me répond juste : « Ah » et raccroche.
Le samedi de Pâques, l’Ehpad m’appelle pour me signaler que ma sœur vient d’être envoyée aux urgences de l’hôpital. Je m’y précipite. Je signale mon arrivée à l’accueil. Une interne me demande si je peux lui en dire un peu plus sur ce qu’il lui arrive. Elle me dit qu’ils ont appelé plusieurs fois l’Ehpad et que personne n’a été en mesure de leur donner des informations sur ce dont elle souffre. Et elle-même ne dit rien. Donc j’explique ce que je sais. L’interne repart et un médecin senior vient me voir, me dit que l’état de Michelle est très grave, qu’il faut augmenter les antalgiques, initier une sédation profonde et continue, prendre contact avec un service de soins palliatifs. Il l’indiquera dans le compte rendu du passage aux urgences. Il dit aussi qu’il faut informer sa famille, qu’il s’agit maintenant d’une question d’heures, de jour et que c’est une honte de la déplacer dans cet état. En fait, j’ai déjà prévenu la famille, mais le médecin de l’Ehpad ne semble pas très au clair de la situation.
Retour à l’Ehpad. J’annonce la fin proche de ma sœur à la personne de l’accueil, qui se précipite vers elle. Elle est très émue, a du mal à accepter la situation, car elle a beaucoup soutenu Michelle tout au long des derniers mois. J’informe aussi les soignants présents, leur signale que le médecin des urgences conseille d’initier une sédation profonde et continue. Mais les infirmiers me disent que c’est le week-end de Pâques et qu’ils ne peuvent rien faire, qu’il me faut attendre le mardi de Pâques. « Ici on n’est pas à l’hôpital » ! Je suis désespérée, en colère, je demande à parler au médecin de l’Ehpad. Finalement, ils accepteront de l’appeler. J’évoque une sédation profonde et continue, et il me répond : « Mais on n’en est pas là ! On pourrait la montrer dans un autre service d’urgence… »
Cela a été pour moi, et pour ma sœur avant tout, un week-end d’enfer. Je ne sais plus si c’est le samedi ou le dimanche où j’ai essayé de joindre des services de soins palliatifs, mais week-end de Pâques oblige, les services sont tous sur répondeur. « Laissez-nous un message, nous vous rappellerons. » Seul un service signale un numéro d’appel, mais réservé aux médecins. Ne sachant pas comment faire, j’appelle SOS médecins, ils sont débordés et ne peuvent venir. Alors je rappelle le médecin senior des urgences. Il me dit que c’est au médecin de l’Ehpad de le faire. Je lui rapporte que ce médecin considère « qu’on n’en est pas là ». « C’est hallucinant », me dit-il. « Donnez-moi son numéro, je vais l’appeler. » J’aurai un peu plus tard au téléphone le médecin de l’Ehpad qui me dira : « Alors on va dire qu’elle est en soins palliatifs »…
Le mardi de Pâques, je suis aux obsèques d’un ami. Je reçois un appel de l’Ehpad me signalant qu’une coordinatrice d’un service d’HAD va venir voir ma sœur l’après-midi même. Je me rends à l’Ehpad.
La coordinatrice arrive, l’infirmière qui est là est la seule à s’être rendu compte de l’état de Michèle, de ses douleurs… Elle explique à la coordinatrice que Michelle est calmée. Lui propose de regarder l’état de sa jambe. Lorsqu’elle défait le pansement, ma sœur se met à geindre. La coordinatrice est impressionnée par l’état de sa jambe, bien noire et constate qu’elle n’est pas assez calmée. Elle me dit qu’elle va mettre en place le passage d’un infirmier de l’HAD, mais qu’il faut compter une dizaine de jours. Elle m’appellera finalement le lendemain pour me dire qu’elle va pouvoir envoyer quelqu’un huit jours plus tard.
À la fin de cette semaine, plusieurs membres du personnel – personnels des cuisines, animatrice, psychologue, des aides-soignants que je ne connais pas – sont venus rendre visite à ma sœur pour lui faire leurs adieux. Et chacun de me dire : « Qu’est-ce qu’elle aura souffert ».
Le lundi après-midi suivant, je me trouve dans la chambre de ma sœur avec mon fils aîné. Arrive un monsieur qui me dit être l’infirmier de l’HAD, qu’il vient installer le matériel nécessaire à sa prise en charge. Il commence à ouvrir ses paquets quand entrent une infirmière et un infirmier. L’infirmière s’adresse de façon assez agressive à l’infirmier de l’HAD en lui demandant comment il se fait qu’il soit là. A-t-il un document précisant qu’il peut intervenir ? Une prescription ? L’infirmier répond calmement qu’il a tout ça, qu’il est envoyé par le service de HAD. L’infirmière continue à protester, lui dit que ça ne sert à rien d’installer une pompe à morphine, qu’ils ne savent pas s’en servir ici, et le personnel de nuit encore moins. Elle cherche vraiment à le faire partir ! Puis s’avisant que nous sommes mon fils et moi dans la pièce, demande à l’infirmier de les suivre pour qu’ils aillent discuter ailleurs. Au bout d’un moment, ils reviennent. L’infirmière déclare sur un ton aimable que tout est arrangé, que l’infirmier de l’HAD va continuer à installer ses équipements, et s’approche de ma sœur – je ne sais pas si elle était encore consciente – et lui caresse la joue en disant : « Ah, vous nous en aurez fait voir ! ».
Finalement, ma sœur décèdera le mercredi après-midi, soit exactement 48 heures après le passage de l’infirmier de l’HAD et la mise en place de la pompe à morphine.
Lors de la cérémonie qui, selon le vœu de ma sœur, a été organisée à l’Ehpad, une aide-soignante a évoqué sa vie dans l’établissement et n’a pas manqué de rappeler combien elle a souffert, combien elle a été douloureuse. Mais elle a souligné le « courage » dont elle a fait preuve.
Au regard de ce long accompagnement de ma sœur, de ses souffrances et douleurs qui ont été, me semble-t-il, insuffisamment apaisées, aurais-je pu envisager une demande d’euthanasie ? Mais était-ce à moi de le faire ? Etait-ce nécessaire ? Ce qui me pose problème à propos de la demande d’euthanasie, c’est la question du moment où elle pourrait – légitimement ? – être exprimée par l’intéressée, ou sa personne de confiance si elle ne s’exprime pas, être entendue, accordée, quand la mort – la délivrance des douleurs et des souffrances – se fait longuement attendre. Mais comment demander, obtenir une « mort douce », lorsque les soins apportés par l’équipe médico-soignante n’ont pas été appropriés ?
Il me semble que la possibilité d’une demande d’euthanasie, et sa réception, s’inscrivent dans l’histoire de chacun, soigné, soignant et accompagnant, de ce qu’ils ont vécu, expérimenté, discuté, du type de rapport qu’ils ont pu instaurer, ou pas, en particulier un rapport de confiance.