Exiger la liberté de penser

Edito

Comment ne pas être inquiets de ce qui nous arrive, à l’ère où tout et n’importe quoi peut se dire à longueur de journée sur les ondes, s’écrire dans les journaux et sur les milliers de sites qui encombrent la toile. Si la liberté d’expression s’arrête à quelques sujets fâcheux dont la liste fait à peu près consensus (racisme, sexisme, injures, pornographie, antisémitisme etc…), il n’est pas interdit de colporter des rumeurs, de falsifier la vérité, d’interpréter plus ou moins volontairement à charge...
La pandémie a mis en lumière les incertitudes de la science, ses limites, ses balbutiements, ses essais et erreurs. L’instrumentalisation par certains de données incomplètes met le citoyen de bonne volonté dans une inquiétude déstabilisante et fait le lit d’une désinformation incontrôlable. Ce qui était jusque-là discuté entre chercheurs s’est trouvé mis sur la place publique sans filtre, voire avec des filtres déformants.
Certains médecins, peu enclins à la remise en question, ajoutent leurs convictions à leurs savoirs et refusent tout débat avec ceux qui doutent de la pertinence des remèdes proposés. La courbe ascendante des antivax s’appuie sur ce refus de dialogue et projette les citoyens dans une confusion délétère, voire les enferme dans le sentiment qu’on les prend pour des imbéciles.
Face à la manipulation habile de certains et à l’injonction de se plier aux décisions des tenants du pouvoir, notre libre arbitre est en panne de boussole.
L’esprit critique, qui est la matière absente de l’éducation et, en particulier, des formations médicales et paramédicales, a du mal à se frayer un chemin dans la nébuleuse des savoirs dont il est devenu impossible de trier « le bon grain de l’ivraie », car rien ne permet au citoyen ordinaire de mesurer la fiabilité de l’information.
Condamnée à obéir sans adhérer, c’est alors toute la société qui doute : de l’honnêteté des fabriquants de vaccins, des compétences de la médecine qui avalise, des gouvernants qui se défaussent de leurs responsabilités ou se mêlent de sujets qu’ils feraient mieux de laisser à ceux qui les maîtrisent. Cette situation instaure un climat de méfiance et d’anxiété et provoque le rejet en bloc de toute obligation, fut- elle justifiée. Dans ce monde ou plus rien n’est gratuit, comment ne pas se poser la question de « A qui profite tout ça ? ». Comment et où exprimer un doute légitime sans être immédiatement suspecté de complotisme ?
S’il faut bien constater que l’ère est à la soumission malaisée, nous devons nous insurger contre ce déni de notre intelligence individuelle et collective et exiger l’instauration dans tous les lieux de formation, depuis la toute petite enfance, d’une formation à l’esprit critique, du souci de la rigueur et l’obligation d’apprendre à penser ce que l’on fait ainsi que les effets à plus ou moins long terme de nos actes.
Il ne peut pas y avoir de vraie démocratie sans la volonté indéfectible d’informer les citoyens, honnêtement et en toute indépendance, sans leur donner les moyens de peser le pour et le contre, d’argumenter, de discuter.
C’est désormais à cela que nous devrions consacrer notre énergie militante, apprendre collectivement à penser et agir pour le bien commun !


par pratiques, Pratiques N°95, décembre 2021

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