Chantal Beauchamp,
enseignante retraitée, membre du Réseau Education Sans Frontières 37
Le droit au séjour pour soins
En 1998, et suite à des tentatives d’expulsion d’étrangers malades ayant suscité l’indignation de l’opinion, le législateur a instauré un droit au séjour pour soins [1]. Les bénéficiaires de ce droit au séjour sont dans la plupart des cas des étrangers déjà présents sur le territoire souvent depuis plusieurs années et qui, pour une raison ou une autre, soit n’ont jamais eu de titre de séjour, soit se le sont vus retirer (demandeurs d’asile déboutés par exemple).
La procédure
Pour bénéficier de ce droit, il faut se présenter à la préfecture, remplir un dossier administratif complété de pièces d’état civil. Sont alors remis à l’étranger la liste des médecins agréés par la préfecture, et le formulaire sur lequel le médecin agréé rédigera son certificat. Tout médecin hospitalier du service public, sauf les internes, peut également établir ce certificat, qui doit poser le diagnostic et préciser que l’état du patient nécessite des soins en France. Ce certificat confidentiel est envoyé au médecin de l’Agence régionale de santé (ARS), qui émet un avis (il peut demander la convocation de l’étranger devant une commission médicale régionale). Cet avis apprécie la possibilité pour l’étranger de se faire soigner dans son pays d’origine. Il est communiqué au préfet qui prend la décision d’accorder ou non le droit au séjour pour raison de santé. Si la décision est un refus, elle est accompagnée d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) dans un délai d’un mois, à l’issue duquel la personne s’expose à être placée en rétention administrative et expulsée. Cette OQTF peut être contestée devant le tribunal administratif, mais ce recours n’est pas suspensif. Si la décision préfectorale est positive, l’étranger se voit délivrer un titre de séjour d’un an, mention « Vie privée et familiale » avec (sauf stipulation contraire) le droit de travailler, ce qui lui permet de bénéficier de l’Assurance maladie, tout en contribuant, par ses cotisations et celles de son employeur, au financement de la Sécurité sociale.
Précarité et arbitraire
Le renouvellement de la carte d’un an est soumis au dépôt d’un nouveau dossier médical, selon les mêmes modalités. Les délais de traitement excédant la durée de validité de la première carte, l’étranger est amené à solliciter des récépissés ou des Autorisations provisoires de séjour (APS) en attendant la décision préfectorale — le plus souvent sans autorisation de travail. Rien n’est donc jamais acquis. Au moins le demandeur toujours malade a-t-il l’espoir que le nouveau certificat médical, fait par le même médecin, recevra la même réponse du médecin de l’ARS car il sait que, là d’où il vient, le système de santé présente les mêmes graves déficiences que l’année précédente.
Mais c’est postuler, bien à tort, que le médecin de l’ARS juge de la gravité de la maladie et de la possibilité ou non de se faire soigner dans son pays d’origine en fonction des mêmes critères d’une année sur l’autre. Las ! Souvent médecin d’ARS varie ! Les associations de soutien aux étrangers ont pu constater qu’à partir de juillet 2010, le médecin de l’ARS du Centre s’est mis à délivrer des avis défavorables sur les situations pour lesquelles un avis favorable avait été donné l’année précédente. Ce zélé praticien avait ainsi anticipé d’un an la loi du 16 juin 2011 qui, grâce à une subtilité sémantique, permet de multiplier les avis négatifs et les décisions de refus. Avant cette loi, le médecin de l’ARS devait s’assurer de ce que, dans le pays d’origine, le traitement médical approprié à la personne lui serait bien accessible. Depuis juin 2011, il ne doit plus s’assurer que de ce que le traitement soit disponible dans le pays d’origine. Cela justifie un avis négatif même si le traitement ne peut pas être dispensé, pour des raisons d’éloignement des structures de soins, ou de coût. Nul doute que le droit au soin des étrangers est devenu une variable d’ajustement des quotas d’expulsion.