Serge Sadois
Retraité actif
Avant j’étais travailleur indépendant, ce qui est un contresens dans la mesure où j’étais totalement dépendant de la demande des clients. Comme le jour où cet éditeur me demande si je voulais ou pouvais m’aligner sur un concurrent qui ne proposait rien moins que 40 % moins cher, même s’il savait que le travail serait moins bon, patati patata, etc. J’en suis resté là avec ce client-là.
Quitte à faire des comptes, en prenant mon âge et les trimestres acquis, j’ai vu que je pouvais liquider ma retraite. Ce qui fut fait, vite fait bien fait.
Sauf que… J’arrêtais un travail que j’aimais bien pour faire quoi ?
J’ai eu l’affreuse sensation que j’allais m’ennuyer, voire m’emmerder carrément. Mais très vite, autour de moi, de bonnes âmes l’ont su et sont venues me solliciter pour des associations. C’est simple, elles sont venues me demander de travailler pour rien, alors que j’avais refusé de travailler pour 40 % de moins.
Avec l’avantage que le pro doit avoir des résultats et que le pauvre bénévole, il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a, argument intéressant que je saurai utiliser.
C’est comme ça que je me suis retrouvé dans plusieurs associations et là ! Stupeur ! Quel cauchemar ! Que des vieux et des encore moins jeunes, tous très sympathiques, actifs, érudits et pleins d’idées, tous dévoués pour aider les autres, pour combattre les injustices et les grandes causes oubliées de la société… et j’en oublie certainement, mais tout de même, tous sérieusement âgés. Tous considérés comme improductifs parce que sans emploi rémunéré, mais finalement produisant un travail considérable.
J’ai compris que la retraite pouvait être un monde où je pouvais travailler juste pour me faire plaisir. Une manière comme une autre de me mettre en phase avec mon état civil et de me rassurer sur le remplissage de mon agenda.
Étant en contact avec ces gens intelligents et érudits, pour compenser le décalage, j’ai fréquenté quelques lieux dits culturels. Par exemple, début octobre, une nouvelle saison de spectacles a débuté.
Pour récupérer les billets de l’abonnement trimestriel, je suis arrivé un peu avant le début du spectacle et, très vite, installé dans la salle en haut du parterre. Les spectateurs sont arrivés, des vieux, cheveux blancs et crânes dégarnis, attention, pas des têtes rasées comme c’est la mode actuellement, non non, rien que des vraies alopécies terminales naturelles.
Pour finir, peu de jeunes dans la salle, à croire que le monde de la culture est en partie financé par cette tranche d’âge, par ces gens que la novlangue peine à désigner, Vieux ? C’est daté, troisième âge ? Ça fait entrée en Ehpad, etc. Le vocable utilisé est nos aînés, ce qui est con parce que, primo, je suis un des cadets de la fratrie, et que, secundo, je ne leur appartiens pas.