Patrick Dubreil
Médecin généraliste
Un enfant fait une crise d’asthme. Il est albanais, érythréen, syrien, soudanais, guinéen, peu importe, il est né sur la planète Terre. Ses parents, demandeurs d’asile en France, sont inquiets... Cette famille a vécu et vit un parcours d’errance dramatique, invisible et banalisé comme des millions d’autres.
Qui va s’assurer de l’accès aux droits de la famille (logement, soins, nourriture, vêtements...) ? Une assistante sociale ? Qui va s’assurer que l’enfant prend convenablement son traitement bronchodilatateur et corticoïde lors de ses crises nocturnes en plein hiver ? Qui le lui aura expliqué ? L’infirmière, le médecin généraliste, la maman à qui les soignants auront appris à se servir des sprays et de la chambre d’inhalation ? Qui sera au chevet de l’enfant malade, si lointain parce qu’au nom difficile à prononcer, mais si proche par son cœur battant comme le nôtre ? Va-t-il finir aux urgences en état de détresse respiratoire ? Le ministre de l’Intérieur va-t-il le renvoyer lui et sa famille dans l’horreur de la guerre ?
Nous rencontrons ces personnes chaque jour. Elles font partie d’un monde souterrain où sont enfermés les étrangers, et les soignants qui les accompagnent, monde créé délibérément, et sans « micros », par les politiques, dans les salons feutrés du pouvoir, qui auto- risent la libre circulation des capitaux, mais pas celle des hommes, surtout s’ils sont opprimés et cherchent à se mettre à l’abri.
Nous sommes des soignants et des militants révoltés face à l’injustice, nous portons les prin- cipes républicains, nous sommes des soignants-militants de la République, la vraie, la sociale, ouverte à tous. On ne peut dissocier les termes « soignants » et « militants » de même que « République » et « sociale », sinon c’est un crève-cœur, un non-sens, une absurdité.
Nous devons revendiquer, remettre de la politique dans nos actes soignants, c’est-à-dire prendre en compte tout le contexte dans lequel vivent les patients, ouvrir tous les tiroirs possibles des sciences humaines, refermer ces tiroirs, les rouvrir sans cesse, afin de soigner, soulager et parfois libérer. C’est la seule condition de la démocratie totale : remettre de la politique là où ça paraît incongru, là où elle n’aurait jamais dû disparaître, là où elle a été « kidnappée » par les élites professionnelles des partis au service du patronat et des actionnaires.
Il s’agit de recréer la République sociale dans les pas des révolutionnaires de 1789, de 1848, des communards de 1871, des ouvriers de 1936, des résistants de 1939-1945 fondateurs du programme des « jours heureux », des décolonisateurs, des militants de mai 1968, des femmes grecques des années 2000, de leurs créations dans les dispensaires médico-sociaux autogérés... des Français du mouvement « anti-loi travail » de 2016.
Pour les femmes grecques dont je parle, la question de l’engagement politique est résolue depuis longtemps, elles ont eu maintes occasions de la mûrir de génération en génération sous le joug turc, nazi et aujourd’hui néolibéral. Elles sont celles des Européennes qui pos- sèdent le moins et partagent le plus, sans distinction entre Grecs ou migrants. Posez-leur la question : « Êtes-vous soignante ou militante ? »
Je vois déjà les visages de Ninetta, Georgetta ou Vera ! Elles vous riraient au nez, dans un grand éclat de rire et vous lanceraient joliment : « En avant camarades ! »