Développer la PharmacoVigilance

La PharmacoVigilance est une branche de la Pharmacologie Clinique ayant pour objet la détection, l’évaluation, la compréhension, mais aussi la prévention du risque d’effets indésirables des médicaments.

Jean-Louis Montastruc, François Montastruc, Delphine Abadie et Haleh Bagheri
Service de Pharmacologie Médicale et Clinique, Centre Midi-Pyrénées de PharmacoVigilance, de PharmacoEpidémiologie et d’Informations sur le Médicament, Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse

Actualité de la Pharmacovigilance
Les définitions et objets de la Pharmacovigilance sont actuellement en plein développement, avec notamment la nouvelle directive européenne en vigueur depuis le 21 juillet 2012. Celle-ci élargit en particulier le champ de l’effet indésirable médicamenteux. Celui-ci se définit comme « une réaction nocive et non voulue à un médicament se produisant aux posologies normalement utilisées chez l’homme ». Mais cette définition comprend désormais également « les réactions nocives résultant des erreurs médicamenteuses ainsi que les utilisations non conformes aux termes de l’Autorisation de Mise sur le Marché, y compris le mésusage, l’abus, le surdosage et l’exposition professionnelle ». L’erreur médicamenteuse peut être définie comme l’omission ou la réalisation non intentionnelle d’un acte survenu au cours du processus de soins impliquant un médicament. Cette erreur peut être à l’origine d’un risque ou d’un effet indésirable pour le patient.
L’analyse a posteriori de l’erreur permettra de la caractériser et de la qualifier par sa nature, son type, la gravité de ses conséquences cliniques pour le patient, l’étape de réalisation dans la chaîne de soins. L’erreur peut trouver sa source dans une mauvaise conception du médicament et de l’information qui lui est associée (confusion de dénomination, conditionnement inadapté, problème d’étiquetage ou de notice d’information, etc.), ou dans l’organisation systémique du processus de prise en charge thérapeutique du patient. Les effets indésirables médicamenteux résultant des erreurs médicamenteuses font donc désormais partie du champ de la Pharmacovigilance.

De même, le champ de la notification spontanée a été étendu, puisqu’on est passé d’une obligation de déclaration des seuls effets indésirables « graves » ou encore « inattendus » (définis comme ne figurant pas dans le Résumé des Caractéristiques du Produit) à une obligation de déclaration de tous les effets indésirables, quels que soient leur « gravité » ou leur caractère « attendu » ou non. Il reste à savoir si les professionnels de santé auront la disponibilité d’effectuer ces déclarations d’effets « non graves » ou encore « attendus », alors même qu’ils ne répondaient pas toujours aux obligations de déclaration des effets « graves » ou « inattendus ». Les Centres de Pharmacovigilance pourront-ils aussi traiter ce surcroît d’information ?
Enfin, les possibilités de déclaration d’effets indésirables médicamenteux aux Centres Régionaux de Pharmacovigilance ont également été étendues. Auparavant, seuls les professionnels de santé prescripteurs (médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes) ou encore pharmaciens étaient tenus à une obligation de déclaration. Depuis l’été 2011, cette possibilité de déclaration des effets indésirables (comme des erreurs médicamenteuses) aux Centres Régionaux de Pharmacovigilance a été élargie aux patients eux-mêmes.
Notre première expérience de déclaration des effets indésirables médicamenteux par les patients au Centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigilance s’avère tout à fait positive [1]. De juin à octobre 2011, nous avons reçu (en dehors des notifications benfluorex ou vaccins de la grippe H1N1) vingt-et-une notifications de la part des patients, ce qui correspond environ à trois à quatre déclarations par mois. Ce chiffre augmente régulièrement depuis. La plupart de ces effets indésirables ont été « graves » (81 %) et nous avons pu les confirmer médicalement dans plus de 85 % des cas. Il s’agissait essentiellement d’effets indésirables musculaires (24 %) avec surtout les médicaments neuropsychotropes (32 %), antiinfectieux (28 %), ou pneumotropes (12 %). Nous avons noté la bonne informativité des observations venues des patients ce qui permet, d’une part, leur inclusion dans la Base Nationale de Pharmacovigilance et, au-delà, leur utilisation pour la prise de décisions en Pharmacovigilance et pour la prévention du risque d’effet indésirable ou d’erreur médicamenteuse. Dans certains Centres Régionaux de Pharmacovigilance (comme celui de Midi-Pyrénées), la déclaration en ligne est désormais possible tant pour les professionnels de santé que pour les patients : www.bip31.fr/declarationenligne.php

Rôle de la Pharmacovigilance dans la prévention
Au sein de ces multiples missions de la Pharmacovigilance, la prévention s’avère la plus difficile à mettre en place, même si elle correspond au but ultime de la Pharmacovigilance.
Dans ce cadre, le développement d’échelles d’évitabilité des effets indésirables est un élément majeur pour la prévention du risque médicamenteux. Plusieurs échelles [2], dont une française [3] ont été développées. Elles ont permis de montrer que le pourcentage d’effets indésirables médicamenteux évitables était de l’ordre de 50 % environ (1 sur 2 !). Dans le même ordre d’idée, l’établissement de listes de médicaments potentiellement inappropriés chez le sujet âgé, adaptées aux pratiques européennes et françaises [4] apparaît aussi comme un élément important de la prévention en Pharmacovigilance.
Cette prévention des effets indésirables, comme de l’erreur médicamenteuse, passe par deux activités essentielles :

L’information sur le médicament dans tous ses aspects : mode d’action, effets attendus ou inattendus, favorables comme fâcheux et risques d’interaction. En ce sens, les activités d’envoi de lettres d’informations aux médecins et aux pharmaciens (lettres aux prescripteurs) ou encore les communiqués de presse de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) doivent être renforcés et mieux diffusés aux professionnels de santé. Le rôle de la presse d’information indépendante (comme La Revue Prescrire  : www.prescrire.org/fr/, les bulletins d’informations indépendants des Centres Régionaux de Pharmacovigilance, comme, par exemple BIP31.fr (www.bip31.fr) ou encore les revues de l’ISDB International Society of Drug Bulletins www.isdbweb.org/members/bulletin_index) doivent être mieux connus, plus utilisés et toujours encouragés. Finalement, cette activité d’information des Centres Régionaux de Pharmacovigilance concerne désormais, dans le cadre de l’évolution européenne, non seulement les professionnels de santé, mais aussi les patients [5] : les Centres Régionaux de Pharmacovigilance assurent une permanence téléphonique ouverte à tous.

La formation initiale des médecins, pharmaciens et autres professionnels de santé sur le médicament reste, malgré tout, encore insuffisante. Tous les aspects du médicament et de sa pharmacologie doivent être mieux et plus enseignés, qu’il s’agisse du mécanisme d’action du médicament, de sa classe pharmacologique, de son métabolisme (avec en particulier la participation des isoenzymes du cytochrome P 450 ou encore de la glycoprotéine P), du risque d’interactions médicamenteuses, des effets indésirables ou encore de leur véritable efficacité (effectiveness) ou danger en situation réelle... En ce sens, les études de PharmacoEpidémiologie (c’est-à-dire l’évaluation du médicament à l’échelle de la population, tant dans ses aspects positifs que dans ses risques) après l’AMM doivent être largement développée dans notre pays et en Europe. Il convient de mettre en place (enfin !) de vraies bases de données alliant diagnostics et traitements pour permettre ces études, désormais indispensables à une évaluation moderne du médicament pour nos malades. Il faut s’assurer de l’indépendance des sources et surtout des financements et donc des travaux générés à partir de ces bases de données. Il apparaît également indispensable de bien former les professionnels de santé à l’appréciation des avantages réels d’un médicament en leur apprenant notamment à distinguer les effets du médicament sur des critères cliniques pertinents (c’est-à-dire morbi-mortalité ou encore qualité de vie) de sa seule action sur des critères intermédiaires (c’est-à-dire biologiques ou radiologiques).

En conclusion
Les activités de Pharmacovigilance dans leur multiplicité et leur évolutivité permettent l’évaluation du rapport bénéfice/risques du médicament en situation réelle de prescription, c’est-à-dire hors des conditions artificielles de l’essai clinique en double insu, comparatif avec tirage au sort [5], [6]. Les Centres Régionaux de Pharmacovigilance, structures indépendantes d’informations validées sur le médicament, aident les professionnels de santé à choisir, pour un patient donné, le médicament le plus actif et le mieux étudié pour le moindre risque d’effets fâcheux. Ces partenaires de la prescription sont, pour les prescripteurs, les structures de référence d’informations sur le médicament. On raisonne habituellement en termes de bénéfice/risques. Pourquoi ne pas penser plutôt, désormais, dans l’intérêt de nos patients, au rapport risques/bénéfice ?

Bibliographie
1
Abadie. D, Bagheri. H, Montastruc. J.-L., Patient reporting of adverse drug reactions : experience of Toulouse Regional Pharmacovigilance Center, Fundam Clin Pharmacol 2012 ; 26 (Suppl 1) : 37
Hakkarainen KM, Andersson Sundell K, Petzold M, Hägg S., Methods for assessing the preventability of adverse drug events : a systematic review, Drug Saf 2012 ; 35 : 105-26
3 Olivier P, Caron J, Haramburu F, Imbs JL, Jonville-Béra AP, Lagier G, Sgro C, Vial T, Montastruc JL, Lapeyre-Mestre M., Validation of a measurement scale : example of a French Adverse Drug Reactions Preventability Scale. Therapie. 2005 ; 60 : 39-45
4 Laroche ML, Charmes JP, Merle L., Potentially inappropriate medications in the elderly : a French consensus panel list, Eur J Clin Pharmacol, 2007 ; 63 : 725-31
5 Herxheimer A., Public understanding of drug therapy, Br J Clin Pharmacol, 2012 ; 73 : 943-7
6 Loke YK., An agenda for UK clinical pharmacology : Adverse Drug Reactions, Br J Clin Pharmacol, 2012 ; 73 : 908-911
7 Edwards IR., An agenda for UK clinical pharmacology : P, Br J Clin Pharmacol, 2012 ; 73 : 908-911


par Delphine Abadie, Haleh Bagheri, Jean-Louis Montastruc, François Montastruc, Pratiques N°59, novembre 2012

Documents joints

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