Des problèmes de poids

Quel rapport au patient en diététique actuellement, et quelle formation pour cela au-delà du BTS ?

Raphaëlle Collet
diététicienne en libéral

En pratique, des personnes perdues par des recommandations strictes, faisant de l’alimentation une corvée, un refuge, une catastrophe... Restaurer le lien à l’alimentation est le plus fréquemment un travail de longue haleine et demanderait un suivi conduit avec la plus grande attention, car touchant à des dimensions multiples et souvent intimes des personnes. Malheureusement, de nombreux parcours de perte de poids me paraissent encore bien loin d’une telle qualité de soins...

D’une part, les données brutes données par les experts de l’alimentation aux patients ne permettent pas à ces derniers de réellement maîtriser leur alimentation lorsque les professionnels adoptent une logique de transmission de savoirs de type vertical, ce qui arrive encore fréquemment. Ceci est sans doute principalement corrélé au temps consacré à la consultation : pour percevoir toutes les influences sur l’alimentation et que la confiance s’installe, les vingt minutes prises par les médecins nutritionnistes ne peuvent suffire à mon sens, surtout lorsque les quarante-cinq minutes recommandées pour la réalisation d’un Bilan Éducatif Partagé, l’entretien initial de référence dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient selon l’INPES [1], s’avèrent elles-mêmes souvent insuffisantes... Le caractère ouvert ou fermé des questions est important. Cela se recoupe, il est certain que faire répondre par oui ou par non est moins chronophage... Mais à mon avis ce n’est pas l’unique raison de cette pratique : un diplôme universitaire, soit cent heures de formation pour devenir médecin nutritionniste, ne permet pas d’avoir une vision des problèmes spécifiques à l’alimentation pour tendre vers une approche plus globale, en intégrant les problématiques singulières à l’alimentation, en termes de rythmes de vie, d’affectivité, d’expérience concernant la préparation alimentaire et les produits disponibles notamment. La prescription d’un médicament est nettement plus payante. Un patient opéré d’une chirurgie de l’obésité peut se faire renouveler son traitement contre le diabète par son médecin nutritionniste sans que celui-ci ne prête guère attention à sa reprise pondérale, malgré l’acte chirurgical réalisé !
Le facteur argent sous-jacent est également plus que présent dans la filière universitaire de la nutrition. Représentée par quelques masters en France, celle-ci oriente les futurs professionnels vers la recherche. Ce sont les stages qui permettront aux étudiants de rassembler leurs connaissances pour former une pratique professionnelle digne de leur spécialisation. Le stage de M2 doit être rémunéré. Dans les centres hospitaliers, ces fonds sont souvent d’origine privée. Les étudiants travaillent sur des sujets donnés par les tuteurs, et on peut concevoir une influence des financeurs sur l’orientation des travaux de recherche. Il y a une différence de poids entre les diplômés, il y a ceux qui après un stage surpayé pour de grandes filières bénéficient d’un salaire à 2 500 euros, et ceux qui ont financé leur billet d’avion pour effectuer un stage en ONG sans espoir d’embauche. Ce système de financement dirige les diplômés d’université vers les mêmes prestataires de produits ou de services qui alimentent de nombreux problèmes de santé.
Notre sens critique, aiguisé par nos pratiques et un réel apprentissage pour savoir identifier les sources d’informations indépendantes et critiques, devrait être encouragé et stimulé tout au long de notre carrière. Un espace de liberté de parole, d’échange d’opinions cherchant à questionner nos pratiques de professionnels de l’alimentation à la manière de Pratiques pour la médecine pourraient permettre d’élever notre approche en mutualisant le meilleur de nos expériences, dans ce domaine si vaste qu’est l’alimentation. Et pour qu’in fine, chacun sache se nourrir de la manière la plus judicieuse possible avec les informations qui le concernent, et profiter en pleine santé de cet immense plaisir individuel et partagé qui est de manger.


par Raphaëlle Collet, Pratiques N°56, février 2012

Documents joints


[1L’éducation thérapeutique du patient en 15 questions/réponses, INPES.


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