Accompagner pour changer

Les carences en connaissances psychologiques dans la formation de diététicien sont reconnues. Chacun essaie donc d’acquérir des techniques pour aider au mieux ses patients à changer leurs habitudes durablement.

Séverine Sénéchal,
diététicienne libérale

En 2002, quelques semaines avant mon entrée en BTS diététique, je découvre l’approche du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (G.R.O.S.), à travers un livre (Maigrir sans régime de J.-P. Zermati). Ce nouveau point de vue me permet de suivre avec un regard critique les cours sur le traitement diététique du surpoids et de l’obésité enseigné en BTS. Et, après l’obtention de mon diplôme, je suis la formation du G.R.O.S., puis je m’installe en libéral fin 2005. Les premières années, je m’attache surtout à questionner les patients sur leur comportement alimentaire, cherchant à identifier les idées reçues qui peuvent entraver l’écoute et le respect de leurs sensations alimentaires. Mes questions sont essentiellement fermées (à choix multiples), car mon objectif est de faire un état des lieux, une expertise de leurs difficultés actuelles, conformément à l’attente que j’imagine de mes patients. Cette façon de travailler, différente de ce que les patients s’imaginent en venant voir une diététicienne (« qu’elle me dise précisément quels aliments je dois manger, à quel moment et en quelle quantité ») déroute assez souvent les patients. Avec les patients les plus réticents, que je cherche à convaincre, les consultations peuvent dépasser largement le temps imparti.

D’autre part, je me sens trop responsable de ce que vivent les patients, j’ai le sentiment que je dois avoir une solution à leur proposer dans toute situation. Avec l’expérience, je m’aperçois que certains patients adaptent leur comportement en fonction des attentes des personnes de leur entourage : ils peuvent réussir à perdre du poids lorsqu’ils sont suivis par quelqu’un (pour satisfaire l’attente de la diététicienne par exemple), mais en reprennent dès l’arrêt du suivi, parce qu’ils se sentent obligés de finir le plat pour faire plaisir à leur mère, ou de manger tout ce que leur conjoint(e) a servi dans leur assiette... Je regrette que ce mécanisme de fonctionnement psychologique n’ait pas été étudié lors de mes études, car je me suis sentie démunie face à de telles situations.

Lacune de formation ou désinformation nationale ?
En 2008, une patiente végétalienne ayant pratiqué du sport à haut niveau me contacte pour une consultation dans le but de s’assurer que son alimentation couvre ses besoins. Je commence donc à faire des recherches sur Internet, et quelle surprise pour moi de constater qu’il existe un rapport officiel de l’Association Américaine de Diététique (ADA) confirmant que « les alimentations végétariennes (y compris végétaliennes) bien conçues sont bonnes pour la santé, adéquates sur le plan nutritionnel et peuvent être bénéfiques pour la prévention et le traitement de certaines maladies. Les alimentations végétariennes bien conçues sont appropriées à tous les âges de la vie, y compris pendant la grossesse, l’allaitement, la petite enfance, l’enfance et l’adolescence, ainsi que pour les sportifs » [1].

Ce rapport détaille les nutriments nécessitant une attention particulière. Durant mes études diététiques, le végétarisme et le végétalisme ont été à peine abordés (juste évoqués lors d’un cours de biochimie sur les acides aminés essentiels). Jusque-là, j’ignorais totalement que cette alimentation était compatible avec la santé, et je découvre alors qu’il n’existe aucun nutriment d’origine animale qui soit indispensable à la santé humaine (puisque la vitamine B12 [2] est synthétisée uniquement par des bactéries). Non seulement l’alimentation végétarienne était largement ignorée dans mes études, mais elle était également difficilement applicable, puisque dans nos rations, on nous imposait un rapport protéines animales/protéines végétales > 1 (et il va sans dire que consommer en excès des produits laitiers ou des œufs n’est certainement pas judicieux pour la santé). L’idée d’une alimentation contenant beaucoup plus de végétaux est pourtant de plus en plus d’actualité, notamment pour des raisons environnementales (« Lundi sans viande » au Québec, « Jeudi végétarien » de Gand en Belgique...). Cette découverte du poids des lobbies dans les recommandations alimentaires françaises m’a fait rallier l’Association de Diététique et Nutrition Critiques (ADNC).

Questionner et écouter plutôt qu’affirmer 
Au fil des années de pratique libérale, je ressens un besoin croissant de rendre les patients acteurs de leurs choix, auteurs de leurs décisions de changement, une nécessité de mieux répartir les responsabilités dans la relation. En 2011, je participe à une formation à la relation d’aide (approche centrée sur la personne) qui fait beaucoup évoluer ma pratique. En effet, lorsqu’un patient m’expose une situation problématique, spontanément je lui propose une (ou plusieurs) solution(s). Or certains patients trouvent sans cesse une objection à chaque solution proposée. En aidant le patient à chercher lui-même ses propres solutions, non seulement il arrive qu’il propose des idées auxquelles je n’aurais pas pensé, mais il réalise également mieux les efforts qu’il serait prêt à faire pour mettre en pratique une solution qu’il a proposée. Cette approche différente a nécessité une importante réflexion sur les changements que je souhaitais apporter à mes habitudes de travail. J’ai totalement revu les questions que je pose lors de la première consultation, qui sont à présent beaucoup plus ouvertes. Je trouve que la principale difficulté de cette approche est l’idée incontournable de « prendre le temps ». Prendre le temps... quelle idée saugrenue à une époque où les seuls critères d’évaluation semblent être devenus la rapidité et la rentabilité ! Prendre le temps d’écouter le patient, tout en le préparant aux étapes nécessaires (Êtes-vous prêt à changer vos habitudes durablement ? Êtes-vous prêt à prendre le temps de le faire ?) Prendre le temps de demander au patient à quels critères il souhaite se fier pour évaluer son évolution vers son objectif (sa balance, ses vêtements, ses crans de ceinture, son souffle... lorsque la problématique est de perdre du poids). Prendre le temps de poser des questions pour recueillir la vision précise du patient sur tous les sujets qu’il amène (Vous venez de parler de manger équilibré, que faut-il manger pour que ce soit « équilibré » ?). Ce qui m’amène parfois à découvrir des idées très rigides, des règles très strictes... qui pourront être progressivement remises en question, en suggérant l’idée qu’il est possible de douter, en posant d’autres questions qui mettront peut-être en évidence des contradictions, ou des contraintes matérielles qui rendent presque impossible le respect de ces règles trop rigides. Il est vrai que je n’ose pas toujours questionner (de peur d’être indiscrète, de peur d’accentuer le mal-être ressenti par le patient quand il évoque une situation désagréable, voire douloureuse). En même temps, lui poser ces questions est une marque de mon intérêt et de ma considération pour ce qu’il pense, ressent... De plus, les réponses apportent des informations indispensables pour comprendre la complexité de la situation, et mettent à jour l’existence de facteurs ou contraintes que j’ignorais (expériences antérieures, schémas éducatifs...), dont je dois tenir compte pour aider réellement.
Lors de la première consultation, je sens aussi parfois qu’une approche trop peu directive ne convient pas, que la personne a besoin de repères alimentaires, d’un cadre rassurant, qui n’est une étape, bien utile lorsqu’elle n’arrive plus à manger certains aliments en quantité raisonnable (pas du tout de chocolat ou la tablette entière !). Lors du deuxième entretien, les quantités sont choisies avec elle, en tenant compte pour le mieux de ses différents besoins (faim, convivialité, contraintes de temps...).
Si certains patients ne savent plus quoi faire, n’ont plus d’idées sur ce qu’ils pourraient modifier dans leurs habitudes, et comptent sur moi pour découvrir de nouvelles pistes, d’autres ont des idées et ont simplement besoin de se sentir accompagnés pour oser les appliquer... si je leur en laisse l’opportunité en leur posant des questions ouvertes.
Je remarque aussi que les patients ont souvent l’idée qu’il existerait un modèle alimentaire universel, donc j’ai affiché en salle d’attente un texte (dont le titre est « Apprend-on à nager en une seule leçon ? ») les invitant à la patience et à un autre regard sur leur cheminement alimentaire.
De mon côté, j’ai enfin accepté l’idée de ne pas pouvoir aider tout le monde, abandonné l’idée que « si j’étais davantage formée, plus expérimentée, je pourrais aider toutes les personnes qui viennent me consulter, sans exception ». D’ailleurs, un jour, à la fin d’une première consultation, une jeune femme m’a dit : « Vous me demandez de réfléchir, je ne veux pas ! ».
Cela dit, j’ai encore une bonne marge pour progresser, m’entraîner à prendre le temps de poser des questions pour amener chaque patient à trouver lui-même ses réponses, comprendre par lui-même son fonctionnement, plutôt qu’en lui donnant encore trop souvent mes explications sur un mode affirmatif.


par Séverine Sénéchal, Pratiques N°56, février 2012

Documents joints


[2Il est vivement recommandé aux végétaliens de s’assurer un apport suffisant en vitamine B12, par une supplémentation ou la consommation d’aliments enrichis en vitamine B12 (qui sont encore rares en France).


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