De très vieux condiments

Danièle Stordeur
Archéologue

Les condiments, ajoutés aux aliments, les parfument et les relèvent. Depuis le sel jusqu’aux épices et aux herbes odorantes, les condiments c’est le raffinement. Et pourtant cela fait longtemps qu’on les recherche. Longtemps ? Mais depuis quand ? Pauvres archéologues, ils voudraient bien répondre, mais voilà : les condiments ont l’art de leur échapper, ils se conservent très rarement. C’est pourquoi, quand une équipe de préhistoriens en ont trouvé des traces, vieilles de 15 000 ans, cette minuscule découverte leur a paru énorme... Minuscule, elle l’était. Mais sa portée était grande, jamais personne n’avait trouvé intacte, ou presque, une préparation culinaire aussi ancienne. Car il avait fallu des circonstances bien particulières pour qu’elle subsiste, qu’elle soit repérée, qu’elle soit comprise. Imaginez, vers 10 500 avant nous, un petit village d’agriculteurs. Qui cultivent, pour la première fois dans l’Histoire, du blé, de l’orge, du seigle et des lentilles. Des agriculteurs débutants au sens propre du mot. Une maison brûle. Si fort, si brusquement, que les habitants fuient en laissant tout sur place. Le toit s’effondre sur la cuisine, et sa masse recouvre et protège tout ce qu’elle contenait. Des meules et des plateaux en pierre, des bassins, un petit foyer, des bols et... de la nourriture, prête à être consommée sans doute. La nourriture ? Quelques petites boulettes carbonisées par l’incendie et, grâce à lui, intactes au point de voir encore les traces des doigts qui les avaient pétries. Faites d’un mélange de céréales et de moutarde. Et voici le condiment : de la moutarde (brassica spe) ! Et ce n’est pas tout. Un peu plus loin, on trouve des graines de câprier, du « poivre des moines » (bitex agnus-castus) et même une sorte de menthe au parfum de thym (zizophora). Le luxe. Le tout préservé grâce à l’incendie. Mais il a fallu aussi que des apprentis archéologues et des paysans de l’Euphrate, qui fouillaient avec eux, soient assez attentifs et habiles pour dégager ces très petites bouchées sans les abîmer. Il a fallu qu’un botaniste (il s’appelle George Willcox) soit présent et, qu’intrigué, il les prélève, les observe et les identifie.
Et c’est ainsi que se raconte parfois l’Histoire, avec de modestes trouvailles qui parfois vous montent au nez.


par Danielle Stordeur, Pratiques N°56, février 2012

Documents joints

Lire aussi

N°56 - février 2012

On sait déjà

par Martine Lalande
Martine Lalande, Médecin généraliste Deux petits garçons rondouillards et souriants dans la salle d’attente. Arrivés dans mon bureau, ils déclarent : « On sait qu’on est obèses ». Ah bon ? Puis …
N°56 - février 2012

- Les cornichons de la grossesse

par Elisabeth Maurel-Arrighi
Elisabeth Maurel-Arrighi, médecin généraliste Les femmes enceintes qui se sentent isolées, par les difficultés de l’exil ou par de vieux manques d’affection maternelle souffrent, me semble-t-il, …
N°56 - février 2012

Orthophoniste… C’est un métier ?

par Ateliers Claude Chassagny
Les orthophonistes se mobilisent contre le projet d’une formation à deux vitesses : master 1 « formation généraliste en orthophonie » et master 2 pour « une nouvelle profession d’orthophoniste …
N°56 - février 2012

Sodexho, l’hôpital du futur

par Jonathan Zaffiran
Jonathan Zaffiran Médecin généraliste, membre du Massilia Santé System http://massiliasantesystem.com Aux soins palliatifs, à l’hôpital de la Timone à Marseille, le médecin s’attelle …