Dans la neige avec les loups

Martine Lalande
Médecin généraliste
Une amie me l’avait offert pour ma thèse, j’en ai une pile sur une étagère, comme cadeau de fin de stage pour les étudiants, ou pour les enfants de copains qui se lancent dans les études de médecine… ou encore comme lecture pour les participants à un séminaire de formation de maîtres de stage. Récits d’un jeune médecin de Mikhaïl Boulgakov, textes écrits en 1919, publiés en feuilleton dans des revues, réunis dans un livre, retracent l’expérience vécue de l’auteur, médecin à 23 ans dans une province de Russie au début du siècle. Boulgakov vient de terminer ses cinq années d’études de médecine, qu’il a réussies avec de très bonnes notes aux examens, et a signé un engagement pour un poste dans un petit hôpital de campagne. Il débarque, frigorifié, fait connaissance avec l’officier de santé et les deux sages-femmes qui vont l’aider à prendre en charge toute la population du district. Il devient à la fois consultant, chirurgien et médecin hospitalier, soignant jusqu’à cent patients par jour et trente hospitalisés, sans compter les interventions. La pharmacopée est minimale : camphre, morphine, chloroforme, belladone et pommade au mercure pour la syphilis… Le récit est épique, dans une verve que ceux qui ont lu Le Maître et Marguerite reconnaîtront, directe, vivante et sensible. Il décrit avec autant de précision les interventions (totalement improvisées) que les trajets en traîneau dans les tempêtes de neige, embourbé dans les congères ou poursuivi par les loups… Mais ce qui frappe et rend ces textes très actuels, c’est la description, tellement authentique et proche, de ses angoisses devant les décisions à prendre, ses affres face à l’incertitude et le risque d’erreur, ses cauchemars après une intervention ou un échec. On le suit quand il va chercher dans ses livres, on souffre avec lui quand il ne dort pas avant d’avoir vérifié que le patient est encore vivant, quand il demande l’avis d’un confrère rencontré à des kilomètres, honteux de n’avoir pas su faire. On reconnaît tous ses doutes, angoisses de la nuit, soulagements et désespoirs selon l’issue, colère aussi de ne pas avoir réussi à se faire comprendre d’un patient qui ne se soigne pas (la syphilis, racontée comme aujourd’hui on peut s’angoisser à propos du Sida…). Un vrai plaisir de lecture qui, s’il est daté et tellement plus épique que ce que nous vivons dans notre exercice, témoigne de façon très subtile des défis de l’application du savoir acquis, toujours insuffisant et décalé, aux situations réelles de la vie.


par Martine Lalande, Pratiques N°55, novembre 2011

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