Un film à voir ou à revoir, Barberousse de Kurosawa

Sylvie Cognard
Médecin généraliste
Un film sur l’initiation des apprentissages et la transmission d’un art de la médecine.

Un jour d’automne, vers 1820, un jeune médecin diplômé de l’université de Nagasaki est nommé, contre son gré, dans un hôpital misérable d’un quartier de Tokyo. L’hôpital est dirigé par un médecin, « Barberousse », tyrannique avec ses collègues, tendre avec ses malades, dont le sacerdoce est de combattre la misère et l’ignorance qu’il pense responsables des maux de ses patients. Parce que les politiques ne s’attaquent pas à ces deux fléaux, il part de sa place de médecin pour les combattre. Il n’hésite pas à bagarrer, à transgresser, à faire chanter le riche pour sauver le pauvre.
Petit à petit, le jeune Yasumoto, ambitieux et hautain, va ouvrir les yeux sur les autres et apprendre à lire à travers les apparences, à percevoir l’âme au-delà du corps. Lui-même sera malade. Il sera soigné et guéri par une petite fille arrachée à une mère maquerelle, qu’il a soignée avec patience et amour. Ainsi son changement d’attitude, sa « rédemption », ne vient pas de la souffrance mais de l’amour. « Derrière chaque maladie, dit Barberousse, il y a toujours un malheur de la vie. » Les personnages de Kurosawa ne font rien d’autre qu’apprendre à vivre afin de pouvoir accepter leur mort.

Ce qui est beau dans Barberousse, c’est que ces leçons nous parviennent à travers des histoires atroces et superbes, sur lesquelles Barberousse, alias Kurosawa, pose le regard de la compassion. Mais une compassion à la Dostoïevski. « Dostoïevski, dit-il, a le courage de contempler la misère des hommes. Il ne détourne pas les yeux ; et il est si plein de tendresse qu’il souffre de la même souffrance. » À la fin du film, c’est une image de solidarité et d’espoir que le jeune médecin contemple : des femmes hurlent dans un puits le prénom d’un enfant qui se meurt d’un empoisonnement familial collectif, volontairement programmé pour échapper définitivement à la misère devenue intolérable. Ces femmes espèrent, selon une vieille superstition, rappeler son âme des entrailles de la terre. L’enfant revient à la vie en vomissant le poison, et nous comprenons que c’est leur amour qui l’a sauvé.


par Sylvie Cognard, Pratiques N°55, novembre 2011

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