Prime à la performance : une politique de la médiocrité

Patrick Dubreil
Médecin généraliste

        1. « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. »
        2. Proverbe chinois.

Comme chaque année, la Cour des comptes vient de rendre son verdict : pour 2010, le déficit de la Sécurité sociale avoisine les 30 milliards d’euros, niveau historique atteint. L’endettement de la Sécu atteint, lui, 136 milliards d’euros.
Le gouvernement, dans son plan de rigueur, taxe à nouveau les complémentaires qui devront désormais payer 13,27 euros à l’État sur 100 euros de cotisation perçue. Celles-ci ne pourront que répercuter cette nouvelle taxe sur le prix de leur couverture santé.
Le gouvernement tente de rendre fatal aux yeux du public ce trou qu’il qualifie d’« abyssal » afin de mieux préparer les citoyens à la privatisation des retraites ou de l’Assurance maladie. Pourtant, le besoin de financement des comptes sociaux est criant face aux inégalités croissantes en France.
La médecine générale et la protection sociale n’échappent plus à la réduction drastique des dépenses publiques, alors que toutes les études montrent que, plus ces dépenses sont importantes, moins les dépenses de santé le sont.
Comment croire, alors, que la convention médicale signée cet été par l’Assurance maladie et les syndicats libéraux de médecins [1] soit un progrès social pour les médecins généralistes et l’ensemble de la population ? Quelques acquis sur la protection sociale des généralistes semblent préservés (retraite, statut des femmes), mais jusqu’à quand ? Cette concession a-t-elle servi de monnaie d’échange pour mieux faire avaler la pilule de la prime à la performance, habilement habillée en 13e mois, qualifiée d’outil d’amélioration de la santé publique ?
La manipulation est habile, elle n’en est pas moins perverse :
– Pourquoi demander aux généralistes d’être performants, alors que leur qualification, leur formation ou leur indépendance devraient être les garants de la qualité des soins ?

– Pourquoi faire confiance à ces objectifs de performance alors qu’ils ont été imposés sans négociations ? Quelle en est la validité en termes d’indépendance des auteurs et de qualité des soins ?

– Le dogme de la performance individuelle prédomine alors que l’organisation du système de soins et des pratiques professionnelles a plus que jamais besoin d’être pensée collectivement.

– Dorénavant, les médecins généralistes deviennent dépendants de l’Assurance maladie, elle-même déjà dépendante du pouvoir politique, dans un rapport très inégalitaire. L’individu se retrouve face à un « employeur » qui détient toutes les données statistiques qui lui permettent de le juger et donc de le contraindre sur le plan économique et professionnel. Le véritable enjeu est que ce texte prépare progressivement la soumission de la médecine générale et de la population aux organismes privés. Le conflit d’intérêts est patent. Quand le financeur devient privé, le système fonctionne au profit de son intérêt propre. On connaît le résultat, notamment aux États-Unis. C’est ce danger qu’il faut expliquer et dénoncer en direction des citoyens.
La tâche s’annonce rude car si, selon le fameux proverbe chinois, le sage montre la lune, actuellement la population atomisée regarde le doigt et le généraliste, formaté et signataire de la convention, regarde son nombril, sans imaginer que d’autres voies sont possibles.
Cette convention sortira-t-elle de sa confidentialité corporatiste ? Qui tentera de la hisser dans le débat public ? Au-delà, parviendrons-nous, ensemble, à décrocher la lune afin de fuir l’enfer des inégalités, et tenter d’atteindre l’égalité et la solidarité, seuls garants de la civilisation ?




Pratiques N°55, novembre 2011


[1CSMF, SML, MG France.


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