— DOSSIER —

Le rire est un mouvement de l’être, en général involontaire, provoqué par une émotion. Il présente de multiples facettes et son déclenchement est dépendant des situations, des personnes, des cultures, de la morale ambiante. Tous les travers de la société et des humains qui la composent pourraient prêter à rire, mais beaucoup ne le supportent pas et s’arc-boutent sur des positions normatives qui tendent à discréditer toute forme de rire. Or, s’il convient de s’assurer que le rire ne s’exerce pas aux dépens de quelqu’un, qu’il ne sert pas à l’humilier, à le dominer ou à le discréditer, il n’est pas possible de s’affranchir de cette ultime liberté, de cette échappée irrésistible qui offre une porte de sortie lorsque l’émotion compromet la résolution de certaines tensions.

Dans le monde du soin, on rit souvent pour ne pas pleurer. Le rire facilite les relations entre soignants comme entre patients et soignants, dédramatise et permet d’affronter certaines situations délicates. Il peut s’exercer contre l’ordre établi, permet une décompression qui favorise le recul indispensable à l’analyse des faits et au soulagement des tensions. Il est souvent communicatif. Il assure une certaine cohésion des équipes soignantes face aux difficultés de leur travail et à la fatigue. Dans le colloque singulier qu’est la consultation, il peut installer une connivence entre le soignant et le patient et ainsi alléger la charge émotionnelle. Il peut aussi échapper complètement à la maîtrise jusqu’au fou rire qui en est l’ultime expression.

Or cette multiplicité de formes, si elle peut s’avérer dérangeante comme toute manifestation intempestive et incongrue, devient source de créativité en particulier dans un univers tellement chargé d’émotions négatives. Pour autant, lorsque la normalisation prend le pas sur cette créativité et rend taboue toute tentative de diversion, cela contribue à l’éclosion du désespoir, du burn-out, d’une démobilisation des soignants à laquelle on assiste actuellement. Cela montre à quel point, sans la possibilité de rire, soigner devient insupportable.

Les auteurs proposent un kaléidoscope de situations où il apparaît que ce rire peut être salvateur, résistant, inventif, voire subversif tout en restant respectueux de ceux, dont le rieur lui-même, qui en sont les sujets.

Il reste à ne jamais oublier de se questionner sur le statut qu’on accorde à l’autre dont on rit, à ce qui nous fait rire en lui, et à prendre conscience que ce dont on se moque chez lui est souvent présent en nous.


Pratiques N°82, juillet 2010

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