CPTS, de quoi s’agit-il ?

Marie Kayser
Médecin généraliste retraitée

Le maillage de l’ensemble du territoire français par des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est prévu à l’horizon 2022. Quels en sont les textes fondateurs ? Quels sont leurs missions et leur fonctionnement ?

Les CPTS sont le résultat hybride de la tentative, en 2014, du gouvernement Hollande de mettre en place un Service public territorial de santé (SPTS), pour répondre au problème des déserts médicaux, et de l’opposition à ce projet de la majorité du corps médical hostile à une remise en question des principes de la médecine libérale. Le SPTS n’a pas vu le jour, mais la loi de 2016 « de modernisation de notre système de santé » a mis en place les CPTS qui reprennent son approche territoriale et populationnelle de l’offre de santé. La loi les présente comme une émanation des professionnels de santé libéraux, mais elle prévoit leur encadrement et leur contrôle par l’État.
Leur développement est une des dix mesures phares du plan « Ma santé 2022 » présenté par le gouvernement Macron en septembre 2018 et a fait l’objet d’un accord entre les syndicats de professionnels de santé et l’Assurance maladie (AM) en juin 2019.

Les CPTS : textes fondateurs

La loi de 2016 (art. 65) définit ainsi les CPTS
« La communauté professionnelle territoriale de santé est composée de professionnels de santé regroupés, le cas échéant, sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier ou de deuxième recours… et d’acteurs médico-sociaux et sociaux concourant à la réalisation des objectifs du projet régional de santé. »
Le législateur affirme que l’initiative vient des professionnels de santé qui « afin d’assurer une meilleure coordination de leur action et ainsi concourir à la structuration des parcours de santé, peuvent décider de se constituer en communauté professionnelle territoriale de santé », mais aussi qu’à « défaut d’initiative des professionnels, l’Agence régionale de santé prend, en concertation avec les unions régionales des professionnels de santé et les représentants des centres de santé, les initiatives nécessaires à la constitution de communautés professionnelles territoriales de santé ».
« Les membres de la communauté professionnelle territoriale de santé formalisent, à cet effet, un projet de santé, qu’ils transmettent à l’Agence régionale de santé ». Ce projet précise le territoire d’action de la CPTS.
La circulaire d’application de la loi émise par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) en décembre 2016 à destination des Agences régionales de santé (ARS) précise que : « ce sont des équipes projets, s’inscrivant dans une approche populationnelle. Le projet ne vise pas seulement à améliorer la réponse à la patientèle de chaque acteur, mais aussi à organiser la réponse à un besoin en santé sur un territoire ».
Contrairement aux Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), les CPTS n’impliquent pas de regroupement géographique des professionnels dans un même lieu d’exercice.
La loi prévoit que le développement des CPTS s’appuie en grande partie sur les MSP.
Aucune forme juridique n’est imposée pour les CPTS.

La Loi de transformation du système de santé votée en juillet 2019 vient compléter celle de 2016
Titre II : « Créer un collectif de soins au service des patients et mieux structurer l’offre de soins dans les territoires ».
L’article 20 affirme la responsabilité collective des soignants d’un territoire : « L’ensemble des acteurs de santé d’un territoire est responsable de l’amélioration de la santé de la population de ce territoire, ainsi que de la prise en charge optimale des patients de ce territoire ».
L’article 22 institue la notion de « diagnostics territoriaux de santé » dont doivent découler les « projets territoriaux de santé ». Les ARS se voient confier un rôle de facilitation et d’accompagnement des projets, en particulier en ce qui concerne le diagnostic territorial de santé que les professionnels de santé n’ont ni le temps ni les moyens de mener.
Le projet territorial de santé de la CPTS doit être validé par le directeur général de l’ARS pour que celle-ci puisse recevoir les financements permettant sa mise en place et son fonctionnement ultérieur
L’article 64 autorise par ailleurs le Gouvernement « à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi permettant de favoriser le développement de l’exercice coordonné au sein des CPTS » ce qui laisse la porte ouverte à de nouvelles mesures.

La loi de financement de la Sécu pour 2019 complète le dispositif législatif
L’article 42 prévoit l’ouverture de négociations conventionnelles entre les syndicats des professionnels de santé et l’Assurance maladie pour mettre en place, via un accord conventionnel interprofessionnel (ACI), un cadre financier pérenne pour le fonctionnement de ces dispositifs et l’exercice de leurs principales missions.
Il prévoit aussi que les conventions définissent : « les conditions de modulation de la rémunération des professionnels de santé en fonction de leur participation à un cadre d’exercice coordonné » ; phrase assez énigmatique que l’étude d’impact de la loi de transformation du système de santé de 2019 explicite ainsi : il s’agit « d’inciter les professionnels de santé à rejoindre des communautés professionnelles territoriales de santé ou d’autres formes d’exercice coordonné, par le biais d’une modulation (ou mise sous condition) d’une partie de leurs rémunérations ».

Les CPTS : concrètement

On comprend mieux le rôle attribué aux CPTS à la lecture de l’accord conventionnel signé le 20 juin 2019 entre les syndicats représentatifs des différentes professions de santé et l’AM.
Trois missions socles leur sont assignées :
La première est de faciliter l’accès aux soins des patients à travers deux leviers : faciliter l’accès à un médecin traitant : « les professionnels détermineront qui, au sein de leur communauté, est en capacité d’assurer le suivi de nouveaux patients » et améliorer la prise en charge des soins non programmés en ville : « les CPTS ont pour mission de permettre aux patients du territoire concerné d’obtenir un rendez-vous le jour même ou dans les 24 heures (dès lors qu’il s’agit d’une urgence non vitale) ».
Dans ce cadre, il est prévu de développer le recours à la télésanté (télémédecine et télésoin) « sur l’ensemble du territoire et au profit de tous les patients ».
La deuxième porte sur « l’organisation des parcours des patients en vue d’assurer une meilleure coordination entre les acteurs, d’éviter les ruptures de parcours et de favoriser autant que possible le maintien à domicile des patients… »
La troisième concerne la prévention : « risques iatrogènes, perte d’autonomie, obésité, désinsertion professionnelle, violences intrafamiliales… ».
Deux autres missions viennent en complément : la mise en place de démarches au service de la qualité et de la pertinence des prises en charge, des mesures au service de l’attractivité du territoire pour les soignants.
L’accord prend la forme d’un contrat signé au niveau local entre l’ARS, les professionnels impliqués et l’AM pour cinq ans, mais faisant l’objet d’une évaluation annuelle.
L’aide financière est proportionnelle au bassin de population couvert par la CPTS et à l’étendue des missions conduites. Elle peut se situer entre 185 000 euros par an pour les plus petites communautés (moins de 45 000 habitants) et 380 000 euros par an pour les plus vastes (plus de 175 000 habitants).
La rémunération comprend deux volets : le premier pour contribuer au fonctionnement de la CPTS, le second pour rémunérer les missions conduites en fonction d’indicateurs de suivi définis pour chacune des missions.

Les sites des différentes ARS présentent des guides de montage des CPTS, celui de l’Île-de-France est très complet. La Fédération française des maisons et des pôles de santé (FFMPS) présente son propre guide et propose aux MSP une aide au montage de CPTS.

Sans rentrer ici dans la discussion sur la pertinence des CPTS en termes d’accès aux soins et d’amélioration du système de santé, on peut noter que celles-ci introduisent des changements très importants :
-  Les notions de responsabilité populationnelle, de diagnostics de santé et de projets de santé sur un territoire sont tout à fait nouvelles pour les professionnels de ville. Ceux-ci sont, jusqu’à présent, en responsabilité de leur patientèle et seules les MSP sont tenues, pour recevoir des financements, d’avoir un projet de santé pour leur patientèle ; un des axes de celui-ci est la continuité et la permanence de soins pendant la journée.
-  Le travail coordonné entre professionnels soignants est désormais considéré comme devant devenir la norme, au point qu’il est envisagé de pénaliser financièrement les professionnels qui n’y participeraient pas.
-  Les gouvernements successifs, qui baissaient les bras devant l’opposition des médecins libéraux à toute régulation au niveau de l’installation, se sont donnés, avec les CPTS, un outil qui devrait permettre à l’État d’accompagner et de contrôler une organisation territoriale de l’offre de soins, dont la mise en place est déléguée aux professionnels. Les représentants de ces derniers, et tout particulièrement des médecins libéraux, sont partie prenante de ces changements.


par Marie Kayser, Pratiques N°87, octobre 2019

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