Arrêt de travail

Qui sait mieux que le patient comment il se sent pour reprendre son travail ? A l’heure où on décrit comme inaliénable les droits des patients et où on l’invite à retrouver son autonomie, il semble que les recommandations énoncées par les bureaucrates de la santé en fassent fi.

Jessica Guibert,
interne en médecine générale

Avec application, je note sur ma copie : lombalgie aiguë ou lumbago ; arrêt de travail : trois à cinq jours. Le prof me l’a bien dit et répété : ce sont les recommandations. Autant dire la parole divine...
D’ailleurs, si on prescrit plus, les patients ont trop de bénéfices secondaires à avoir mal au dos, donc ils ne guérissent pas exprès pour pouvoir avoir encore plus d’arrêts de travail, et finissent par se faire mettre en invalidité, pour pouvoir enfin mettre tranquillement les pieds sous la table aux frais de l’État. Telle est la parole, neutre, objective, rationnelle, de l’enseignement médical.
« Mais madame, vous vous êtes fait mal au dos, vous ne voulez vraiment pas que je vous fasse un arrêt de travail ? » Non, car ça risque de tout désorganiser si je m’absente. Non, car il n’y a personne pour me remplacer. Non, car mes collègues auront plus de travail. Non, car j’ai déjà eu trop d’absences au travail, je vais être mal vue. Non, car je suis à mon compte. Non, car comment vont-ils faire sans moi ? Non, car je risque de me faire renvoyer. Non, car j’ai peur.

Petit jeu de rôle entre internes en médecine générale : je suis le patient, tu es le médecin. ; je réclame un arrêt de travail, tu dois jouer à me le refuser. Fin du jeu : « Alors, qui a gagné ? ».
Voilà l’arrêt de travail tel qu’il est défini aux futurs généralistes : un combat contre le patient. La médecine est là pour remettre les gens au boulot, contre leur gré s’il le faut.
Un choc sur le poignet ; une douleur. Ce n’est pas cassé, ouf ! Est-ce une entorse ou un simple hématome ? Le temps nous le dira. Oui mais... Vous travaillez à la chaîne ? Ah oui, c’est sûr que c’est pas comme dans un bureau... Et vous conduisez pour aller au boulot, vous ne pourrez plus passer les vitesses ? Alors, alors, combien de jours d’arrêt de travail ?...
Je n’en sais rien. C’est pas aussi simple que ce qu’on m’a appris. Et quand on en parle, la gêne est là, quasiment palpable : « Peut-être va-t-elle penser que je veux tricher ? » « Peut-être va-t-il penser que je pense qu’il veut tricher ? ». Même en essayant de résister, on n’échappe pas au matraquage médiatique sur la fraude.
Alors je lui demande. Tout simplement. Il sait bien mieux que moi ce qu’est son travail, et s’il va pouvoir le faire ou pas. Il connaît bien mieux que moi ses limites physiques. Et il faut croire que la horde de fraudeurs fainéants prêts à tout pour ne pas aller travailler m’évite soigneusement, car je n’en ai encore croisé aucun.
L’arrêt de travail n’est ni un combat, ni une procédure standardisée par les recommandations. Par contre, ça ressemble fort à une véritable injonction paradoxale pour le médecin, qui doit à la fois soulager le patient (et donc aussi de ses problèmes au travail...), et vérifier qu’il n’essaie pas de tricher. Je ne comprends pas ce que tricher signifie. Je ne comprends pas pourquoi on veut m’attribuer ce rôle de juge et d’expert. Le juge, et l’expert, c’est le patient. À la société de proposer un travail plus épanouissant, c’est la meilleure arme pour limiter les arrêts de travail !


par Jessica Guibert, Pratiques N°57, mai 2012

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