Annoncer un dommage : pas si simple

Signe des temps, la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié en 2011 un guide destiné à aider les soignants à la transparence en cas de dommages associés aux soins.

Éric Galam,
Département de Médecine Générale, Université Paris Diderot.

Auteur de L’erreur médicale, le burnout et le soignant, Ed Springer, Paris 2012Haute Autorité de Santé (HAS) a publié en 2011 un guide destiné à aider les soignants à la transparence en cas de dommages associés aux soins.

L’information des patients : nécessaire et utile
Outre les éventuelles et légitimes indemnisations financières, le dévoilement d’un dommage au patient qui l’a subi peut éviter des dégâts complémentaires ou des inquiétudes résultant de l’incompréhension de la situation, et aider à donner un accord éclairé au traitement approprié des problèmes induits. Sur un autre plan, il fait prendre conscience au patient de la faillibilité médicale et l’incite à prendre sa part de responsabilité dans la prise en charge. Enfin, paradoxalement, la reconnaissance des dommages peut renforcer la confiance du patient dans le médecin et la médecine : « Vous n’avez pas idée à quel point un « désolé » peut aller loin », « Les excuses du médecin étaient sincères parce qu’elles étaient directes. Il n’a pas tourné autour du pot ». En effet, souvent, plutôt que de chercher le blâme, les patients et les familles veulent comprendre leur situation et savoir ce que l’événement a enseigné aux soignants et à leurs établissements. Le refus d’une telle information peut mener aux procès si, de désespoir, les patients sont méfiants devant le silence et la fuite des soignants et s’ils estiment qu’une erreur n’a pas été prise au sérieux.

De plus, si le dévoilement de l’erreur au patient ou à ses proches est très anxiogène pour le soignant, il peut aussi le soulager de sa détresse émotionnelle, l’aider à sortir de son isolement et, parfois, lui permettre d’obtenir le pardon que seul le patient ou ses proches peuvent lui octroyer. Ainsi, le fait de dévoiler les erreurs peut aider le praticien à retrouver son intégrité et à rétablir, voire à renforcer le contact avec le patient, sensible à son honnêteté, ses regrets et ses excuses. De plus, le dévoilement « réussi » peut diminuer le risque de poursuite juridique qui est, au contraire, aggravé lorsque le patient apprend l’erreur par un autre canal. Delbanco et coll. [1] ont montré que les proches du patient ayant subi un dommage se sentent aussi coupables après une erreur médicale et ont tendance à se réprimander de ne pas avoir exercé de surveillance suffisamment étroite. Ainsi, quand les choses vont mal, les expériences de culpabilité, de peur et d’isolement des patients et des familles et ceux des cliniciens peuvent être, de façon saisissante, semblables mais, de manière préjudiciable, séparées. Enfin, le guide HAS [2] revient sur les aspects éthiques de la relation médecin patient fondée sur la confiance : non-malfaisance, bienfaisance, autonomie, justice. Une fiche technique sur le questionnement éthique, comme méthode de décision et d’apaisement, rappelle cependant à quel point l’éthique « n’évacue pas les difficultés de mise en œuvre dans une réalité, souvent marquée de contradictions, d’intérêts et de positions parfois divergentes ». Et la fiche de terminer par le rappel que « les solutions seront d’autant plus pertinentes qu’elles n’ignorent pas le point de vue du soignant ». Pour adhérer aux recommandations de transparence et les appliquer vraiment, ce dernier a besoin de savoir qu’il bénéficie aussi des mêmes principes éthiques de manière intangible et notoire. Ainsi, par exemple, même s’ils sont beaucoup moins impliquants, les dispositifs de signalement des effets indésirables [3] sont-ils, eux aussi, tributaires de la façon dont ils sont vécus par les soignants.

Accompagner (aussi) les soignants
Dans les faits, il peut exister une tension entre l’idéal éthique et la réalité pragmatique. Le soignant sait que son implication n’est pas « uniquement » professionnelle et il peut être plus enclin à tenir compte des risques du dévoilement pour lui-même que de ses avantages pour le patient. Outre les aspects juridiques, Kaldjian et coll. [4] ont mis en évidence quatre domaines de facilitation de la révélation des erreurs par les soignants, relevant de la responsabilité envers 1) le patient, 2) soi-même (valeurs personnelles et professionnelles), 3) la profession, 4) la communauté. À l’inverse, les barrières pouvant entraver la révélation sont le perfectionnisme, les incertitudes sur ce qui constitue une erreur et ses critères de révélation, le manque de soutien et la crainte des conséquences, notamment juridiques. Une autre explication importante des réticences des soignants est leur besoin de maintenir une image forte d’eux-mêmes à leurs yeux et aux yeux des autres, toujours responsables, impassibles et parfaits.
Ainsi, si l’excuse est « politiquement correcte », elle n’est pas toujours en cohérence avec les authentiques sentiments personnels parce que s’excuser reviendrait à prendre une part excessive de la responsabilité de l’incertitude inhérente à la pratique médicale, et que l’excuse revient à une reconnaissance de culpabilité et peut encourager les patients ou leurs proches à engager des poursuites.
Conscient que le volontarisme ne suffit pas, le guide HAS s’efforce de donner des pistes pour inciter à la formation et aider les professionnels de santé à parler avec les patients ou leurs proches en cas de dommage. Cette démarche est d’autant plus nécessaire que, formés à l’aune de l’exigence de perfection et de l’infamie de l’erreur, les soignants ne sont pas du tout préparés à gérer, ni même à assumer ce type de situations, souvent dramatiques, qui font partie comme le dit Christensen « des bas-fonds de la médecine habités de honte, de peur et d’isolement » [5].

S’excuser mais comment ?
Il faut dissocier les situations de dommages associés à des effets indésirables des soins, mais non évitables, et celles liées à une ou plusieurs erreurs des professionnels de santé. Quels que soient les reproches et les demandes du patient, l’écoute active [6] par le soignant et les explications suffisent parfois à désamorcer les conflits dans l’intérêt de tous. Lorsque des erreurs sont avérées, leur reconnaissance par le soignant, les excuses qu’il est amené à formuler et les réparations obtenues sont nécessaires. Selon Lazare [7], les excuses participent aussi d’une sorte de « guérison » parce qu’elles valident la survenue du dommage et l’absence de responsabilité du patient dans son apparition ; elles restaurent son amour-propre, sa dignité et sa puissance puisque les procédures seront modifiées à la suite de ce qu’il a vécu. Enfin, elles lui donnent le sentiment que le soignant souffre aussi et se préoccupe de son bien-être, et qu’il pourra bénéficier de compensations financières. Lazare explique que les excuses peuvent échouer et être ressenties comme non apaisantes, voire insultantes ou blessantes si elles sont trop vagues, non proportionnées ou si elles manquent de sincérité ou d’humilité, rendant ainsi de mauvaises situations encore plus mauvaises.

Excusez-moi si je ne peux pas
Même si les principes et les passions ne sont pas toujours loin, on peut imaginer que des décideurs, ou des soignants non mis en cause puissent discuter à peu près sereinement avec des patients non directement concernés dans leur chair ou celle de leur proche. Pourtant, il y a un monde entre les discussions générales et théoriques et le vécu, la réflexion, les paroles et les actions de ceux qui sont impliqués dans des moments de désarroi et de grandes souffrances. Pour ma part, je reste encore largement démuni, et je le reconnais, confusément inquiet, face à la situation explosive d’une annonce réelle à un vrai patient ou à sa famille. Et lorsque j’explique à mes internes que ce type de situation fait partie de la vie d’un soignant et qu’il doit être capable de l’assumer et de la dépasser, je suis bien conscient que la tentation reste forte pour le soignant, s’il le pense possible, de ne pas reconnaître sa responsabilité dans les dommages survenus au patient ou simplement de l’atténuer en la banalisant (ça fait partie de la vie), l’extériorisant (ce n’est pas de ma faute), la minimisant (il y avait nombre d’autres facteurs). Comment le soignant peut-il expliquer, argumenter, reconnaître, discuter s’il se sait pieds et poings liés par les reproches ou la procédure juridique, ou simplement sa perspective éventuelle ?
Il en est de même pour le patient meurtri et tenté, soit de supporter sans se plaindre, soit à l’inverse de chercher non seulement à être indemnisé, mais aussi, parfois, à se venger. Quelle que soit la qualité des arguments développés, ils ne tiennent que modérément devant la confrontation du soignant à lui-même dans une situation vécue à juste titre, bien que souvent de manière excessive, voire fantasmatique, comme menaçante et déstabilisante. Deviser sur la nécessité d’informer, dévoiler, annoncer, avouer... au patient ou à ses proches que les soins ont été associés à des effets indésirables parfois graves, voire qu’ils en ont été la cause est une chose. Reconnaître une responsabilité entière ou partielle dans ces effets, regretter, compatir, s’excuser, assumer... en est une autre. Si tout dépend de l’implication, cette situation est d’autant plus difficile que les conséquences sont graves pour le patient, qu’elles auraient pu être évitées et que la responsabilité est grande pour le soignant. L’échange autour du dommage représente ainsi un effort considérable supplémentaire pour tous les protagonistes. Le patient doit assumer non seulement sa maladie et les dommages supplémentaires, mais aussi la confrontation à un soignant à qui il a toutes raisons d’en vouloir et à la médecine dont il a encore plus besoin, mais dont il mesure la fragilité et dont il peut estimer qu’elle a une dette envers lui. Et le soignant doit prendre le risque supplémentaire de s’exposer au patient dans une situation où il est lui aussi meurtri. Si les deux efforts ne peuvent et ne doivent pas être comparés, ils sont simultanés et la tentation de la haine et de la fuite gagnent à être évacuées par la prise de conscience de la « galère » commune. C’est en tout cas le point de vue de Linda Kenney, une patiente américaine, qui, sensibilisée à la souffrance et à l’isolement de ses soignants, dans les suites d’un arrêt cardiaque qu’elle a subi au décours d’une banale opération de cheville, a créé en 2002, le MITSS [8], un service de support pour les traumatismes induits par la médecine, dont l’objectif est de soutenir la guérison et de redonner espoir non seulement aux patients et à leurs familles, mais aussi aux cliniciens après des événements médicaux défavorables.

Des échanges insérés dans un contexte évolutif
Qu’elles veuillent obtenir explications, excuses ou réparation, punir tel ou tel soignant ou modifier le système dans lequel il travaille, les personnes concernées par un dommage n’en sont pas moins soumises à des règles et à des représentations dépendantes d’un contexte où les stratégies individuelles et collectives viennent se faire écho. Il en est de même des soignants qui ont été formés à la perfection et à la défense de l’image d’une médecine infaillible. Heureusement, ce contexte est évolutif : l’intolérance au risque et les exigences d’une médecine considérée toujours triomphante s’associent de plus en plus à la reconnaissance de la complexité et de l’humanité du travail du soignant ; la responsabilité individuelle professionnelle du dernier maillon ayant conduit au dommage est éclairée par l’analyse systémique des causes profondes et des autres défaillances du système ; le droit à la réparation s’associe, certes encore trop timidement, au respect du soignant. De même la prise de conscience par les soignants que le risque juridique objectif n’est pas aussi important que la peur qu’ils en ressentent doit aussi s’accompagner de la reconnaissance de la légitimité de leurs craintes. Enfin, même si elle n’est pas toujours facile, la séparation de la fonction et de la personne du soignant mis en cause peut atténuer le caractère infamant de l’erreur, tandis que le fait de dissocier l’indemnisation de la faute peut faciliter le dévoilement. Dans le même temps, l’importance du soutien émotionnel aux soignants doit être affirmée pour les aider à garder leur confiance en leur compétence professionnelle.

Lever les ambiguïtés
Malgré sa pertinence et sa lucidité, l’annonce au patient d’un dommage s’inscrit dans ce qu’il faut bien appeler un militantisme institutionnel, certes conscient que les lois ne suffisent pas et qu’il faut aussi convaincre, mais parfois aussi quelque peu naïf, si ce n’est culpabilisant on fait peur aux soignants, plus ils se sentent isolés et honteux, moins ils se sentent soutenus par leur corps professionnel, plus ils vont avoir tendance à se défendre et à désespérer d’un métier qu’ils ont pourtant, le plus souvent, choisi pour des raisons altruistes. Tant que persisteront les ambiguïtés sur le soutien et l’accompagnement apportés aux soignants impliqués, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils y adhèrent plus que formellement. Les arguments utilisés n’auront de réels effets que s’ils s’accompagnent d’une réelle et concrète prise en compte des difficultés et des besoins des soignants et s’ils y trouvent un réel intérêt personnel et professionnel.
Et pour cela, il est nécessaire que l’investissement institutionnel soit clair, fort et soutenu pour permettre l’évolution des pratiques et des mentalités et permettre, « en sortant la médecine du fardeau de la perfection, de l’aider à être plus humble, plus humaine, plus éclairée et plus puissante dans son potentiel de soin » (Christensen). Sans oublier, comme le dit Hilfiker [9], que « la nature même du travail d’un médecin signifie qu’il y a des choses qui ne peuvent pas être réparées ».


par Eric Galam, Pratiques N°59, novembre 2012

Documents joints


[1Tom Delbanco et coll., Guilty, Afraid, and Alone — Struggling with Medical Error, in Engl J Med 357 ;17 www.nejm.org october 25, 2007.

[2HAS, Annonce d’un dommage associé aux soins. Guide destiné aux professionnels de santé exerçant en établissement de santé ou en ville, mai 2011, www.has sante.fr/portail/jcms/c_953138/annonced-un-dommage-associe-auxsoins ?xtmc=annonce&xtcr=6

[3Prescrire Rédaction, Le soignant, l’erreur et son signalement « Éviter l’Évitable. Le soignant, l’erreur et son signalement », Prescrire 2010, 30 (320), p. 456-460.

[4Lauris C Kaldjian et coll., An Empirically Derived Taxonomy of Factors Affecting Physicians’ Willingness to Disclose Medical Errors, Journal of General Internal Medicine., 2006 September ; 21(9) : 942—948

[5Christensen JF et coll., The heart of darkness The impact of perceived mistakes on Physicians, Journal of General Internal Medicine Vol 7, 1992, p. 424-31.

[6Voir guide HAS.

[7Aron Lazare, Apology in Medical Practice An Emerging Clinical Skill, JAMA, September 20, 2006 — Vol 296, No 11.

[8Medically Induced Trauma Support Services : www.mitss.org .

[9Hilfiker D., Facing our mistakes, NEJM, 1984 ;310 : 118-122.


Lire aussi

N°59 - décembre 2012

Lu : La cavale de Billy Micklehurst *

par Isabelle Canil
Présenté par Isabelle Canil Une superbe nouvelle : un SDF, Billy Micklehurts, hante le Cimetière du Sud à Manchester, parce que les morts lui ont confié « une partie, petite mais précieuse, de …
N°59 - décembre 2012

Le spectre de l’innommable

par Anne Perraut Soliveres
Le milieu du soin est affecté par le fantasme entretenu d’une catastrophe annoncée. On peut cependant détricoter certains pièges à condition de les nommer et de les affronter collectivement. …
N°59 - décembre 2012

Médiateur au CHU

par Jacques Dubin
La fonction de médiateur dans les hôpitaux a été mise en place depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé, en même temps que les commissions de …
N°59 - décembre 2012

De la seconde victime au premier acteur

par Eric Galam
De nombreux soignants ont expérimenté l’implication dans un dommage touchant un patient. Le retentissement de cette expérience sur leur personnalité et leur pratique nécessite qu’on s’y intéresse. …