Martine Lalande,
médecin généraliste
Années 90. Nathalie a le sida. Elle a de la fièvre, je vais la voir à domicile. Elle s’est réfugiée chez sa mère car elle est trop mal. Elles ne s’entendent pas, bien que Nathalie l’ait beaucoup défendue contre son père, qui était violent quand il buvait. Sa mère aussi a des problèmes avec l’alcool. Nathalie m’avait raconté un de ses derniers échanges avec son père. Lui : « Crève avec ton sida ! » Elle : « Meurs avec ton cancer »... Il est parti le premier.
Ce jour-là, sa mère râle : « Elle fume toujours au lit, elle va brûler ses draps ! ». Alors je lui dis : « Chacun sa drogue, Nathalie c’est le tabac (j’oublie volontairement l’héroïne), vous c’est l’alcool, et moi le chocolat. » Sa mère disparaît aussitôt dans la cuisine. De retour, elle m’offre une plaque de chocolat au lait, signifiant qu’une dépendance ne peut attendre. La tablette est restée longtemps dans ma sacoche, pour les petits moments de blues...
Nathalie est morte en 1995 à 26 ans, sa meilleure amie avait fait une overdose la veille d’un jugement, son ex-ami était mort quelques mois avant, son compagnon, malade aussi, s’est suicidé peu de temps après. Sa fille, qui avait l’âge de mon fils, a été adoptée en Bretagne. Je l’ai vue une fois quand elle avait 15 ans. Très belle, elle souffrait d’une lipodystrophie liée aux traitements pris depuis sa naissance, mais elle allait bien. La barre d’immeuble où elles habitaient a été détruite l’an dernier, pour la rénovation du quartier. Souvenirs envolés. C’est la dure vie des médecins généralistes, qui est bien moins dure que celle de leurs patients...