Yannick Lapeyre,
médiateur en santé à la Case de Santé Toulouse
J’ai connu La Case de Santé à un moment de ma vie très important, où j’étais à un point de non-retour. Mes consommations d’héroïnes et d’alcool étaient quotidiennes depuis plus de dix ans, ma vie ne tournait qu’autour de ça et du travail que j’arrivais à tenir. Après le décès d’un ami, je me suis mis à consommer encore plus, avec de grosses prises de risque. J’étais sans cesse au commissariat ou à l’hôpital. Mes sœurs ont essayé de m’aider, sans succès jusqu’au jour où la justice a commencé à avoir l’œil sur moi. Je ne voulais pas aller en prison, et j’ai arrêté ma consommation d’héroïne, du moins d’aller en acheter. Pour la pallier, avec mes sœurs nous avons cherché un bon médecin. Une pharmacie nous a conseillé d’aller voir sur la place Arnaud Bernard où un super médecin et deux promoteurs de santé venaient juste d’ouvrir un cabinet médical. C’est ce que j’ai fait.
Comme je faisais partie des premiers patients du cabinet, j’ai eu un superbe accueil avec une grande écoute de la part de ces trois personnes. Les consultations médicales et sociales n’avaient pas de durée limitée. On prenait le temps de discuter. Cela a permis au médecin de travailler ma motivation pour un sevrage à l’aide de médicaments et de consultations régulières. Nous avons fait beaucoup d’examens, car je n’avais pas vu de médecin depuis très longtemps. Ils ont vu que je gérais mes consommations seul depuis de nombreuses années avec une bonne connaissance des médicaments et de toutes les substitutions. Ils ont compris qu’il ne fallait pas trop me cadrer, car je n’aurais pas accepté de pression venant du milieu médical. Cette liberté m’a donné beaucoup de responsabilité pour prendre ma santé en main. Le sevrage de l’héroïne s’est très bien passé, l’alcool s’est avéré beaucoup plus difficile à arrêter. J’ai décidé d’apprendre tout sur les consommations de produits psychoactifs, sur les maladies transmissibles, sur le travail social. J’ai réalisé que toutes ces années à consommer diverses drogues, et à fréquenter des milieux où l’ont consomme des stupéfiants, m’avaient appris beaucoup de choses.
Quand j’ai réussi à « décrocher » de mes addictions, je me suis investi dans la vidéo. Nous avons monté une télévision de quartier www.alibernard.tv avec des petits films vidéo pour parler de ce qui ce passe dans notre quartier populaire de Toulouse. Je suis à l’initiative du film « Méthadone » qui est sur le site Internet [1]. Puis j’ai commencé à faire du volontariat à AIDES. J’ai fait des formations sur la toxicomanie, sur l’accueil des personnes, la confidentialité, les Maladies Sexuellement Transmissibles... Le travail de volontaire me plaisait énormément, et ils m’ont proposé des remplacements en tant qu’animateur dans la RDR (réduction des risques). J’intervenais dans le milieu urbain de Toulouse et dans le milieu festif des Free Party, soirées illicites où beaucoup de drogue circule. Puis l’équipe de La Case de Santé m’a proposé un contrat aidé de douze mois renouvelable au poste d’animateur en santé communautaire, qui est à ce jour pérennisé. Je m’occupais des activités communautaires : massage, activités avec les vieux migrants (Chibanis-as), cantine mensuelle et les tâches du centre de santé, en autogestion. Et aussi de la RDR auprès des patients consommateurs de produits. Aujourd’hui, je travaille à l’accueil du centre de santé, à un poste de « médiateur en santé ». C’est très convivial afin de mettre les patients à l’aise, en confidentialité (nous avons un bureau fermé). Souvent, ces personnes ont été baladées d’association en association, il est important de répondre à leur demande ou de trouver où les orienter. Nous vérifions qu’elles ont une couverture sociale, et coordonnons les rendez-vous, nous ouvrons le dossier médical et social. Nous nous occupons de la salle d’attente, affichage, flyers, actualité sur la santé, campagne VIH hépatites. Et aussi de la logistique des activités, réunions de travail, manifestations, lien avec les populations qui habitent le quartier, orientation vers d’autres structures associatives de premier recours. Ma connaissance de l’usage de drogue m’aide à entrer en contact avec des usagers. Dans mes années de free party, j’ai eu l’occasion de consommer différentes drogues, je me suis intéressé à leurs molécules ce qui m’a donné une connaissance très rapprochée de certains produits et des manières de les consommer. Ce que j’ai appris dans les modules de formations a affiné mon savoir, de plus j’écoute beaucoup donc j’apprends tout le temps. Avant de travailler avec la Case de Santé, j’ai fait une remise à niveau de six mois pour rattraper mes difficultés au niveau de l’écriture.
La réduction des risques pour moi n’est pas aider les consommateurs à arrêter leurs consommations de produits. Sauf s’ils le demandent bien sûr. La RDR a pour but de réduire les risques de contaminations par le VIH, les hépatites et autres maladies. Cela consiste, pour des injecteurs, à leur apprendre comment s’injecter proprement pour réduire leur risque de s’abîmer les veines, à ne pas échanger le matériel souillé, savoir où se procurer du matériel, connaître les lieux ressources... Cela permet un contact direct avec la personne pour discuter de ses pratiques. Un élément très important dans ce travail est le partage d’informations. Une personne « paire » qui a certaines connaissances des pratiques de consommations peut en parler, apprendre ce qu’elle a appris et cela fait « boule de neige ». Nous travaillons également en lien avec les structures de bas seuil de Toulouse (CSAPA [2], CAARUD [3]) et nous participons au réseau PASSAGES (addictions).
Grâce à cet accueil de bas seuil, nous avons pu identifier un phénomène émergent sur le quartier : une consommation importante de benzodiazépine prise avec de l’alcool et qui touche essentiellement des jeunes en provenance des pays du Maghreb. Nous avons décidé de mettre en place une information à destination de ces jeunes concernant l’usage de ces médicaments. J’ai également fait une recherche pour comprendre ce phénomène, qui s’appelle Krakoubi au Maroc. Beaucoup de ces jeunes sans ressources se retrouvent sur le quartier et viennent nous demander de l’aide, nous les accompagnons sur le plan médical, social et psychologique. Nous faisons un suivi très rapproché. Nous les aidons aussi sur le plan administratif, car leurs problèmes principaux sont les papiers pour pouvoir rester sur le territoire français. Actuellement, nous mettons en place un groupe d’usagers pour échanger autour des addictions et la substitution, l’idée étant de partir de l’expérience et des pratiques de chacun et de travailler sur des outils d’auto support.
Chez les usagers de drogues par voie intraveineuse, la prévalence de l’hépatite C est très élevée. Nous travaillons sur les pratiques d’injection, pour éviter les abcès ou autres infections. Nous avons mis en place un système de dépistage rapide du sida (TROD), qui permet d’obtenir un résultat en vingt minutes. Si le test est positif, nous envoyons le patient au laboratoire pour une prise de sang de confirmation et de bilan de sa maladie. Cela permet aussi de distribuer du matériel stérile d’injection ou de sniff ou pour fumer. Et des containers pour récupérer le matériel souillé qu’ils nous ramènent, ce qui permet un contact régulier. Nous commandons les matériels nouveaux pour les proposer à nos usagers. Une association anglaise a fabriqué des seringues de différentes couleurs. Cela permet de s’approprier une seule seringue d’une couleur et de ne pas les mélanger quand on est plusieurs à consommer une drogue par voie intraveineuse. Le même système existe avec le sniff. Nous distribuons des « roule ta pailles ». Ce sont des gros carnets de petits papiers de différentes couleurs : la personne peut utiliser à chaque sniff une paille propre à usage unique. Nous conseillons les usagers de drogues au mieux, au plus proche de leurs pratiques. Cela se passe dans une très bonne ambiance, contrairement aux idées reçues ! Ils apprécient de pouvoir rencontrer quelqu’un assez rapidement, un médiateur qui va les recevoir et leur expliquer le fonctionnement du centre de santé et les différentes possibilités de réduire les risques.