Sylvie Cognard
Médecin généraliste enseignante
Athènes, novembre 2015
Nous sommes reçus par l’association KLIMAKA, une organisation non gouvernementale qui s’occupe, d’une part, de gens vivant à la rue et, d’autre part, d’un centre de prévention du suicide. Dans la grande pièce de réunion, une exposition de photos : des scènes de la vie quotidienne allant par paire. Une dans un milieu social ayant des ressources, l’autre chez les gens de la rue. On peut y voir la photo d’une personne faisant ses courses dans un supermarché avec un caddie bien rempli et à côté une dame très âgée courbée sur une poubelle pour y chercher son repas. Une enfant dormant avec son doudou dans un bon lit à côté de la photo d’une petite fille dormant dans la rue en serrant une vieille poupée à qui il manque un œil et une jambe etc.
Après une discussion passionnée de plus d’une heure, pour terminer notre visite, on nous montrera comment un des psychologues de l’association peut entrer en contact avec des personnes isolées sur des îles sans structure de santé mentale par un système de vidéotransmission propre à l’association. Ainsi une personne ayant des idées suicidaires en proie à une crise d’angoisse peut être écoutée et rassurée à distance dans un local dédié avec l’accompagnement d’un infirmier présent sur l’île.
Si le système est intéressant, il y a lieu de préciser deux choses. La souffrance psychique en Grèce a une croissance exponentielle, avec un taux de suicide ayant progressé de 40 %, conséquence avérée des politiques d’austérité qui ont saigné à blanc et continuent de saigner ce pays. D’autre part, le système de santé mentale se trouve désormais dans une impasse irrémédiable et une implosion ingérable. Les hospitalisations dites « involontaires » et les contentions mécaniques deviennent la règle et les longs séjours sont désormais confiés à des structures privées, sous forme « d’internats » avec peu de personnels soignants pour diminuer les coûts…
La télémédecine sert ici, semble-t-il, à combler les manquements d’un système kafkaïen. Elle est pratiquée par une ONG riche d’humanité, de réflexion politique et d’esprit solidaire. Cependant, ce type de soin pose la question de la mise à distance de la « matière » du corps pour n’en considérer que les émanations visuelles et auditives.