Une psychiatrie humaine et vivante

Mathieu Bellahsen,
Psychiatre de secteur

        1. «  Reconstruire  » impose une nouvelle construction qui ne serait pas happée entre d’un côté le néolibéralisme, ses « innovations », ses « révolutions » et de l’autre côté une promotion purement défensive de la psychiatrie humaniste passée, dont nous serions les héritiers.

Les pratiques ouvertes engageant les collectifs de soins autour d’une émancipation collective se faisaient sur un autre fond de la société. Ce fond était relié à un sens et le travail soutenait ce sens, les dispositifs créés étaient au service des personnes les plus en difficulté. Actuellement, le « fond de l’air » n’est pas rouge… Un renversement a eu lieu que nous n’avons pas tout de suite mesuré. Les pratiques précédentes se sont poursuivies en même temps que le fond de l’air se transformait. La trame sur laquelle, et à partir de laquelle, se font les choses s’est modifiée. D’autant plus « l’air de rien » que les mots utilisés étaient les mêmes que les précédents, piège de la psychiatrie santé-mentaliste. Ce fond néolibéral est un cadre contraint qui prend l’aspect d’une liberté « infinie » à l’intérieur de ce cadre, tout en se voulant un cadre naturel… Après « les lois naturelles de l’enfant », le best-seller non écrit et déjà appliqué est « les lois naturelles des patients »…
Le pire, tout le monde le connaît, le vit, l’écoute. Que ce soit au niveau du soin, ou de l’accompagnement des personnes en difficulté, ou au niveau de la société. Contrainte, contentions, épuisement de professionnels, maltraitance des patients et atonie politique. Désarticulation de la question clinique et de la question politique. Inflation de la maltraitance institutionnelle rebaptisée « bientraitance managériale » [1] pour les soignants, et « promotion de la bientraitance » pour les patients.
Si certaines initiatives peuvent être a priori louables, la question centrale est : « Sur quel fond se situent-elles ? ». Est-ce qu’elles ont vocation à transformer réellement le milieu ou à maintenir une chape de plomb visant à désarmer la critique ? « Vous voyez, nous sommes intéressés par la bientraitance puisque nous avons la charte ! ». On peut multiplier à l’envi toutes ces absurdités sous prétexte de notions positives. L’analyse du décalage entre ce qui est énoncé et les pratiques réelles est maintenant bien connue. Espérons que les cliniciens et gestionnaires initialement promoteurs de tous ces indicateurs deviennent progressivement plus lucides… Peut-être qu’en devenant « jaune tendance gilet », le fond de l’air va les y inciter !
Dans ce contexte, la question est de savoir comment tenir bon, comment construire un horizon d’attente soutenant la possibilité d’émergence de jours meilleurs ? Pour se sortir de cette ornière, c’est à la construction d’un nouvel imaginaire, qui part des pratiques, que nous devons nous atteler, en premier lieu là où nous sommes. Instituer un fond de l’air respirable pour les personnes en présence. Cette « qualité du fond de l’air », étant donné la pollution de l’atmosphère psychiatrique actuelle, est en soi plus qu’une résistance. Elle est création d’une forme de vie micropolitique. Cette forme de vie est d’autant plus nécessaire à tenir que la silenciation macropolitique de telles tentatives existe et que les particules fines de la santé mentale positive [2] obstruent progressivement nos créations.

  1. Ensemble : collectif et commun

Dès lors, comment tenir ensemble dans nos différents lieux ? Car nous pouvons être mortifiés ensemble, jouir de ce désastre, de ce catastrophisme, de cette fin inéluctable de la psychiatrie émancipatrice. Être vivant ensemble s’articule à la « déconniatrie » chère à Tosquelles, à la fonction nécessaire et centrale de l’humour, aux soutiens des émergences incroyables qui se passent bien souvent dans les souterrains de nos lieux où peu de gens, voire plus personne, n’en remarquent l’existence. Cela a à voir pour moi avec le développement de « la fonction TRUC ».
Le TRUC est le Terrain de rassemblement pour l’utilité des clubs. Il s’est créé suite à l’appel d’un collectif hétérogène de patients, soignants, citoyens à partir d’un lieu de soin en 2015, le centre Artaud à Reims. Ont répondu à cet appel une quinzaine de clubs thérapeutiques, associations, groupes d’entraide mutuelle. Décision a été prise d’organiser tous les ans un forum interclubs itinérant, dans plus d’une quarantaine de lieux. Le TRUC se réunit environ tous les trois mois. Il institue un nouveau rapport à la parole dans les collectifs de soin. Pour la première fois se discute ensemble d’une façon vivante, joyeuse, sérieuse, humoristique cette question non seulement de rester vivants dans nos lieux, mais également de soutenir l’émergence des désirs des uns et des autres. En plus des décalages qui se travaillent dans les clubs thérapeutiques, ou plutôt par la « fonction club » des lieux (qu’ils soient un club, un Groupe d’entraide mutuelle-GEM, une association ou autre), s’institue un nouveau type de décalage puisque se crée une nouvelle strate de circulation entre les lieux et les gens. Nouvelle circulation dont il faut prendre toute la mesure à l’heure du renforcement des cloisonnements dans la société, sous prétexte de « fluidité », « mobilité », « flexibilité », « partenariats » etc.
Dans ce lieu, nous parlons de la destruction en cours ici et ailleurs, mais nous nous donnons des « trucs » pour résister, pour inventer du nouveau. Savoir que des copains dans d’autres lieux tiennent bon, qu’ils inventent, qu’ils déconniatrisent à plein tube, ça soutient. Ça soutient énormément. Ça apporte aussi une liberté de parole qui est bien souvent éteinte dans les lieux institués. Lors d’une réunion très officielle dans l’établissement où je travaille, à la question : « Est-ce que vous avez des outils dans votre boîte à outils ? », la fonction TRUC permet de répondre : « Oui : une corde ». Rire jaune garanti dans la salle.

Le TRUC nous permet aussi de comprendre que pour que de l’instituant existe, il faut une base instituée. Les temps actuels sont à la destruction de l’institué. Se coltiner l’institué, ce n’est pas le dénier d’un geste héroïque de résistance (voire de démission), ce n’est pas non plus collaborer à ces normes, mais bien appréhender comment dégager des marges de manœuvre suffisantes pour travailler réellement, voire pour le subvertir.
« Ensemble » nécessite d’être au-delà des clivages d’antan entre catégories professionnelles, familles, patients, citoyens concernés. Ensemble, chacun de son observatoire hétérogène, avec des espaces de circulation, de paroles et d’échanges. « Ensemble » n’existe pas en soi, il est soutenu d’une façon vivante par une pratique, qu’elle soit clinique, politique, de lutte, de vie.
Dans ce sens, ce terme « ensemble » a tout intérêt à s’articuler aux travaux de Dardot et Laval sur le Commun. Commun comme un nouveau principe qui, à partir des pratiques, travaille à instituer de l’inappropriable, à s’opposer au principe de concurrence. Sortir de l’imaginaire de la propriété, de l’entreprise, de la maîtrise permanente de soi et du monde, de la technologie naturalisante – notamment promue par la santé mentale positive – nécessite de réarticuler ce que nous entendons par « humain ».
Quand le transhumanisme cherche l’amélioration et l’augmentation de l’espèce humaine, quand les neurosciences sont prises dans les rets de l’utilitarisme et du naturalisme légitimant une psychiatrie « cérébrale » et « neuronale » qui n’en est pas moins sans âme, l’humain ne doit pas être, à son tour, le lieu d’une nouvelle naturalisation où nous saurions par avance ce que serait l’humain, par exemple sous couvert de valeurs. « L’humain d’abord » des slogans de campagne doit également intégrer « l’ordinaire de la cruauté humaine », l’inhumanité de l’humain. Et paradoxalement, c’est encore être humain qu’avoir des conduites déshumanisantes, objectivantes… Ainsi, tentons de conflictualiser « l’humain » en en faisant le lieu d’un certain rapport à la différence, à l’irréductibilité et à l’étrangeté d’autrui comme de soi-même. Ce qui implique des déplacements, de l’imprévisible, du bizarre.
Les acteurs sont eux-mêmes piégés dans les logiques de concurrence entre groupes, entre syndicats, entre services. Comment déconstruire ces pièges et remettre au centre du jeu le sens du travail lui-même ? Si la perte de sens est un symptôme global, c’est peut-être à partir de là que cela va se réinventer. Puisqu’il s’agit de reconstruire un sens à partir d’une pratique, sens qui ne serait pas seulement porté par une idéologie ou une rationalité [3].
Être ensemble n’est pas être les uns à côté des autres, mais être les uns avec les autres. Cette dimension de l’avec impose d’analyser et de travailler ce que cela implique en termes de destructivité à l’intérieur même du groupe pour reconstruire du collectif à partir de la pratique. Tenter d’instituer des espaces de conflictualité propices au travail sur l’ennemi intérieur (nos résistances personnelles, de groupe et d’établissement) tout autant que face à l’adversité. Comment vont se travailler les clivages, s’altérer les positions initiales des uns et des autres pour faire place à un axe plus collectif, tenant compte des singularités de chacun dans ce collectif… Repenser la question stratégique à partir d’un devenir minoritaire.
Il y a urgence à créer un front large, associant les patients et leurs familles et bien entendu tous les professionnels. Même les directeurs se plaignent (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou EHPAD notamment). Comment catalyser l’ensemble et pour quelles perspectives ? Analyser les pièges des émancipations falsifiées qui sont proposées. Partir du mouvement lui-même pour qu’émerge du radicalement nouveau.

  1. Hospitalité au pire : démocratie sanitaire et déconstruction de la démocratie

Récemment, j’ai accepté un poste de responsable du pôle de psychiatrie adulte où je travaillais depuis plusieurs années. La question de comment rester vivant et sensible au fait psychique est quotidienne puisque tout pousse au cynisme, à l’insensibilité et au retranchement derrière des mots, des discours, des pratiques qui n’ont pas/plus de sens. Je renvoie à la très belle monographie concise et précise de François Ruffin Un député à l’hôpital psychiatrique parue en décembre 2017.
Deux axes d’une recherche personnelle me font supporter cette place de responsable médical du secteur où j’exerce.
Le premier est politique : il s’agit de comprendre l’évolution de la démocratie (ou son involution) à partir de cet observatoire spécifique qu’est l’hôpital public. Comment « faire avec » la société actuelle, sa bêtise et ses horreurs ? Quels dispositifs pour « faire face » ? Quelles nouvelles formes créer pour transformer le réel, pour instituer ce que je nommerai des pratiques altératives ?
Selon Castoriadis, la démocratie est « l’auto-institution explicite de la société », ce qui la distingue radicalement de toute hétéronomie. La société et les humains se donnent à eux-mêmes leurs propres lois, là où « Dieu », « le parti », « l’État », « le marché », « l’entreprise » sont habituellement en place d’organisateur de la société, de son institution elle-même. Ce qui implique que les individus se soumettent aux lois instituées de la société mais que, dans le même temps, ils puissent remettre en question l’institution de ces lois. Aujourd’hui, il faut comprendre que le terme « d’autonomie » est falsifié.
Nous sommes face à une nouvelle hétéronomie qui prend le masque de l’autonomie. Cette hétéronomie est le cadre néolibéral avec sa norme concurrentielle et la découpe du vivant et de l’existant en capitaux bons à développer, à faire fructifier, à investir. La santé est inscrite dans cette hétéronomie capitaliste.
La démocratie représentative se décline dans le champ de la santé depuis une vingtaine d’années sous la forme de « la démocratie sanitaire ». « L’ensemble » des représentants sont consultés et participent à l’organisation du champ de la santé. Pour avoir une idée de la falsification démocratique à l’œuvre et des marges de manœuvre possibles, il faut s’intéresser aux croisements de plusieurs plans de lutte (juridique, clinique, administratif).
Le concept central de « déstigmatisation » organise officiellement l’action publique et des professionnels depuis plusieurs années. « Il faut déstigmatiser la maladie mentale ». Pour ce faire, l’argument est toujours le même, il faut que les troubles psychiques soient considérés comme des maladies comme les autres. Que les patients psys soient soignés comme les autres… Dans une commission officielle, une collègue a pu répondre qu’être soigné comme les autres, c’est être mal soigné !
J’ai également pu entendre de la part d’un représentant d’une grande association que si les bipolaires peuvent, à la limite, être représentants des patients, tout de même, les schizophrènes, ce n’est pas sérieux… Voilà le fond de la déstigmatisation, un partage entre les bons patients normalisables selon les critères de « la bonne santé mentale » et les autres qui sont aux bords, voire exclus des dispositifs nécessaires (hôpital plutôt que prison, dispositifs sécuritaires…).
Vous l’aurez sans doute compris, la dévitalisation de la psychiatrie est aussi liée à la dévitalisation de la démocratie. La question de l’âme, de l’étrangeté et de l’étrange est d’autant plus difficile à assumer que l’hospitalité elle-même est trouée dans ses fondements de façon visible médiatiquement dans la Roya, en Savoie, ou dans le silence de nos rues et des bidonvilles qui se reconstruisent.

Le mouvement d’instituer (l’institution de la société) et la remise en question des lois instituées ne se font qu’à partir du cadre néolibéral. Ce qui conduit à une falsification de la réinstitution de la société par la société elle-même. Pour l’instant, une réinstitution à partir d’une réelle autonomie des acteurs ne semble pouvoir se faire que sur un plan local. C’est à cet endroit que la question du commun offre une piste pour cette articulation entre micropolitique et macropolitique, car il met la question de la pratique, de l’activité au centre du mouvement d’institution lui-même.
À ce jour, la verticalité du pouvoir est accrue sous couvert de promotion de l’horizontalité avec l’affaiblissement, voire la disparition des anciens contre-pouvoirs qui existaient à chaque échelon de la pyramide hiérarchique. Ce qui nécessite de penser autrement les formes de lutte et d’organisation.

  1. Les pratiques altératives pour transformer le réel

J’entends par pratiques altératives des formes de ce que l’on pouvait nommer dans la séquence historique précédente « contre-pouvoir ». Cette notion référée à une période de confrontation bloc contre bloc apparaît datée. Or, les formes de luttes issues de ces précédents modèles ont désormais une efficacité politique limitée, voire nulle. Elles n’arrivent plus à transformer suffisamment le monde et le réel. Il n’y a qu’à penser toutes les défaites récentes, que ce soit dans le champ social (loi travail), dans le champ de la santé (Groupement hospitalier de territoire), ou dans le champ de la psychiatrie (loi de 2011). C’est ici que l’on doit se poser la question du sens de la grève, de ce que l’on peut en attendre et de savoir si cette forme suffit à ouvrir d’autres imaginaires [4].
Le deuxième axe de travail est de savoir s’il est possible, à l’heure actuelle, d’instituer une pratique de collectif de soin à partir d’une position clinique, alors même que tout pousse à instituer l’organisation de soins à partir d’une position de manager et d’entrepreneur. Là aussi, des discours paradoxaux sont servis en permanence quand on se situe à cette place de responsabilité. Il faut être au plus proche du terrain et passer son temps en réunion…
Les professionnels en viennent eux-mêmes à être captés par l’impossibilité de penser ce qui arrive dans l’existence des personnes. Et bien souvent, nous devons ouvrir cette simple question : « Qu’est-ce qui a pu rendre la personne comme cela ? » Et comment, à partir de cette hypothèse, tenter de rentrer en contact avec elle et permettre des émergences singulières ?
Que ce soit sur une unité d’hospitalisation, dans un hôpital de jour, un centre médico-psychologique ou autre, cette question fondatrice : « Qu’est-ce qui l’a foutu comme ça ? » articulée au « Qu’est-ce qu’on fout là ? » d’Oury est un remède précaire et partiel au rabattement des naturalismes de tout poil. Pour autant, cela ne suffit pas. Après, il faut y être. L’entrée dans cette dimension de compréhension historicisante à partir de constructions d’hypothèses est bien souvent oubliée ou rabattue sur des comportements, sur des théories d’avant coup (quelles qu’elles soient).
Cette question d’institution à partir de la clinique impose de considérer ce qui se passe pour les gens comme étant lié au fait psychique, c’est-à-dire à l’existence d’un inconscient, de répétition et d’inédit, de phénomènes transférentiels qui mettent en jeu, qu’on le veuille ou non, notre subjectivité. Pour autant, cette hypothèse de base ne se suffit pas à elle-même. Elle est inscrite dans le monde, dans la société actuelle et dans ce que deviennent les établissements de soin. Elle impose de composer avec l’imaginaire actuel qui oriente les pratiques sur un versant toujours plus santé-mentaliste. Il ne s’agit pas juste de se raccrocher à l’imaginaire héroïque d’antan (de la psychanalyse, des services publics au service du public, des dispositifs construits pour les questions qui se posent plutôt que pour les réponses que l’on veut apporter d’emblée), ou à la subversion intrinsèque d’une « clinique du sujet ».
Je ne sais pas s’il est possible de limiter la dévitalisation par l’imaginaire actuel et par les normes qui nous traversent toutes et tous. Pour autant, ce pari de tenter de produire une nouvelle vivance ne supporte pas d’alternative, sauf à penser qu’il n’y a plus de sens à ce que l’on fait et de s’habituer toujours plus au pire.

  1. Branchement de pratiques

Depuis plusieurs années, je suis en lien de travail avec le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA), association qui lutte pour les droits fondamentaux des personnes privées de liberté en psychiatrie, et qui a notamment fait casser la loi de 1990 par l’intermédiaire d’une question prioritaire de constitutionnalité. Les armes du CRPA sont essentiellement juridiques. Je renvoie à la soirée sur Mediapart le 14 mars 2018 avec Adeline Hazan, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, (GLPL) et André Bitton, président du CRPA.
Lors des réunions avec les patients sur l’unité d’hospitalisation reviennent régulièrement des problèmes de divers ordres. À partir de ces réunions, des courriers sont envoyés à l’administration pour se plaindre des conditions d’hospitalisation, pour se plaindre de nous et de nos conditions d’accueil. Plaintes que nous encourageons d’autant plus qu’elles permettent une conflictualisation sur d’autres scènes que celle exclusive du service. Ici, il est important de soutenir le conflit, les contre-pouvoirs, d’expérimenter qu’ils ne nous détruisent pas et qu’ils permettent des altérations et des constructions réciproques. À l’heure des « je suis d’accord avec vous » et des « en même temps » désarmant la critique, il apparaît sain de retrouver une dimension conflictuelle assumée transformatrice (et non simplement imposant ce qui est prévu par avance sous couvert de « concertations » falsifiées).
Ces plaintes vont à la Commission des usagers (CDU) et sont prises au sérieux, car des personnes extérieures y siègent, et elles sont le reflet des problèmes qui se posent pour les patients dans l’établissement et des réponses que l’on y apporte. Nous avons pu constater que ce qui est désormais refusé aux soignants est plus facilement accepté quand il vient des patients, élément nouveau dont nous devons mesurer toute l’importance.
Au fur et à mesure que l’intérêt pour la CDU se manifestait, nous nous sommes renseignés pour savoir qui siégeait à cette commission puisqu’il doit y avoir des représentants des familles et des usagers. Or, à la place des usagers siègent uniquement des représentants des familles.
Sachant que le CRPA est agréé depuis plusieurs années pour siéger dans ces instances en tant qu’association d’usagers (l’agrément est délivré par l’Agence régionale de santé), Et Tout et Tout a invité le président du CRPA André Bitton et des membres de l’association pour que les usagers de Et Tout et Tout puissent se représenter eux-mêmes par l’intermédiaire du CRPA. Après avoir postulé officiellement pour le compte de Et Tout et Tout, le CRPA a reçu des refus au motif que les sièges réservés aux usagers étaient déjà pourvus. Un recours au tribunal administratif est en cours d’instruction et pourrait faire jurisprudence au niveau national, à savoir que les associations représentant les familles ne peuvent représenter les usagers. Ce qui permettrait d’ouvrir à de possibles conflictualisations et donc différenciations entre la position des familles et des proches et la position des patients eux-mêmes.
Au niveau clinique, toute cette affaire nous permet d’être dans une pratique ensemble pour que les patients puissent faire entendre leur voix en leur nom et non sous notre coupe ou celle de telle ou telle représentation. Cette pratique a permis d’aborder ce que nous pensons les uns et les autres des soins et de la contrainte, de nos vécus respectifs à partir de nos places respectives. C’est intéressant puisque la mise en circulation de ces objets de parole et de ces pratiques enrichit tout le monde et permet de poser la question de ce que l’on veut collectivement dans tel lieu. Cette lutte pourra avoir des répercussions sur nos pratiques, sur l’accueil que l’on fait ou non, sur ce qui peut ou non se dire dans les instances officielles et feutrées de l’hôpital.
Ainsi le branchement de pratiques juridiques avec le CRPA, sur des pratiques de soin (avec le groupe journal) et des espaces associatifs partagés avec Et Tout et Tout produisent des altérations dans l’institué (ici la commission des usagers) et peuvent permettre l’émergence d’instituant, de décalages.

  1. Conclusion

Si l’actualité médiatique de la psychiatrie s’est heureusement décalée des faits divers pour mettre en lumière les pratiques maltraitantes, nous devons tenter de nous saisir de cette conjoncture pour interroger et transformer notre champ de travail comme les mobilisations des lieux en lutte nous y invitent.
Pour rester vivant en tant que psychiste, il y a un enjeu à combattre politiquement sur le terrain de la clinique et cliniquement sur le terrain politique. Ces deux plans, bien qu’enchevêtrés, sont bien trop souvent étanches. Il nous appartient de trouver les formes permettant une altération suffisamment grande pour instituer autrement les rapports humains, les collectifs de soin et la société.


par Mathieu Bellahsen, Pratiques N°85, avril 2019

Documents joints


[1Charte existant dans notre établissement, thématiques de qualité de vie au travail des certifications.

[2Bellahsen Mathieu, La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle, La Fabrique, 2014.

[3Les mobilisations dans les lieux psy depuis le printemps 2018 travaillent ce point : « Blouses Noires », « Perchés », « Pinel en Lutte » etc. tout comme « la FED-EXC », la fédération des exceptions.

[4Depuis, le mouvement des gilets jaunes est apparu, créant de l’inédit dans notre société.


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