Sylvie Cognard
Médecin généraliste
Jeudi 9 avril 2015, 10 heures du matin, il fait beau. Le rassemblement pour la manifestation contre la politique d’austérité et la loi Macron commence à prendre forme sur la place. Je suis seule avec mon drapeau Syndicat de la Médecine Générale, pour une médecine solidaire. Peu à peu le groupe de départ s’étoffe, beaucoup de collégiens et de lycéens, des plus anciens. Je repère quelques têtes connues. C’est vrai que le gros des troupes est parti en car pour la capitale. Les prises de paroles commencent et s’enchaînent. Un lycéen est invité à prendre la parole, puis j’y suis invitée moi aussi. Mon drapeau a été remarqué, seul médecin dans la foule. Pas facile, comme ça sans aucune préparation de causer des effets de la politique d’austérité sur la santé et du projet de loi de Marisol Touraine et du tiers payant généralisé...
Nous sommes entre cinq cents et six cents personnes, pas mal pour une ville de province. À mi-parcours, deux élèves kiné me rejoignent et me demandent de leur expliquer ce que c’est que cette histoire d’opposition de médecins au tiers payant généralisé.
Alors je rappelle le principe de la création de la Sécurité sociale par le Conseil National de la Résistance en 1945 : « Chacun cotise selon ses moyens pour recevoir selon ses besoins », avec des mutuelles qui s’occupaient de la santé de leurs adhérents et pas de la gestion du ticket modérateur. Je rappelle la façon dont ces mutuelles ont été obligées de s’affilier au régime des assurances privées en 1996, et y ont perdu leur âme solidaire. Je rappelle l’histoire de la médecine libérale (liberté d’installation, de prescription et d’honoraires), imposant le paiement à l’acte contre lequel le SMG se bat depuis 1976. Au SMG, nous défendons aujourd’hui le tiers payant généralisé parce que c’est une mesure de justice sociale, même si on souhaite de fait qu’il n’y ait pas du tout de ticket modérateur. Et on défend le principe d’un « guichet unique » public et non privé.
Oui mais « le ticket modérateur n’a-t-il pas été institué pour responsabiliser les gens ? » Alors je montre comment cette « responsabilisation » relève d’une société de consommation, qui s’accompagne au contraire d’une prise de pouvoir par les médecins sur tous les instants de la vie, je dis que les causes des maladies ne sont pas toujours le fait de la malchance ou de comportements individuels déviants, mais des conséquences de l’environnement, des conditions de travail, des inégalités...
Pour conclure que nous sommes tous là pour la même raison, la défense des services publics, qu’ils soient de santé, d’éducation, de culture, de transports et tous les autres. Que nous sommes là pour défendre les valeurs de solidarité, d’égalité et de partage des richesses. Que nous sommes là pour défendre la qualité de nos métiers maltraités par des gestionnaires cyniques. Que nous sommes là parce que nous ne sommes pas à vendre...