Les tribulations d’un militant

Gérard Filoche

Au premier, au-dessus de l’entresol, c’est Françoise, l’épouse de Gérard Filoche, qui nous ouvre, nous accueille et propose un café.

Le petit appartement, fait face au trou des halles, que Gérard Filoche a vu progressivement se combler, mais toujours en travaux. Il est temporairement privé de l’appartement plus grand qu’il occupe au deuxième étage depuis 40 ans, à cause de la mérule (une saleté de parasite qui ronge les charpentes et dont il est très difficile de se débarrasser). Encore six mois à patienter, sans accès aux milliers de bouquins qui s’entassent dans les cartons d’un garde-meuble inaccessible. Encore une « exclusion », situation symbolique du personnage ?

Pratiques : Qu’est-ce qui vous a amené à militer et à poursuivre cet engagement depuis si longtemps ?

Gérard Filoche : Moi c’est très facile, je suis un fils d’ouvrier, mon père était chaudronnier menuisier à la SNCF et ma mère était aide-soignante. On vivait à Sotteville les Rouen. Disons qu’il était presque évident dans mon environnement que je devais devenir syndicaliste, militant…
À Sotteville les Rouen, on ne dit pas deux heures et demie, on dit quatorze heures trente et une, parce que c’est la SNCF qui dirige ; c’était, à l’époque, une des plus grandes gares de triage du pays. J’ai rencontré mon épouse alors que j’avais 14 ans et demi et elle 17 et demi, elle habitait à 300 mètres de chez moi, était fille de cheminot aussi. Son père était communiste, il était au congrès de Tours, il était résistant, le mien avait été prisonnier pendant cinq ans en Allemagne. Notre entourage faisait que nous étions soit au syndicat soit au parti communiste qui dominait en Normandie dans ces années-là. Moi j’aurais pu ne pas faire de politique, j’étais plutôt naïvement anti guerre, objecteur de conscience, j’aimais bien Laurent Terzieff « Tu ne tueras point », etc.
Disons que toute ma vie est déterminée par la femme que vous avez vue puisque c’est elle qui m’a entraîné d’abord au PC, puis petit à petit on s’est politisés, en apprenant, en lisant. On commençait à avoir des histoires comme tous les militants. Je me suis fait virer du Lycée Fontenelle en 1e, six mois avant le 1er bac, « pour mauvais esprit » et des disputes, notamment avec un pion qui militait pour l’Algérie Française, il était OAS.
Avec des copains, on avait créé un club Paul Déroulède, par dérision… On était un peu agités, ce qui était naturel. J’étais donc un mauvais sujet. J’ai bossé pour passer l’examen, premier bac en candidat libre, puis en terminale, tout de même admis au Lycée des Bruyères, lycée de filles, à une époque où la mixité n’existait pas encore. J’ai un bon souvenir de cette année-là, seul garçon au milieu de cinq cents filles, le seul autorisé à ne pas porter les blouses roses et bi alterné chaque semaine. J’ai obtenu mon bac philo, eu 18 à ma copie et la reconnaissance de ma prof, qui m’a permis de fréquenter le club de philo qui réunissait les professeurs de Rouen : j’étais ébloui, c’était tellement en décalage avec mon milieu ! Dès l’année suivante, en première année de fac, j’ai enseigné sept mois dans la classe de philo du lycée d’où je sortais, devenu mixte. Sept mois de remplacement d’une prof en congé de maternité : quarante élèves, à peine plus jeunes que moi, un sacré défi ! J’ai pu aller à l’Université parce que j’étais fils unique. C’était exceptionnel pour un fils d’ouvrier.
Pendant mes études j’ai fait un tas de petits boulots : moniteur de colo, facteur, manutentionnaire, chauffeur livreur, pion, et même chauffeur en second de locomotive diesel, un privilège de fils de cheminot.
Françoise était infirmière à l’Hôpital Psychiatrique de Sotteville les Rouen, militant très jeune à la cellule PC de l’hôpital.
J’ai pris ma première carte au PC et à la CGT à 18 ans, en 63, j’ai été responsable de l’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) et de l’Union des Étudiants Communistes (UEC) à l’université de Rouen ; on militait contre la guerre au Vietnam, entre autres. En 66, on a été tout un groupe, une soixantaine, exclus de l’UEC parce qu’à la fin d’une manif contre le plan Fouchet, nous avions dévié une partie du cortège vers le commissariat au cri de « Libérez Dupont », au lieu de nous rendre au meeting ! Le camarade Dupont, qui se déclarait le seul « anarchiste non violent » du campus avait été ramassé par la police. En fait, le motif réel de l’exclusion par Claude Mazauric et Sylvain Vue était politique : le film de Jacques Rivette, La religieuse, d’après Diderot avait subi la censure sous Yvon Bourges, ministre de la Culture de De Gaulle, et nous avions rédigé un tract très anticlérical, dénonçant cette censure. Le « parti » avait décidé que ce n’était pas opportun, car il tentait un rapprochement avec l’église catholique ! Je me suis fait traiter de trotskiste. Moi je n’avais même pas lu Trotski ! J’ai commencé à partir de là.
Françoise m’a suivi, a quitté le PC et son père a démissionné par protestation. On a fondé alors les Jeunesses Communistes Révolutionnaires (JCR). J’ai été viré à peu près en même temps que Krivine, puis est arrivé mai 1968, dont j’ai été un leader naturel.
On était de bons activistes. Pendant cette période je poursuivais mes études de philosophie et Françoise travaillait à l’hôpital psychiatrique. Je ramais parce que je n’avais pas de fric. Mais je multipliais les petits boulots. Voilà, c’est une vie militante presque sans question, et ça a continué jusqu’à aujourd’hui. Je crois que j’ai défendu à peu près les mêmes opinions depuis mes 16-17 ans jusqu’à aujourd’hui, où j’en ai soixante-neuf, dans des partis différents parce que chaque fois, je me suis fait virer.
En mai 1968, je dirigeais le mouvement à Rouen, on avait 10 000 personnes par jour, car on ne parle que de ce qui se passait à Paris, mais il y avait des mouvements dans toutes les villes de province. Puis, comme la JCR avait été dissoute, on a créé la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) avec Krivine, Ben Said, Wéber et d’autres. Comme on était interdits, on est allé la créer en Allemagne à Mannheim, clandestinement… c’était un grand jeu, on avait emmené cinq cents délégués. Puis j’ai suivi toute l’histoire de la LCR jusqu’en 1994. La vérité, c’est que je n’étais pas très à l’aise avec une partie des choix que j’avais faits, car je restais pour l’unité de la gauche, une des constantes de ma vie, pensant qu’un petit groupe ne pouvait parvenir à rien. Même si j’avais quelques illusions et le rêve de fonder un grand parti, je savais bien que ni la JCR ni la LCR ne pouvaient modifier la société Française. Il y a eu une fenêtre après 68, mais nous étions sans doute trop gauchistes pour nous implanter syndicalement. On passait à côté de ça, mais on rassemblait beaucoup de gens. Quand on lançait un quotidien, comme Rouge, on rassemblait 50 000 personnes, mais ce n’était pas une implantation profonde, on l’a très vite constaté quand on a vu que l’effet différé de mai 1968, c’était de gonfler le programme commun et d’aboutir à la victoire de Mitterrand. Ce n’était pas sans me poser des questions théoriques, ce sont des vieilles organisations traditionnelles comme le PS et le PC qui ont des tas de défauts, ont fait des tas d’erreurs, l’un était stalinien, l’autre était social démocrate, ils avaient voté les crédits de guerre en 14 et les pleins pouvoirs à Pétain, les pouvoirs spéciaux pendant la guerre d’Algérie, il suffit de faire un peu d’histoire pour savoir qu’il fallait faire mieux et autre chose. Mais comment faire quand ils occupent le devant de la scène avec des milliers d’élus et en prenant le pouvoir comme Mitterrand ? Au fur et à mesure que les années soixante-dix passaient, les dizaines de milliers de jeunes qu’on avait entraînés rejoignaient les organisations traditionnelles contre lesquelles au début ils s’étaient dressés en pensant faire mieux. Quand Mitterrand est arrivé, la LCR elle-même a reculé. Quand ils ont fait l’austérité avec Mauroy en 83, contrairement à ce que pensaient certains de la ligue, nous n’avons pas récolté les fruits de leur trahison, tout a reculé en même temps. Je vous dis ça pour vous faire comprendre comment j’ai été amené au parti socialiste. J’étais allé voir ce qui se passait au Portugal où les partis d’extrême gauche réunissaient des centaines de milliers de personnes, dans un pays qui n’avait que neuf millions d’habitants, mais lors des élections, c’étaient le PS et le PC qui l’emportaient. Moi j’étais de plus en plus pour un front uni de la gauche et Krivine était de plus en plus gauchiste, je me suis donc retrouvé minoritaire dans la ligue après l’avoir été au PC. Heureusement, j’avais imposé le « droit de tendance » et comme j’étais assez têtu, il n’était pas question de m’empêcher de parler. Je suis resté à la ligue parce que je l’avais créée, on ne s’en va pas facilement de ce qu’on a construit, des liens qu’on a tissés dans toute la France, même s’ils n’étaient pas extraordinaires, ils existaient quand même et on avait des gens de valeur dans toutes les organisations. Pendant des années, je me suis battu dans la ligue à la fois pour la construire et pour qu’elle participe à un front unique, à l’union de la gauche, mais on ne s’est jamais mis d’accord avec Krivine et à la fin le conflit était tel qu’on est arrivés en 94 à ce que la ligue n’appelle pas à voter pour le PS au deuxième tour alors qu’avant elle appelait toujours à voter à gauche. Là je n’ai pas toléré ça, je sais bien ce qu’avait fait le PS sous Bérégovoy, Cresson, le moment de la financiarisation où ils ont pris un virage hyperdroitier, comme Hollande aujourd’hui. Mais ce n’était pas une raison pour tourner le dos à la gauche et d’imaginer repartir comme en 68, le contexte n’étant pas du tout le même. On s’est donc séparés « à l’amiable », bien qu’un peu méchamment. D’autant que le désaccord sur l’appréciation de la Chute du Mur de Berlin avait été vif : j’avais crié « champagne », Bensaid avait crié « alka seltzer ». Tout était dit en deux mots. En 94, on était 20 % de la ligue à décider d’aller au PS parce que la ligue n’était plus ce qu’elle était dans les années soixante-dix. On a été reçus par Emmanuelli, qui était premier secrétaire à l’époque, qui nous a souhaité la bienvenue avec « nos très grandes qualités et nos tout petits défauts », on a compris que nos très grandes qualités, c’est qu’on était militants et nos petits défauts, c’est qu’on était trotskistes… Mais on s’est installés dans le parti socialiste où j’ai bénéficié d’une clause des statuts qui dit que quand on adhère au PS, on retrouve l’ancienneté qu’on a à gauche… C’est une clause qui vient du congrès de Tours, les statuts avaient toujours considéré la scission avec le PC comme temporaire, c’est une des particularités de la gauche française. A la direction du PS en arrivant, puisque j’avais l’ancienneté et que j’étais coopté, j’ai été confronté d’une part avec d’autres de gauche comme Dray, Mélenchon, Harlem Désir et avec l’aile droite comme Strauss Khan, y compris Pierre Mauroy, les Rocardiens. Je me suis remis à me battre, comme minoritaire sur les mêmes positions que j’avais pour l’unité, mais sur un programme qui impliquait d’augmenter les salaires, de redistribuer les richesses… Ça fait vingt ans que ça dure. Voilà en raccourci. J’ai écrit tout ça dans un livre auquel je tiens beaucoup, Mai 1968, histoire sans fin, qui est plutôt un travail de mémorialiste. En fait, j’ai fait un travail de recueil des événements que j’avais vécus en essayant d’en tirer les leçons à chaque fois. Il fait quand même six cents pages, mais il retrace les événements de 1964 à 1994. Je publierai le deuxième tome qui concerne ce que nous faisons à l’intérieur du PS. Je raconterai tout, quand le congrès du PS sera passé… Jospin, Hollande et Cie…
En vérité, je crois au socialisme, je crois que le capitalisme est une barbarie, je pense qu’il faut une société d’économie mixte, qu’il faut un très grand secteur public, puissant, dans tous les domaines qui vont de l’école à la santé, de l’information aux transports, de l’équipement à l’énergie, et que la partie privée de l’économie soit encadrée de façon à empêcher l’exploitation quotidienne et féroce dans les entreprises que j’ai pu constater lorsque j’étais inspecteur du travail.
Les deux parties de ma vie professionnelles suivent ça puisqu’au début, j’ai fait dix, douze boulots, j’étais permanent de la ligue, j’y reviens comme ouvrier du livre, journaliste, j’ai monté l’imprimerie de la ligue (je suis allé chercher la rotative en Écosse…) J’ai même fait la liquidation de Rouge en 79, 150 salariés à licencier… Edwy Plenel, Yann Plougastel, Georges Marion et plein d’autres qui sont allés dans d’autres journaux… J’ai donc eu onze ou douze ans d’activité professionnelle dans le privé. Les moments où j’étais permanent, et minoritaire, ils me confiaient les tâches d’organisation, ça se passe toujours comme ça… En 81-82, comme j’en étais à ma deuxième rupture et que ma première fille était conçue, j’ai passé trois concours de la fonction publique auxquels j’ai été reçu et j’ai choisi celui d’inspection du travail où j’ai été reçu premier, parce qu’ils avaient mis comme sujet à l’oral le front populaire que je connaissais manifestement mieux que les deux examinateurs. C’est un peu par hasard que je suis devenu inspecteur du travail, mais si je n’avais pas été militant avant, ce métier me l’aurait fait devenir. J’ai eu droit à dix-huit mois de formation à l’entreprise à l’Institut national du travail (on est au milieu des années quatre-vingt), c’est une longue formation équivalant à un DEA. J’ai passé deux ans en Champagne Ardennes, en agriculture, puis je suis revenu à Paris pour militer et me rapprocher de mes trois enfants dans l’appartement du dessus… J’ai fait trente ans d’inspection du travail ce qui m’a le plus apporté… J’avais exercé une douzaine d’emplois avant, mais j’ai dû visiter pas loin de dix mille entreprises, environ trois cents par an jusqu’à ma retraite en 2010. Je m’ennuie de ne plus visiter d’entreprises, même si je bosse encore plus en retraite que durant mon exercice. Puis, j’ai eu pas mal d’échos quand j’ai commencé à parler, quand je racontais des choses précises, car il y avait toujours une information utile à tirer de chaque visite. Je voyais ma propre vie dans le regard de chaque salarié, je savais comment c’était. J’ai commencé à écrire des bouquins, des témoignages et je me suis fait taper dessus par ma hiérarchie. J’ai écrit trente et un livres, le blog existe depuis dix ans et le site Démocratie et socialisme depuis 2000. Je ne parle pas des milliers d’articles que j’ai écrits dans Rouge, mais j’ai été brimé. Je n’ai jamais pu écrire de livre du temps de Rouge puisqu’on me l’interdisait…
Ma hiérarchie m’a interdit de parler, j’ai continué… et puis j’ai eu un peu d’échos médiatiques, vers le milieu des années quatre-vingt-dix, j’avais déjà un peu commencé à participer à des émissions de télé dans les années soixante-dix, il reste encore des films de l’INA quand j’avais vingt-cinq ans où j’étais mince… Mon boulot me passionnait vraiment car je comprenais de plus en plus de choses sur le travail, en matière de droit social, puis ils m’ont supprimé toutes mes parts de primes dans les dix dernières années, ce qui n’était pas anodin, car cela représentait près de six cents euros de moins sur mon salaire par mois…

C’est la hiérarchie de la fonction publique ?

Oui, j’étais cadre A de la fonction publique, normalement j’aurais dû devenir directeur adjoint du travail, puis directeur du travail, comme tous mes collègues de promotion… Il n’y a que moi qui ne l’ai pas été. Je m’en fichais un peu, même si j’ai les mêmes besoins que tout le monde, ça ne m’intéressait pas de me battre pour ça. Sur mes fiches de notation, il était inscrit : « Continue à s’exprimer dans les médias » noir sur blanc… Donc 0 part de prime… sur dix ans, ça compte. Cela n’influe pas sur la retraite puisqu’elle n’est pas calculée avec les primes…
Mais je n’étais pas malheureux… Je gagnais 3 100 euros, ce qui, pour un fils d’ouvrier, était tout à fait raisonnable comme carrière… Ce qui me vaut une retraite suffisante par rapport à tant d’autres. Ma femme était infirmière à Sainte-Anne. Elle était un peu permanente à la ligue, à la librairie, elle a tenu la librairie Maspéro ensuite puis est retournée dans les services où elle a passé le concours de cadre infirmier et a formé les infirmières, ce qui était des horaires un petit peu plus sympathique que les horaires qu’elle avait connus, à six heures du matin avec les mômes à la maison. Avec tous ceux qui m’ont suivi après la ligue, on a fait un petit journal dont on voit les premiers numéros sur le mur qui s’est appelé Démocratie et révolution et, quand on est passés au PS, on a changé pour Démocratie et Socialisme. C’était forcément plus présentable… Voilà, il est mensuel depuis vingt-trois ans… Il n’a pas de permanent, il n’a que des bénévoles et 4 000 abonnés, ça demande beaucoup de travail. En fait, nous sommes dans le local de la revue, notre appartement est juste au dessus. C’était la direction de la gauche socialiste qui se réunissait là de 1995 à 2003, jusqu’à ce que Mélanchon veuille suivre Fabius, Dray veuille suivre Hollande et qu’ils fassent éclater la gauche socialiste en 2002 lors de la défaite de Jospin.
Sur l’affaire Macron, je suis le premier à avoir bossé dessus en novembre, à vrai dire, j’en rêve encore la nuit…

Quels sont les points à retenir dans cette loi ?

Ce gars-là est un OVNI, il ne connaît rien au monde du travail. Comment un mec de gauche peut-il mettre en place une telle chose et comment les syndicats ne sont-ils pas vent debout contre cette dérégulation du droit du travail ? Les 106 articles vont tous à l’encontre des intérêts des salariés. La généralisation du travail du dimanche (sans augmentation de salaire), les facilités de licenciement, la casse de l’inspection du travail, la fin de la médecine du travail, la casse des prud’hommes, l’insécurisation des élus du personnel… C’est le recul le plus spectaculaire depuis le XIXe siècle. Or cette loi n’aura aucun effet sur le chômage, elle n’aura aucun autre impact qu’idéologique, elle est faite pour casser. Après avoir vendu Blagnac aux Chinois, il s’attaque à la santé, la marchandisation du don du sang est un exemple.
Dans Macron il y a un truc sur les hôpitaux qui est dégueulasse. Les hôpitaux publics peuvent investir dans les hôpitaux et cliniques privés dans les pays étrangers, un peu comme EDF qui achetait de l’électricité en Argentine… Il n’y a pas assez de sous pour les hôpitaux, mais ils vont aller en dépenser là-bas pour spéculer dessus. C’est la continuation de la gestion des hôpitaux comme des entreprises.
En fait, ma spécialité comme inspecteur, après avoir scruté la totalité du Code du travail, ce qui demande un peu de temps, a été de lutter contre leurs tentatives permanentes depuis vingt-cinq ans de passer le Code du travail à l’acide. Quand ils l’ont recodifié entre 2004 et 2008, ils ont enlevé environ 500 lois qu’ils transforment en décret et ont multiplié les 1 150 lois qu’il y avait en 3850, ce qui n’est pas du tout une simplification, car tout le monde a dû réapprendre autrement les choses. Ils ont fait des changements théoriques et pratiques fondamentaux, au passage, tout en prétendant que c’était un droit constant. Après, il y a eu les grandes lois réactionnaires, la plus importante c’était la loi Fillon du 4 mai 2004, qui inverse la hiérarchie des sources de droit, qui met fin au principe de faveur, c’est-à-dire qu’on peut déroger dans l’entreprise à l’ordre public social plus favorable qui existe par la loi, c’est leur principe un peu généralisé, à savoir que le contrat défavorable peut l’emporter sur une loi favorable. Alors qu’avant c’était l’inverse, on ne pouvait passer aucun contrat qui soit dérogatoire à l’ordre public social. C’est la loi qui a le plus sacrifié le principe de faveur. J’ai écrit pas à pas sur ce genre de sujet et tout a régressé, jusqu’à la médecine du travail qu’ils cherchent à liquider maintenant. Dans les articles de Macron, ça va être soit dans une ordonnance qui arrive, soit dans la loi Mandon qui va passer comme ordonnance sous forme de simplification, soit dans une des lois connexes avec Rebsamen qu’ils annoncent sur les institutions représentatives du personnel. Je ne sais pas comment ils vont faire, car c’était dans le pré-projet Macron et ils l’ont écarté. C’est une visite tous les quatre ans chez le généraliste et ce n’est plus le médecin du travail, la spécialité disparaît.
Le problème de la médecine du travail est que c’était une magnifique médecine, comme la médecine scolaire, deux belles inventions de l’après-guerre, parce qu’on avait la prévention. Là, on n’a même plus les sanctions pénales, un des aspects de la loi Macron est de faire reculer le droit pénal du travail, on le remplace par un truc à l’américaine, un plaider coupable avec la Direccte, c’est une négociation permanente qui va remplacer l’envoi des patrons devant le juge. La mort de la loi pénale du travail est dans la loi Macron, c’est encore embryonnaire, mais le virus est là.

par Gérard Filoche, Pratiques N°69, juin 2015

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