T’es cap’ ou t’es pas cap’ ?

Entretien avec Alexandra et Tanguy

        1. Permettre de continuer à faire du sport comme tout le monde et avec tout le monde au sortir d’une hospitalisation : une belle idée mise en musique par Alexandra et Tanguy.

Alexandra : À 42 ans, j’ai eu un grave accident. J’ai fréquenté le centre de réadaptation fonctionnelle pendant trois ans, en continu, puis par intermittence. Au bout de deux ans, une routine s’était installée quand j’ai rencontré Tanguy qui venait là en stage, il m’a aidée avec un regard neuf. Je ne parvenais toujours pas à descendre normalement les escaliers. En trois semaines avec lui, j’ai réussi… Il fallait que d’autres personnes puissent profiter de ses conseils ! L’accident m’a projetée dans un monde inconnu et bouleversant. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer une salle de sport adaptée. Je n’y connaissais rien puisqu’avant je travaillais dans la restauration. Lorsque les patients sortent du milieu hospitalier, les médecins leur conseillent d’avoir une activité physique régulière. Cependant, aucune structure n’existait. Tanguy et moi avons beaucoup discuté et on a imaginé ce projet.

Tanguy : J’ai été entraîneur dans le foot féminin pendant plusieurs années. Ça me plaisait bien, puis j’ai eu envie de changer. Pendant mes vacances, j’ai suivi des études à la préparation physique adaptée et des formations fédérales plus courtes. On m’a confié en visite à domicile une personne tétraplégique, puis un jeune traumatisé crânien. Tous les deux avaient subi un trauma, étaient passés par des centres de rééducation. Une fois rentrés chez eux, leurs acquis stagnaient au mieux et, au pire, régressaient. Le regard des autres dans les salles de sport ordinaires les gênait et il n’y avait pas d’accompagnement. J’avais en tête le projet de créer une salle de sport. C’est alors que j’ai rencontré Alex. Je me suis aperçu que nous avions la même idée de répondre à cette demande de continuer une activité physique après la sortie du monde médical. On a regardé un peu partout en France ce qui pouvait déjà exister et on s’est rendu à l’évidence qu’il n’y avait rien de semblable. Quand on a monté le projet avec la Chambre de commerce, on nous demandait : « Est-ce que vous avez fait une étude de marché ? » « Comment vous allez rendre votre idée viable ? » En fait, on avait juste réuni nos compétences, les miennes au travers du sport qui « permettaient aux gens de… » et celles d’Alex qui avec le sport « était capable de… » Nous n’avions jamais pensé à gérer ce genre de choses…

A : Avant mon accident, je ne m’étais jamais posé de questions. En tant que patiente, je suis tombée de haut ! Tant que l’on n’est pas touché de près, on ne s’imagine pas du tout cette réalité-là.

T : Je ne connaissais pas le milieu du handicap. Le sport, ça m’éclate depuis tout petit, mais le côté individualiste, argent et tout ce qui tourne autour, ce n’est pas mon truc. Ce qui m’intéresse, c’est le côté humain, ce qu’on y met, ce qu’on apporte à travers le sport. Une chose était sûre, je ne voulais pas intervenir dans le milieu médical, pas de blouse blanche. Le côté médical apporte tout ce qu’il faut, c’est au top. Avec Alex, on voulait que la salle soit accessible à tout le monde, aux valides comme aux personnes handicapées. C’est cette mixité du public qui fait la force de ce projet. Avec une jambe en moins, privé de parole ou sportif de haut niveau, on considère la personne de la même façon. On adore les gens qui nous disent : « Ça, je ne suis pas capable de le faire », c’est là que l’on va pouvoir inventer comment rendre possible ce qui paraît impossible.

A : Il y a beaucoup d’appréhension quand on est handicapé : j’avais très peur de me recasser quelque chose, du coup je me freinais. Pas question de tomber pour retourner à l’hôpital ! Un jour, Tanguy m’a proposé de faire du trampoline. Je me suis dit : « Il est complètement fou, je tiens à peine debout… » En fait, j’ai réussi.

T : Le sport ce n’est qu’un support, après tout est dans le mental. Comment faire prendre conscience à la personne qu’elle est « capable de », casser ses barrières.

A : Ça redonne énormément confiance.

T : Quand il y a handicap, on a tendance à ne voir que le médical, c’est pesant. Ici, les gens s’octroient du temps pour eux et viennent faire du sport avec les autres. C’est ce que l’on essaye de faire passer dans la salle. Des gens qui ne se connaissent pas se mettent ensemble, valides ou non, ça abolit les frontières et change les regards sur celle ou celui qui arrive en fauteuil.

  1. Vous avez appelé votre salle Cap’adapt…

T : Cap c’est pour « T’es cap ou t’es pas cap », Cap aussi pour capacité, et puis le côté APA, activité physique adaptée, un petit mélange. Les personnes sortent d’une prise en charge médicale, on leur a montré les bienfaits de l’activité physique. La question c’est : où continuer ?

A : Et avec qui ? Aller dans une salle de sport avec personne pour nous guider ? On peut se faire plus de mal que de bien… Ici je continue à progresser. Quand des gens que je n’ai pas vus depuis trois mois me disent : « Ben dis donc, tu marches sans ta canne, tu ne boites presque plus… », je suis très contente parce qu’on m’avait dit : la canne c’est à vie…

T : Pour les personnes porteuses de handicap, il existe des associations, la fédération Handisport, la fédération Sport adapté, Sport pour tous, etc. Notre idée c’est qu’être handicapé, ce n’est pas seulement être en fauteuil roulant. Plein de gens ont eu des ennuis de santé, des accidents, leurs capacités sont diminuées, ils se sentent handicapés, mais ne relèvent pas d’une association comme Handisport. Nous, on voulait abolir cette distinction, c’est un état d’esprit ; l’accompagnement, le suivi on les propose à tous, peu importent les profils et les capacités.

A : Ici un couple où l’un est en fauteuil et l’autre valide, ils peuvent venir ensemble.

T : Quand quelqu’un dit : « J’ai toujours voulu faire ça, mais c’est impossible… », on réfléchit et on invente une solution. Un enfant quadraplégique avait regardé les JO para-olympiques à la télé. Il voulait lui aussi faire une course. On lui a proposé de faire un marathon. J’ai aussi fait pratiquer du tir à l’arc à une personne devenue aveugle. Quand les souhaits se réalisent, on se fait plaisir…
Le sport adapté à chacun peut devenir un épanouissement [1], pour nous comme pour les gens qui viennent ici, c’est différent d’un cours où on a cinquante personnes devant soi. Ici, on ne s’ennuie pas, on ne peut pas tricher ni se cacher. Aujourd’hui, on a un réseau conséquent avec les professionnels de santé, les gens se passent l’adresse.

  1. Comment ça se passe avec la Sécu, les complémentaires santé ?

T : Le principe du sport sur ordonnance a été voté au niveau de la loi, un texte [2] existe. Les médecins peuvent prescrire de l’activité physique. La question non réglée, c’est : qui rembourse ? La Sécu, rien ; les complémentaires, pour le moment il y a la MAIF, Harmonie Mutuelle et Swiss Life qui prennent en charge en fonction du contrat souscrit. Il y a donc des remboursements qui sont mis en place, mais entre ce qui a été voté et le concret… Même les médecins ne connaissent pas tout ça. Il y a une méconnaissance de cette législation. On a rencontré l’Agence régionale de santé, on a rencontré la santé publique au niveau de la ville, les médecins du sport. Toutes ces personnes-là ont connaissance du texte de loi, mais rien n’est mis en place. Maintenant, c’est une question de volonté politique d’appliquer la législation. Là est le problème.
C’est difficile de se situer là-dedans, on a un statut d’entrepreneur pour notre activité, même s’il y a des parallèles avec le côté social et associatif, on reste une entreprise. Pour avoir des aides, il faut en passer par les institutions, les politiques, municipalité, collectivités et dans ce cas, nous ne sommes plus maîtres de notre projet…

A : À la Chambre de commerce et d’industrie, ils nous avaient donné toute une page sur les aides auxquelles on pourrait avoir droit. En m’associant avec Tanguy, j’avais pensé qu’il y aurait des aides avec un taux d’invalidité de 37 % et la nécessité de ma reconversion… Ben rien… Je suis tombée des nues : je me suis fait démolir par un irresponsable qui roulait trop vite, j’essaie de faire ce que je peux pour m’en sortir et rien… Je m’en sors plutôt très bien, je connais maintenant le monde du handicap et j’ai envie d’aider les autres à faire du sport après leur prise en charge médicale, je monte un projet avec Tanguy et au final, personne ne nous aide. On a juste envie de taper du poing sur la table pour que ça bouge, parce que ces gens méritent de vivre un maximum comme tout le monde. Tout est plus cher pour les handicapés. C’est hallucinant toutes ces histoires de normes !

On aurait bien aimé monter une association parce qu’on aurait eu des aides, mais par rapport aux emprunts qu’il y avait à faire, ce n’était pas possible… On s’en mettait lourd sur le dos.

T : Ce qui compte, c’est ce mélange entre le regard des professionnels et celui des gens qui viennent ici. C’est la force de notre projet, cependant il faut rester hypervigilant pour que notre façon de faire, notre manière d’être restent les mêmes qu’au début.

Propos recueillis par Sylvie Cognard


par Alexandra et Tanguy, Sylvie Cognard, Pratiques N°83, octobre 2018

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