Séraphin Collé
Médecin généraliste membre du réseau de soins palliatifs Relience (Haute Garonne)
Pauline Daire
Interne
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- Face aux souffrances réfractaires et aux arrêts de traitement en fin de vie, la loi Leonetti-Claeys [1] de 2016 prévoit la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Les échanges des membres d’un réseau de soins palliatifs montrent qu’à domicile, c’est problématique.
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Les échanges que nous rapportons et analysons ici ont porté sur l’évolution des pratiques sédatives au domicile et sur la place du réseau vis-à-vis des demandes de sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès : demande faite par la personne quand elle est consciente ou problématique posée par le médecin ou les proches si la personne est dans l’incapacité d’exprimer sa volonté.
Il faut rappeler que la mission du réseau est d’améliorer la prise en charge, sur leur lieu de vie, des personnes atteintes de maladies graves évolutives ou terminales. Le plus souvent, ce sont les médecins traitants qui, en accord avec leur patient.e, contactent le réseau. Après étude du dossier, des membres de celui-ci vont en visite à domicile (dite d’inclusion) pour une rencontre avec la personne malade, sa famille, le médecin traitant et les autres intervenant.e.s soignants ou sociaux. Le réseau a un rôle de soutien et de conseil pour les problèmes physiques, psychiques, sociaux ou éthiques qui se posent. Il n’effectue pas de soins ; ceux-ci sont du ressort du médecin traitant et/ou du service d’Hospitalisation à domicile (HAD).
Les échanges ont correspondu aux critères d’un focus group. Le groupe est composé de trois médecins (M), trois infirmier.e.s (I) et deux assistant.e.s de service social (AS). Tou·te·s ont un diplôme en soins palliatifs, une expérience professionnelle de plus de dix ans et travaillent (sauf un médecin) dans le réseau depuis plus de cinq ans. L’expression de chacun·e est facilitée par un mode de fonctionnement basé sur la collégialité : il n’existe pas de lien hiérarchique dans les équipes et chacun·e peut ainsi exprimer son ressenti avec sa propre expérience et son champ de compétence professionnelle.
La sédation à domicile est-elle une pratique courante ?
M1 : En six mois d’expérience au réseau, c’est assez peu courant finalement. Les demandes oui, mais les mises en place effectives de sédation à domicile, c’est vraiment assez peu.
I1 : Mais on n’est pas au courant des sédations qui se pratiquent au domicile sans notre soutien.
M1 : Parce que c’est l’HAD (hospitalisation à domicile), on ne connaît pas leurs chiffres.
I1 : Et puis il y a ceux qui font sans HAD et sans réseau.
AS1 : Je pense que derrière le mot sédation, nous, on parle de celle définie par la loi. Ça s’est toujours fait à domicile sans un cadre légal, enfin j’imagine.
M2 : Sans un cadre tout court. (Rires)
AS1 : Il a dû y en avoir beaucoup plus.
Est-ce que les réseaux de soins palliatifs ont pour vocation d’accompagner les demandes de sédation à domicile ?
I2 : Dans la réflexion sur la pertinence d’une sédation oui, les réseaux de soins palliatifs ont toute leur place, ainsi que dans la collégialité et dans la faisabilité.
M1 : En revanche, on n’est pas effecteur de sédation.
I1 : Oui, mais on a pour vocation un soutien aux équipes de proximité. Si pour nous ce n’est pas un geste qu’on fait souvent, alors pour eux, c’est encore plus exceptionnel.
I2 : En effet, on ne sera pas là pour la mise en place. Avec notre soutien certes, mais ceux qui mettent en place la sédation et qui la suivent, c’est l’équipe libérale, éventuellement soutenue par l’HAD. D’ailleurs, elles n’ont pas forcément, et pas souvent, la formation adéquate pour pouvoir mettre en place la sédation, en connaître réellement le suivi et pouvoir assumer tout l’accompagnement qui va autour.
I1 : Pour avoir discuté avec l’infirmière de l’HAD, eux aussi sont en demande de soutien de notre part. Ils sont effecteurs de soins et ils ont aussi une formation sur les discussions collégiales à avoir avant. Mais ils sont demandeurs de partager cette discussion avec nous. Ce n’est pas un geste simple et ce n’est pas parce que tu es « expert » que tu peux te débrouiller tout seul.
I2 : C’était l’objet de notre réunion avec l’HAD, où elle disait qu’il n’y avait finalement pas tant de mises en place de sédation à domicile, même par leur biais. Parce que toute la discussion collégiale à avoir avant, sur la pertinence de la sédation, la compréhension de ce que cela signifie, du contexte, de l’environnement… ce sont autant de freins à la mise en place de la sédation à domicile, même avec l’intervention de l’HAD.
Comment une demande de sédation terminale à domicile doit-elle être envisagée ?
I1 : D’abord le réseau peut faire ce qu’il sait faire, c’est-à-dire organiser une réunion à domicile et participer à une discussion éthique. Parce que ça, c’est le cœur de notre métier, ça, on sait le faire.
M1 : Notre job, c’est de définir cette demande, de définir le cadre, aller aussi chercher ce qui se cache derrière cette demande : d’où elle vient ? De qui elle vient ? Dans quel but ? Et puis, effectivement après, induire la réflexion éthique qui va avec cette demande.
I2 : On connaît assez les intervenants du secteur pour arriver à impulser la réunion, la mobilisation autour de ce sujet. Je pense qu’il y a des gens qui sont habitués à travailler avec le réseau, ils vont nous suivre là-dedans, ceux-là (rires). Je crois.
M1 : Après il y a aussi notre rôle sur le rappel à la loi. Par exemple sur le fait d’envisager d’arrêter certains traitements. Je trouve que, de plus en plus, on évoque la sédation par rapport aux signes d’inconfort qui peuvent être liés à l’arrêt des traitements, l’hydratation, typiquement. Et on a cette réflexion de plus en plus, c’est quelque chose qui était beaucoup moins prégnant avant.
La loi Leonetti-Claeys change-t-elle la donne concernant les sédations à domicile et en Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ?
M1 : Je pense que ça change le rapport à la sédation. On fait aussi de la pédagogie dans ce sens-là, alors que peut-être on l’éludait plus avant.
I2 : Je trouve que le fait d’apporter ce droit aux patients, il est parfois brandi par les familles. Ça devient une revendication et du coup, c’est plus compliqué. La loi de 2005 donnait simplement un cadre aux soignants. Avec les familles, on n’avait pas à se défendre. Des fois ça tend la discussion…
I1 : C’est une espèce de contrainte. Par exemple, lorsqu’il s’agit de l’arrêt des traitements : la loi nous indique que si la décision de l’arrêt des traitements est prise, eh bien, une sédation doit être mise en place. Alors qu’on a toujours été dans le raisonnement sur la pertinence…
I2 : Oui, dans la discussion et le cas par cas. Là, on est dans des choses beaucoup plus tranchées.
I1 : Les familles qui vont être là, face à un proche sédaté, un jour, deux jours… il me semble que cela nécessite plus de réflexion que de devoir mettre en place une sédation « juste » parce qu’on arrête les traitements.
M3 : Les sédations mises en œuvre par le réseau depuis que je suis médecin-coordonnateur, il n’y en a eu qu’une et récemment, et cela a été pour moi… un échec. Tant qu’on n’a pas d’astreinte et qu’on ne peut pas être disponible physiquement, cela n’est pas possible. Parce que faire une sédation sur le papier, ce n’est pas difficile, tout le monde peut la faire. Et quand on sédate un patient à l’Unité de soins palliatifs (USP), l’infirmière est là tout le temps, elle peut réinjecter du produit si le patient se réveille, elle peut rencontrer la famille… Parce que quand on met une sédation en œuvre, on ne sait jamais comment ça va se passer. Une fois le patient bien imprégné de midazolam (Hypnovel®) [2] il y a la tachyphylaxie [3]. Ensuite, peut-être que cela ne va pas suffire, qu’il va falloir des neuroleptiques, qui ne vont peut-être pas marcher et dans ces cas-là, il faudra des médicaments anesthésiques et à la maison, il n’y en a pas.
Ensuite, une sédation sans voie veineuse centrale, je pense que c’est utopique. Les patients cancéreux sont souvent cachectiques, donc en sous-cutanée [4], tu ne sais pas ce que tu fais. Les voies veineuses périphériques, il faut être sûr qu’elles vont être maintenues. Il y a l’aspect technique aussi : qui va chercher l’Hypnovel® ? Où ? La seringue électrique ? La PCA [5] ? Tu laisses ou pas la pompe au patient ? À la famille ? Est-ce que c’est la famille qui ré-induit ? Tout cela me pose problème. La disponibilité des soignants libéraux ? Le fait qu’il n’y a pas de reconnaissance de cet acte chronophage.
La vision générale de la population c’est « tu sédates, il meurt ». « Tu sédates, il meurt » sur une situation de détresse respiratoire. Mais dans les autres cas, ça ne se passe pas comme ça ! Il faut faire la distinction avec une sédation pour symptômes d’urgence, qui est utopique à la maison. Sédater quelqu’un pour une hémorragie cataclysmique, même à l’USP avec la seringue électrique d’Hypnovel® préparée, tu n’y arrives pas… Alors sédater quelqu’un à domicile, c’est le fantasme du médecin ! Par contre, la sédation pour symptômes réfractaires, là tu peux l’accompagner. Mais ton patient, il ne va pas mourir tout de suite. Et ça veut dire que t’enlèves tous les traitements qui ne sont pas de confort, il ne te reste que les antalgiques. T’as plus d’hydratation, de corticoïdes. T’enlèves tout, il te reste les antalgiques et la sédation. C’est dur pour les gens, ça peut être vécu comme de l’abandonnisme, il faut le préparer. Et la sédation pour détresse psychologique majeure, ça, ça se travaille : de qui vient la demande, du patient ou de la famille ? Des soignants ? Des directives anticipées ?
Alors la loi elle est bien sur le papier, mais pour moi, elle ouvre des possibilités que le système français de soins actuel ne peut pas satisfaire parce qu’il n’y a pas de système de garde. Ça veut dire que le médecin traitant et l’infirmière sont corvéables à merci, H24, pas de vacances… Ton patient, comment tu sais que tu vas pas devoir le sédater alors que c’est ta semaine de vacances ? Tu vas refiler le bébé à tes collègues ? Ça pose le problème de la continuité des soins.
La sédation à domicile, c’est beaucoup de prérequis et ce n’est pas la présentation des médias « On vous sédate, vous allez mourir », mort douce, apaisée…
En gros, ce que j’en pense, c’est que pour l’instant, le réseau c’est : pas d’astreinte où on peut se déplacer, pas de sédation.
M2 : Je me dis qu’il y a la face immergée de l’iceberg, qu’on ne voit pas, ce qui se pratique et qui peut-être, avec l’évolution de la loi et de l’idée qu’on se fait de la sédation, va venir un peu plus dans le domaine visible et nous solliciter, pour être plus dans le cadre qu’ils (les soignants qui pratiquent ces sédations) n’étaient auparavant. Ne serait-ce que pour avoir cette discussion éthique. C’est le rôle du réseau : c’est éventuellement dire, pas de sédation parce que pas d’indication. Ou alors, sédation mais uniquement dans le cadre de l’HAD. Ou alors, sédation possible, mais uniquement en cas d’une hospitalisation. C’est notre mission de l’orienter.
M3 : C’est ce qu’on fait déjà, mais ceux qui font des sédations à la sauvage, ils vont pas nous appeler.
M2 : Oui, mais je ne pense pas qu’ils le font en se disant : « Il faut que je me cache ».
I3 : Il y a aussi le défaut de formation quand même, certains ne savent vraiment pas ce qu’ils font.
M3 : Donc la loi induit beaucoup plus de demandes de sédation, mais il y a souvent confusion.
I3 : Il y a un problème de vocabulaire : j’entends les infirmières libérales parler plus souvent de sédation, mais quand tu leur demandes de quoi elles parlent, c’est par exemple la morphine qui a été augmentée. C’est pas ça la sédation… Tu vois c’est hyper-important de le recadrer.
Quelles sont vos questions et inquiétudes quant à l’avenir sur ce sujet ?
M3 : Pour moi, c’est la dérive (mot repris en chœur). C’est des questions éthiques : pour qui ? Pour quoi ? Et de quel(s) droit(s) ?...
Enfin, il y a la question du midazolam, qui se manipule en mode on-off. En service hospitalier, tu peux voir le midazolam mis à 22 heures et enlevé à 10 heures du matin. En effet, le patient, il t’aura fait un gros dodo, il t’aura pas appelé, il t’aura pas emmerdé. Est-ce que c’est ça l’accompagnement ? Moi j’ai des doutes.
M1 : Le problème, c’est que c’est considéré comme la bonne façon de faire. Quand tu expliques que tu accompagnes les moments de stress, les moments d’angoisse, tes explications sont mises à mal parce que « Ah bé là-bas il était bien pris en charge, il dormait toutes les nuits et puis il est mort », voilà, la bonne mort.
M3 : Maintenant, on est dans une dérive. C’est-à-dire que le bon patient, il doit faire dodo. Dans les EHPAD, c’est pareil, la problématique c’est pourquoi tu vas mettre un traitement pour faire dormir ton patient : pour lui ? Pour que le patient puisse s’intégrer dans le fonctionnement de l’EHPAD ? Ou pour que l’aidante principale du domicile dorme ?
M2 : Ouais, c’est complexe, quand même !
I1 : Oui, c’est complexe.