Le second tour des élections présidentielles a accouché d’un nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron, après une confrontation annoncée depuis plusieurs années avec la candidate d’extrême-droite Marine Le Pen. Tout s’est passé comme prévu du point de vue des stratèges macronistes, des éditorialistes et des sondeurs. Cette absence de surprise pourrait constituer, en elle-même, une surprise, intellectuellement parlant. En effet, la société française a été secouée depuis cinq années par une succession de crises. Crise sociale, avec le mouvement des Gilets jaunes, qui a fait trembler le pouvoir, et le mouvement massif contre la réforme des retraites, dont on nous dit qu’elle est à nouveau de l’agenda politique ; crise avec la vaste mobilisation des personnels de santé de l’hôpital ; crise pandémique, évidemment, avec les deux années éprouvantes de Covid-19, scandées par la peur de la maladie, les changements de pied – voire les mensonges – de l’exécutif, la résistance acharnée des « antivax » qu’il fallait « emmerder » pour leur tordre le bras vers l’aiguille du vaccin ; crise économique, enfin, puisque la pandémie a mis à l’arrêt l’économie française dont les conséquences ont été amorties par le désormais fameux « quoi qu’il en coûte », même si les grands gagnants de ce dernier ont été les plus aisés et les actionnaires des grandes entreprises.
Pourtant… Nous avons tous constaté une étonnante absente de la séquence électorale qui vient de s’achever : la santé. Étonnante parce que les inégalités d’accès aux soins de généralistes et hospitaliers figuraient en tête des cahiers de doléances des Gilets jaunes, ce qui fut, pour le coup, sans surprise car toutes les enquêtes montrent que l’accès aux soins se retrouve avec une belle constance, mais selon les moments, dans les trois premières préoccupations des Français. Les inégalités d’accès aux soins sont les plus mal tolérées par la société française. Étonnante parce qu’il faut réussir à ne pas parler – ou en parler très peu – d’un sujet qui a été au cœur de notre vie quotidienne depuis deux ans. C’est devenu un poncif que de le dire, mais la pandémie de Covid-19 a joué le rôle de révélateur photographique des failles, des béances, parfois, du système de santé français. Les inégalités sociales de santé sont apparues avec éclat, le triste sort des habitants de Seine-Saint-Denis en étant devenu emblématique. Le délabrement de la santé publique, dont le pourrissement des stocks de masques est devenu le symbole, a énervé bien des parlementaires. Un hôpital public à genoux a tenu grâce au dévouement des personnels soignants, dévouement qui a connu une douche froide au cours du « Ségur de la santé » qui a débouché sur des mesures chichement pesées de la part du pouvoir exécutif. Pourtant, peu avant la campagne, le gouvernement, à la suite du Haut conseil de l’Assurance maladie et de la Cour des comptes, avait évoqué le serpent de mer de la « Grande Sécu ».
Las, conformément à une loi de gravité de la politique française, la santé n’intéresse pas les ténors de la politique. La santé a été la grande absente de l’agenda électoral. Les deux finalistes en ont un peu parlé pour des raisons stratégiques et en des termes on ne peut plus flous. Du côté d’Emmanuel Macron, le sujet était en or : il permettait de séduire les électeurs de gauche tout en faisant plaisir aux retraités ; du côté de Marine Le Pen, il s’agissait, et paradoxalement, de séduire les fâchés et… les retraités. Bien malin celui qui serait capable de dire ce qui reste en termes d’engagements précis.
La santé demeure le parent pauvre de la politique française et le symptôme de la crise de la démocratie française : l’agenda des électeurs n’est manifestement pas celui des professionnels de la politique.