Éloi Laurent,
économiste (OFCE/Sciences Po, Ponts Paris Tech, Stanford University)
auteur de Et si la santé guidait le monde ? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance, Édition Poche plus, 2021
Introduction : Grande Sécu, petite ambition
La crise sanitaire a donné lieu à un foisonnement de rapports et de propositions sur l’avenir du système de santé français, et plus largement sur l’Assurance maladie et son financement, dont le point commun est de faire à peu près complètement l’impasse sur la question centrale du XXIe siècle : l’enjeu écologique. Cette défaillance est d’autant plus troublante que nous avons sous les yeux, en France, les effets ravageurs d’un choc écologique – une zoonose qui a dégénéré en pandémie mondiale [2] – aussi bien sur la santé physiologique (décès, infections, Covid longs) que sur la santé psychologique (par exemple la hausse des syndromes dépressifs majeurs engendrés par les confinements à répétition). Le paradoxe est à son comble avec la proposition de « Grande Sécu » qui a émergé dans le débat français à l’automne 2021 : alors que cette appellation suggère un élargissement du périmètre du risque couvert pour adapter la protection de la santé aux défis du XXIe siècle, il s’agit en réalité d’un débat étroit, rabattu sur la question secondaire des frais de gestion respectifs des organismes d’assurance sociale.
On peut voir dans ce racornissement des réflexions la victoire de l’obsession de la santé comptable sur la santé des populations qui prévaut depuis le milieu des années 2000 [3]. Or la protection de la santé en France doit d’urgence faire l’objet d’une véritable refondation à l’aune des menaces écologiques, immédiates et certaines, qui pèsent sur elle.
S’il faut bien envisager une révolution sanitaire, il convient de le faire sur le fondement du bien-être humain et pas de la prétendue rationalisation budgétaire, qui a déjà fait tant de dégâts. Pour envisager ce défi, il peut être utile de revenir sur l’épisode décisif qui a annoncé l’entrée de la France dans une nouvelle ère sanitaire : la canicule de 2003. Celle-ci marque un double tournant, à la fois du fait de son impact humain et économique considérable et inédit, mais aussi de la réponse politique qu’elle a suscitée. Le gouvernement de l’époque prend en effet dans son après-coup deux décisions majeures : la mise en place du Plan national canicule (activé dès 2004) et la mise en chantier du risque de dépendance (qui vient juste d’aboutir mais qui conduira dès 2005 à la création des Ehpad). Vingt ans après, et à la lumière de la violence des chocs écologiques déjà observés et attendus dans le pays, force est de constater qu’il importe de relever la protection de la santé française à la hauteur du défi écologique.
Cet article propose ainsi de mettre au cœur de ce que l’on pourrait appeler l’écosystème de santé français (constitué par tous les acteurs de la protection de la santé au sens large : prévention, soin et assurance) le défi écologique et avance pour ce faire trois réformes structurelles connexes : la première consiste à vouloir protéger la « pleine santé » ; la deuxième vise à développer une « protection sociale-écologique » ; la troisième entend bâtir une « prévention sociale-écologique ».
La pleine santé
Repenser la protection de la santé en France au XXIe siècle consiste à poser à nouveaux frais une question matricielle : que protéger ? L’assurance sociale française est principalement fondée sur la protection du revenu par l’exercice du travail via l’emploi. Le 4 octobre 1945 est promulguée l’ordonnance portant organisation de la Sécurité sociale dont l’article 1er dispose ainsi : « Il est institué une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de familles qu’ils supportent. » (ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la Sécurité sociale).
Or cette « capacité de gain », qui fait anachroniquement écho aux théories les plus contemporaines de la justice (initiées par les travaux d’Amartya Sen à la fin des années 1970), n’est qu’une des dimensions d’un ensemble plus large de capacités à protéger, à commencer par la capacité de vivre en bonne santé.
C’est ici que le concept de pleine santé, matrice du bien-être humain, peut s’avérer utile. Le « bien-être » n’est pas un supplément d’âme de sociétés accaparées par la performance économique : c’est le socle sur lequel s’est construite la protection sociale à la fin du XIXe siècle quand ont été inventées les notions de « bien-être collectif » et « d’état de bien-être » (welfare state). C’est sur le socle du bien-être collectif que furent construites dans les années 1880 les premières politiques de protection sociale qui ont joué un rôle essentiel dans l’émancipation des personnes et le développement humain au XXe siècle. Le bien-être dont il est question est à la fois individuel et collectif, objectif et subjectif, statique et dynamique. Il n’est pas la récompense ou la contrepartie de l’activité économique : il en est la condition de possibilité.
Contrairement à la vision qui a prévalu dans de nombreux pays du monde au cours des trois premières vagues de Covid-19 de mars 2020 à avril 2021 (États-Unis, Brésil, Inde, Royaume-Uni, Suède mais aussi France), il n’y a en effet pas d’arbitrage entre santé et économie parce qu’il n’y a ni arbitrage entre économie et liens sociaux, ni arbitrage entre santé et liens sociaux. Il n’y a pas davantage d’arbitrage entre écologie et économie : l’économie de bien-être du XXIe siècle est donc une économie de co-bénéfices le long d’une chaîne sociale-écologique qui relie la biodiversité aux écosystèmes et au climat, les écosystèmes à la santé humaine, la santé humaine aux liens sociaux, les liens sociaux à l’activité économique (Laurent et al., 2022).
Raisonner en termes de « pleine santé », c’est donc reconnaître que la santé est aussi bien physique que mentale, individuelle que collective et, à sa racine, écologique, le lien essentiel que nous entretenons avec la biosphère et les êtres de nature qui la peuplent et dont nous dépendons. L’Organisation mondiale de la santé définit la santé comme « un état de complet de bien-être physique, mental et social [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Afin d’actualiser cette définition, on peut définir la « pleine santé » comme « un état continu de bien-être : physique et psychologique, individuel et social, humain et écologique ». L’important est de bien souligner le caractère holistique de la démarche, la continuité de la santé, qui lie la santé mentale à la santé physiologique, la santé individuelle à la santé collective et la santé humaine à la santé planétaire. La pleine santé est donc une santé d’interfaces, de synergies, de solidarités.
Afin de construire un tableau de bord opératoire de la pleine santé, qui puisse donner lieu à une mesure précise, une appropriation sociale par les citoyens et une intégration dans les politiques publiques, on peut vouloir expliciter les trois liaisons évoquées en proposant des indicateurs de santé sociale-écologique (par exemple la vulnérabilité climatique en lien avec l’isolement social), de santé sociale (par exemple la charge de morbidité) et de santé humaine (par exemple la santé comportementale, à commencer par la qualité nutritionnelle de l’alimentation), ces trois dimensions de la pleine santé étant imbriquées.
source auteur
Dans le contexte d’une intersection de plus en visible entre la question sanitaire et le défi écologique – rappelé le 11 octobre 2021 par l’OMS dans son Rapport publié pour la COP 26 (« Agir pour le climat au nom de la santé ») et accompagné d’un appel de 45 millions de praticiens de la santé signant une « ordonnance climatique » – il faut donc imaginer de nouvelles institutions de protection sociale susceptibles de donner corps à la « pleine santé ».
La protection sociale-écologique à l’âge de l’insécurité sanitaire
La protection sociale consiste, depuis son invention dans l’Allemagne de Bismarck en 1883, il y a presque un siècle et demi, à mutualiser des risques sociaux pour réduire les injustices sociales et les inefficacités économiques qu’ils engendrent faute d’assurance. Le Code de la Sécurité sociale français reconnaît désormais dix risques sociaux : maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail, maladies professionnelles, vieillesse, veuvage, famille, autonomie. On vient de le voir, ces risques sont considérés depuis les ordonnances de 1945 comme des menaces qui pèsent sur la sécurité économique des personnes et de leurs familles, menaces qu’il s’agit d’atténuer dans l’intérêt général.
Un bref regard rétrospectif sur les derniers mois dans le monde et en France suffit pour percevoir que les crises écologiques contemporaines (au premier rang desquelles le dérèglement climatique) constituent de puissants vecteurs de risques sociaux : incendies géants, tornades, pandémie ont bouleversé la vie de milliards d’habitants de la planète tandis qu’en France, canicules et sécheresse, inondations et glissements de terrain ont mis en péril la vie et les conditions d’existence de millions de personnes. L’hécatombe sanitaire et sociale aux États-Unis face à la pandémie de Covid-19 montre ce qu’il en coûte à des pays réputés riches et développés d’affronter des risques d’une telle ampleur avec des assurances sociales inexistantes ou défaillantes.
Or, contrairement à une idée reçue, la France n’est pas, ne sera pas, un havre de paix dans le chaos écologique. Dans son rapport annuel publié le 3 décembre 2019, la Commission de la revue scientifique The Lancet propose une évaluation indépendante des effets des changements climatiques sur la santé humaine et conclut que la vulnérabilité de la France aux effets de la chaleur sur la santé est « l’une des plus élevées au monde ». Les données et les analyses de Santé publique France comme les prévisions les plus récentes de Météo France confirment la réalité de ces risques pour le pays et sa population, en particulier le risque de canicules (voir Laurent, 2021).
Un risque est un évènement incertain probabilisable. Un risque social est un évènement incertain probabilisable de nature collective, soit en termes de responsabilité, soit en termes d’impact. Il peut devenir assurable (couvert et compensé) par un mécanisme d’assurance lui-même collectif si l’on parvient à en déterminer avec précision à la fois la probabilité (occurrence) et les pertes monétaires et non monétaires associées (intensité de l’impact). Un risque social-écologique est un évènement incertain probabilisable de nature collective lié à l’occurrence d’un choc écologique défini comme une altération conjoncturelle ou structurelle des conditions environnementales d’existence affectant le bien-être humain (pollutions, choc climatique, choc pandémique, etc.).
Si la vie sociale sous contrainte écologique devenait totalement incertaine, alors il serait vain de vouloir protéger le bien-être humain au moyen de l’assurance. Mais si les chocs socio-écologiques deviennent des risques, alors leur apparente fatalité peut être normalisée, standardisée et mutualisée. On passe de catastrophes individuelles imprévisibles à un risque social maîtrisable. Que sait-on des risques social-écologiques qui pèsent sur la population française ?
Reprenons l’exemple des canicules. On compte, selon les données de Météo France, quarante-et-un épisodes nationaux de vagues de chaleur, parmi lesquels l’épisode d’intensité exceptionnelle du 2 au 17 août 2003, deux épisodes de forte intensité en juin et juillet 2019 et des épisodes de forte intensité du 24 juillet au 8 août 2018, du 22 juillet au 4 août 1947, du 9 au 31 juillet 1983 et du 10 au 30 juillet 2006, 70 % des plus fortes canicules se produisant après 2003. Or, au cours des seules cinq dernières années, selon Santé publique France, l’impact sanitaire des canicules a été très significatif, avec près de 8 000 morts prématurées : lors de la période estivale, la surmortalité a été de 18 % en 2015, 13 % en 2016, 5 % en 2017, 15 % en 2018, 9% en 2019 et 18 % en 2020 (si la classe d’âge des plus de 75 ans est la plus touchée, la surmortalité relative est importante dès 45 ans). Au cours des étés 2015 à 2020, plus de 105 000 passages aux urgences et plus de 23 000 consultations SOS Médecins ont été recensés.
Si la forte chaleur affecte tout le monde, elle le fait de manière différenciée : il y a un gradient social de vulnérabilité caniculaire, qui va des personnes âgées isolées aux personnes jeunes et sportives fortement socialisées, en passant par des personnes âgées socialisées et des personnes jeunes avec des comorbidités et désormais, les personnes frappées par des formes aiguës ou longues de la Covid.
De fait, deux réalités se télescopent dans l’Union européenne pour former un risque social-écologique qui culmine en France : une population vieillissante isolée et des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et intenses. La France, en particulier l’Est et le Sud-Est du pays, se trouve à la croisée exacte de ces deux phénomènes : la part des personnes âgées isolées y est aussi élevée que dans certains pays du Nord de l’Europe, mais celles-ci ne sont pas autant exposées ; à l’inverse, certains pays du Sud sont encore plus exposés que la France mais moins sensibles, car ils comptent moins de personnes âgées isolées. Cette combinaison de l’exposition et de la sensibilité (autrement dit la vulnérabilité) a été particulièrement visible en France lors de ce qui reste la catastrophe naturelle la plus meurtrière à avoir touché l’Union européenne depuis 1900 : la vague de chaleur de 2003 qui a tué quelque 70 000 Européens en quelques jours.
On peut tenter de cartographier ce risque social-écologique en comparant deux indicateurs : un indicateur d’isolement social des personnes âgées et un indicateur d’intensité des vagues de chaleur. Une étude particulièrement intéressante conduite dans le cadre de la pandémie de Covid-19 [4] a abouti à construire un « indicateur des prédispositions aux situations d’isolement des personnes âgées ». On peut rapprocher cette carte de celles, rétrospectives et prospectives, des vagues de chaleur en France, établies par Météo France. Deux zones de vulnérabilité climatique apparaissent clairement à la lumière de ces cartes : le Sud-Est (zone de vulnérabilité caniculaire conforme aux projections de l’Agence européenne de l’environnement) et trois métropoles dont l’effet de chaleur îlot urbain ajoute entre 1,5 et 2 degrés en moyenne aux vagues de chaleur : Paris, Lyon et Bordeaux. Au sein de ces zones, les problématiques d’inégalité sociale de santé accentuent encore les vulnérabilités sanitaires.
Ce risque climatique se double de (et parfois se cumule à) la dégradation des conditions environnementales d’existence qui elles aussi menacent le bien-être de la population française, à commencer par sa santé. La pollution de l’air est ainsi en France (comme en Europe) le risque environnemental le plus important pour la santé humaine. Des études récentes laissent penser que ce risque est encore fortement sous-estimé pour deux raisons majeures : la première tient à l’inadéquation des seuils de dangerosité de la pollution de l’air adoptés par l’Union européenne, qui sont très supérieurs à ceux de l’Organisation mondiale de la santé (à titre d’illustration, seulement 4 % de la population européenne est censée être exposée à une pollution dangereuse aux particules fines selon les seuils de l’Union européenne, quand 75 % l’est selon les seuils de l’OMS) [5] ; la seconde raison tient à la découverte récente des dégâts neurologiques (et plus seulement respiratoires) des particules les plus fines (les « nanoparticules »). Ainsi, la pollution de l’air pourrait être responsable de 100 000 morts en France [6], le double de l’estimation officielle, soit l’équivalent des trois vagues de Covid chaque année, ou encore 15 % des décès totaux.
De même que pour les vagues de chaleur, la pollution de l’air est une dégradation environnementale qui touche d’abord les plus fragiles et les plus vulnérables [7], c’est donc bien un risque social-écologique. Et il y en a bien d’autres en France : la précarité énergétique (logement et mobilité), la mauvaise qualité nutritionnelle de l’alimentation, l’exposition au bruit, etc. Ces multiples impacts sur la santé humaine et l’évolution contemporaine de l’espérance de vie laissent penser que la France est entrée dans un nouvel âge d’insécurité sanitaire où l’espérance de vie a dévié de sa trajectoire graduellement ascendante. Au regard des années écoulées depuis lors, l’année 2015 apparaît comme stratégique parce qu’elle entremêle l’entrée dans l’âge avancé des générations du baby-boom et l’impact d’un virus saisonnier.
La combinaison de ces deux phénomènes associe donc une structure sociale fragile et un choc écologique puissant ou plutôt l’effet d’un choc écologique puissant sur une structure sociale fragile. C’est cette même combinaison que l’on retrouve en 2020, au moment des deux premières vagues de Covid, avec une baisse encore plus prononcée de l’espérance de vie en France. On peut donc avancer l’hypothèse d’un nouvel âge de l’insécurité sanitaire dans lequel nous sommes entrés en 2015, qui se caractérise par une population vieillissante, en relative mauvaise santé, isolée socialement et soumise à des chocs écologiques de plus en plus intenses et fréquents.
Le public âgé et isolé, qui est comme on l’a vu au croisement de l’exposition et de la sensibilité face aux canicules qui vont frapper la France au cours des prochaines années, doit être protégé en priorité, mais il importe aussi de comprendre son rôle de sentinelle écologique : la protection de ce groupe, aux avant-postes de la vulnérabilité écologique, doit ouvrir la voie à une mutualisation du risque social-écologique, car il y a bien un risque caniculaire généralisé quoique différencié sur le plan territorial et social pour la population française, qui résonne avec le principe de généralité inscrit au cœur de la protection sociale. Comme le rappelle l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant création de la Sécurité sociale : « la Sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu’elle englobe et quant aux risques qu’elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité ».
La réalité et la menace du risque social-écologique justifient donc de constituer à terme une nouvelle branche de la Sécurité sociale, la branche « vulnérabilité » (combinant exposition et sensibilité aux chocs écologiques). Mais ce dispositif de protection sociale-écologique ne suffira pas : il importe non seulement de couvrir les risques, mais surtout de les atténuer, et c’est précisément le rôle de la prévention sociale-écologique.
La prévention sociale-écologique
Si les chocs écologiques frappent les populations, les dégradations environnementales minent leur résistance et leur capacité de revenir à la vie. La Covid a ainsi été nourrie des comorbidités, elles-mêmes liées en partie à la qualité de l’air et de l’alimentation, qu’elle va en retour renforcer via les millions de cas de Covid long. La pandémie de Covid est une crise de la prévention défaillante (via les comorbidités qu’il a révélées), qui va aggraver encore la défaillance de la prévention (via le renoncement massif de la population aux soins).
La Covid est donc venue confirmer une double inquiétude : l’état de santé de la population française n’est bon qu’en apparence ; le niveau élevé de dépenses en France n’est pas le gage de qualité de cette santé, mais peut-être au contraire, comme aux États-Unis, le signe même de sa dégradation. Car le système de santé en France est un système de production de soin, largement tourné vers la performance thérapeutique, mais défaillant en matière de prévention et d’anticipation des chocs écologiques.
C’est pourquoi il est vital de combiner un véritable effort d’investissement dans la prévention avec un effort d’anticipation des chocs écologiques, autrement dit bâtir une véritable prévention sociale-écologique qui suppose d’abord d’assurer une information fiable sur le lien environnement-santé auprès de la population française, c’est-à-dire l’informer par toutes les technologiques disponibles sur la réalité des risques et les moyens de s’en prémunir. Cette information fait aujourd’hui défaut en France, comme en attestent des enquêtes d’opinion qui montrent à la fois que les citoyens en ont besoin (dès lors qu’ils valorisent désormais en priorité leur santé et la qualité de leur environnement [8]) mais qu’ils en manquent.
Le deuxième enjeu consiste à accompagner les comportements de pleine santé, à la fois sur le plan individuel et sur le plan collectif, en participant notamment à la mise en place de « territoires de pleine santé » en France permettant une délibération collective continue sur les dimensions du bien-être à privilégier et les ajustements de politique publique territoriale à réaliser pour ce faire, au plus près du bien-être vécu par les personnes.
Le troisième enjeu consiste à contribuer aux dispositifs de gestion de crise au moment de la survenue de chocs écologiques. Par exemple, on pourrait envisager de transformer le « Plan national canicule » en un « Plan vulnérabilité canicule » en réformant en profondeur les deux volets de l’exposition et de la sensibilité. L’exposition pourrait être minimisée en étendant les systèmes d’alerte, y compris aux épisodes moins intenses, mais qui sont dommageables sur le plan sanitaire, en particulier s’ils se cumulent [9]. Mais le volet sensibilité doit lui aussi être réformé. En luttant plus activement contre l’isolement social en amont et en assurant le suivi des personnes vulnérables pendant les périodes de canicule (et plus généralement de chocs écologiques).
De cette prévention sociale-écologique, on peut espérer tirer des gains substantiels de bien-être. D’abord, des économies monétaires de dépenses de santé liées à l’atténuation des pathologies évitables et de l’isolement social (on peut précisément chiffrer le coût actuel pour le système de santé des maladies évitables telles que celles liées à la pollution de l’air, sans avoir recours aux techniques statistiquement et éthiquement fragiles de monétarisation de la vie humaine). Un constat largement partagé est à cet égard la faiblesse des coûts préventifs en regard des coûts curatifs. Ensuite, il convient d’évaluer les gains non-monétaires en termes de bien-être liés à la prévention des pathologies et de l’isolement social, à commencer par l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé. Enfin, on peut évaluer la santé préservée et les dépenses évitées du fait de l’atténuation de l’impact des chocs écologiques par la prévention et la lutte contre l’isolement social.