Isabelle Tissier
Psychomotricienne, CH Les Murets (94)
Quand une pensée en suggère une autre, parfois il se produit un agencement, une idée, un déplacement, où l’on peut convoquer une communauté en partage, et les idées naissent et ça donne, ça offre, ça générosite de belles choses…
Nous procédons souvent comme cela à l’atelier café ciné burlesque, avec Catherine, Michaël et nous autres.
On lance, on offre sur la table la table des matières : films, textes, dessins, mots, et on se met à jouer comment la matière nous parle, nous fait bouger, nous fait penser, comment on est parlé, pensé par elle. Apprendre à désapprendre.
C’est un laboratoire du chaos, du désordre, mais ça agence, ça fusionne et ça distingue tout à la fois, ça sculpte des objets du chaos, ça façonne l’espace que nous souhaitons commun, porteur d’un « ça peut se passer autrement », d’un déplacement. Ainsi, en se débattant avec ses propres contradictions, l’homme moderne laisse place à l’homme burlesque.
La période covidienne nous mesure barrière. Il nous faut bien éprouver le hiatus entre liberté et respect d’autrui. De fait, le confinement général contraint chacun à éprouver ce hiatus, à le « résoudre » de la même manière : pour ne pas mettre en danger autrui, on se prive de liberté, de lien social (bien entendu, chacun ne vit pas le confinement de la même manière qu’un autre.)
Pour accueillir ce chaos soudain, il nous faut composer et oser, quitte à nous faire passer pour criminels : l’urgence n’est pas aux seules parenthèses. Bien sûr, prendre très au sérieux l’urgence de sauver des vies covidées. Mais aussi sauver nos vies confinées. Celles et ceux qui n’ont pas attendu qu’un virus les confine pour être confinés sont d’autant plus touchés. Il nous faut alors redoubler d’attention soignante, être là, lutter contre le virus de l’abandon, celui de l’oubli, maintenir le lien, les bouts d’existence.
Continuer d’affirmer nos craintes, nos doutes et les mettre en jeu. Prendre part, autrement que « sous garanties de ». Qu’on le veuille ou non, ici plus que jamais, les garanties ne peuvent toutes être là, et il nous faut retrouver, « pour de vrai », ce que l’on nous a ôté depuis trop longtemps : notre bon sens, notre sens de la responsabilité, notre sens de l’engagement – et résister aux faux amis : le dévouement, le sacrifice et l’héroïsme du bon personnel soignant.