La préface de ce livre, du philosophe Jean-François Rey, ne manque pas d’intérêt. C’est un plaidoyer philosophique pour la psychothérapie institutionnelle (PI) où pointent subrepticement deux points de vue originaux, ébauchés mais forts. Il y a d’abord l’idée que l’institution, c’est le cadre où s’institue la vie, ce qui prend du temps, un temps non mesurable, mais historique, qui ne relève pas du compte, mais du récit. Ensuite, celle d’un décalage : « Le symptôme psychiatrique n’est pas le signe de quelque chose, mais une manière de s’entendre » [1], ce qui déplace la clinique du corps du patient, et même de l’intérieur de celui-ci, à l’espace entre le patient et ses congénères qui peuplent son environnement, et même au soignant, y compris à la façon dont celui-ci « s’y entend » dans son travail. Ces remarques de passage se fondent si on considère que l’un comme l’autre, le récit et l’entendement, sont faits de mots, et des mots non comme représentations objectives des choses, mais comme représentants de chaque sujet dans l’échange de leur rencontre, qu’il convient d’accueillir.
Après le plaidoyer, le bouquin lui-même n’est pas un manuel, ni même un abrégé, mais un argument à la construction rigoureuse.
Tout d’abord, Pierre Delion fait dans un avant-propos le bilan du désastre dans lequel se débattent la psychiatrie, mais aussi la médecine, et les autres services destinés à l’humanité du public. Puis il situe la PI dans le champ de la psychiatrie, avant de résumer l’histoire de son apparition et son entrelacement avec le secteur psychiatrique.
Ensuite les concepts s’enchaînent, de chapitre en chapitre, courts, abordables à qui n’en est pas familier, mais sans sacrifier la subtilité ni la complexité parfois de certains de leurs aspects. Déroulent ainsi dans une articulation logique, qui ne néglige pas que des chemins buissonniers puissent les relier autrement, les concepts suivants : la double aliénation sociale et psychopathologique, les différentes formes de transferts, le club thérapeutique, le journal, les réunions, l’urgence de la PI, la distinction établissement / institution, les PI et la constellation transférentielle, l’articulation hiérarchie statutaire/hiérarchie subjectale, l’ambiance, les rapports de complémentarité/rapports de dé-complétude, et les fonctions phorique, sémaphorique et métaphorique.
Ces divers concepts ainsi présentés sans négliger leurs différentes facettes, qu’il s’agisse du con-texte, de la nécessité ou de l’histoire de leur apparition, jusqu’aux heurts que suscite parfois leur confrontation à l’évolution des orientations politiques ou culturelles actuelles, sont illustrés par quelques vignettes cliniques. Ainsi leur opacité théorique s’efface encore plus en faisant apparaître leur efficacité opératoire. Et, pas le moindre des intérêts, Pierre Delion, loin de recommander de les conserver dans un musée des chefs d’œuvre du passé, suggère à chacun de les usiner à sa main pour les adapter à ses besoins et au temps présent.
Il conclut enfin sur l’urgence annoncée dans le titre, l’élargissant à la démocratie. Pas de psychiatrie, pas de démocratie, pas de vie, sans prendre en considération les paroles comme intersubjectives.
Éric Bogaert, psychiatre de secteur retraité