Pandémie : analyseur du système de soin

Tout se décide au sommet, la démocratie n’est pas de mise. C’est le credo de cet épisode « guerrier ». Quel avenir cela nous promet-il ?

Richard Huvet
Patient, retraité, militant de l’économie sociale et solidaire (ESS)

Les pratiques médicales d’aujourd’hui sont à l’image de la société, discriminatoires, et entretiennent un rapport élastique avec la santé de la population. Il y a une contradiction de plus en plus visible entre la rentabilisation du traitement des maladies et la santé des patients. La difficulté est que cette santé passe en partie, aussi, par le traitement des maladies qu’ils portent. La médecine libérale de cabinet est devenue la caricature de cette contradiction et la pandémie a concrétisé sa dérive.
Le Médecin, jadis auréolé d’un mélange de respect dû à son savoir et de reconnaissance due à sa disponibilité et son empathie, n’est plus aujourd’hui qu’un travailleur comme les autres. Il a été transformé en opérateur de soins, acteur sous contrôle, au service du complexe industriel sanitaire et pharmaceutique, via les injonctions de l’Agence régionale de santé (ARS), de l’Assurance maladie et d’un Conseil de l’Ordre des médecins, conservateur et inutile mais toujours vivant.
Certains en sont malheureux au regard de leurs engagements personnels (philosophique, social, syndical, politique, éthique…), la majorité s’en accommode, surtout les jeunes générations de plus en plus féminisées. Leur liberté se restreint chaque jour. Prescripteurs, les médecins sont de plus en plus exécutants de consignes et de protocoles spécialisés, ils conseillent et orientent vers les molécules et transfèrent vers les spécialistes, sciant eux-mêmes la branche sur laquelle ils sont assis. La surprescription de médicaments, le refus fréquent d’assumer la fonction psychologique inhérente à la relation médecin/patient sont les dérives de la médecine générale contemporaine. Les médecins généralistes, dont la démographie chute, ne doivent pas devenir des conseillers d’orientation médicale où leur responsabilité professionnelle serait diluée. Leur formation doit être remise en cause de manière radicale.
La numérisation généralisée, comme dans d’autres métiers, engendrera l’implosion fatale à leur survie. Un deal (accord) entérinera cette évolution par la nouvelle définition des conditions de travail et l’octroi de quelques rémunérations supplémentaires comme la prime à la performance, déjà instituée depuis quelques années ou ROSP (rémunération dite « d’objectifs de santé publique »), mais qui ne règle en rien les inégalités d’accès aux soins ou sociales de santé. La cabine de téléconsultation est la négation instituée de toute relation médicale et donc du métier de médecin traditionnel. De même que la télé-opération fera, avec l’appui des robots, disparaître le métier traditionnel de chirurgien.
De ce fait, on peut parler aujourd’hui de souffrance au travail, car le médecin n’échappe pas à la question du travail bien fait comme tous les travailleurs exposés à la logique libérale du capitalisme [1].
Les ARS, courroies de transmission de cette idéologie, importent un « mode d’organisation des rapports de production » (Karl Marx) auquel la médecine ne peut échapper en tant que production. La pandémie a largement écarté les généralistes de l’organisation de ce travail, comme facteur non essentiel de « la guerre » contre le virus. C’est leur place dans le dispositif qui a été mise en cause. Ils sont devenus la cinquième roue de la charrette.
Les patients, de leur côté, changent également. La classe supérieure possède ses réseaux pour se soigner à prix d’or dans les cliniques privées à but lucratif, et marginaliser ainsi le secteur 1 (à tarif opposable, c’est-à-dire sans dépassements d’honoraires) et l’hôpital public, réservés aux basses couches sociales. La classe moyenne, abreuvée d’Internet, soucieuse de rallonger au plus loin la vie, est exigeante, consumériste et procédurière. Les personnes aux plus bas revenus qui n’ont pas accès à la Complémentaire santé solidaire (CSS, ex Couverture maladie universelle ou CMU), sont souvent exclues du juste soin par manque d’argent. Une constante, cependant, les patients ne peuvent peser sur les instances de décisions, ils cherchent donc la meilleure adaptation à l’existant. Ce sont des patients, absents.
Le système médical, à l’hôpital public, est constamment en recherche d’une optimisation financière sous la houlette du directeur administratif. Il se gave de taylorisme dans ses pratiques et repousse à la marge le médecin généraliste de proximité, qui est un mal nécessaire, cher collègue certes, mais si éloigné de la recherche de pointe… À l’hôpital, les choses sérieuses. Pendant ce temps, les cliniques privées sont des usines à profits à l’écart des questions de santé publique, mais pas des mouvements erratiques de la Bourse. La parole médicale, via ses vedettes sur les plateaux télé, élimine les dissidents et la cacophonie existentielle des chercheurs. Elle diffuse la pensée officielle. Les généralistes sont peu invités à s’exprimer sur leurs pratiques. Quand ils sont entendus, c’est sous la condescendance de leurs chers collègues des centres hospitaliers universitaires.
Quant aux syndicats de médecins libéraux, ils brillent par leur silence quasi-total sur la pandémie en cours, ce qui est révélateur du niveau de leur atomisation politique ou de leur souci de faire fonctionner leur « petite entreprise… qui ne connaît pas la crise ». De fait, quand certains se sont exprimés et ont négocié avec l’Assurance maladie, c’était à propos de la vaccination, pour en retirer un avantage pécuniaire.
Le premier message des autorités lors du premier confinement en 2020 fut de dire aux patients de ne pas consulter ; le second, en direction des médecins, fut l’interdiction de soigner en l’absence de recherche randomisée. Ce fut un révélateur de la conception nouvelle d’une médecine à l’inverse de la tradition du soin qui prévalait jusqu’alors et qui veut qu’un médecin dispense les soins qu’il juge appropriés à l’état de son patient.
Les politiques ont surfé sur la pente naturelle catastrophiste des hospitaliers, chercheurs et mandarins des institutions médicales, pour une fois dans la lumière. Ces derniers ont légitimé un confinement des populations par la décision politique. Ils ont permis d’éviter un mea culpa des politiques sur trente années d’austérité budgétaire.
L’hôpital public, après une courte période en 2020 où quelques hospitaliers ont repris la main sur les gestionnaires pour faire face à la pandémie, s’est effondré, essoré par une baisse systématique de ses ressources et, finalement, sans stocks et avec si peu de moyens humains, s’est avéré incapable de faire face au flux attendu de malades prévus par les modélisations statistiques.
À la maison et aux masques citoyens ! Tel fut le slogan du gouvernement pour museler toute contestation sociale.
Peut-on encore rêver à une médecine humaniste, élément de la convivialité et respectueuse de la culture [2] ? Si oui, le dégagisme a du boulot !
Quinze objectifs pour une émancipation sanitaire :
– Rétablir le pouvoir des citoyens sur la Sécurité sociale, pour garantir l’accès de tous au soin.

– Régionaliser la santé en la confiant aux élus de l’Assemblée régionale.

– Créer des maisons de santé dans les quartiers et les villages. Confier la gestion à une instance tripartite : citoyens, élus, soignants.

– Affecter des équipes pluridisciplinaires, après une formation professionnelle adaptée.

– Nommer les personnels en fonction des besoins sur tous les territoires, après un concours national.

– Réformer intégralement la formation de médecin généraliste, clef de voûte du nouveau système.

– Créer un prérecrutement post-bac, de futurs médecins, par concours, donnant droit à une prise en charge matérielle totale et un accompagnement durant les études, pour diversifier socialement le recrutement.

– La fonction publique hospitalière devient le cadre unique de travail [3]. Fin du modèle libéral, du secteur 2, etc.

– Passer à une médecine préventive grâce à un effort d’éducation populaire significatif.

– Nationaliser Sanofi et retrouver une politique nationale du médicament.

– Donner aux citoyens le contrôle de l’Institut Pasteur et établir une politique de la recherche publique.
– Supprimer l’agrégation de médecine dans le recrutement des universités et aligner les cursus sur la norme des autres universités.

– Rendre obligatoire la formation continue des médecins, sous contrôle public.

– Élargir les champs thérapeutiques.

– Financer l’Organisation mondiale de la santé à hauteur des besoins sanitaires des peuples.

– Retirer le secteur économique de la santé des compétences de l’Organisation mondiale du commerce.


par Richard Huvet, Pratiques N°94, juillet 2021

Documents joints


[1Yves Clot, La fonction psychologique du travail, PUF.


[2Yvan Illich, La convivialité, Seuil.


[3Il n’y a que trois fonctions publiques : celle d’État (police, éducation nationale), territoriale (communes, conseils généraux et régionaux) et hospitalière, seule habilitée à fournir un statut dans le domaine de la santé. Ceci n’empêche pas des recrutements par d’autres administrations, mais ce statut n’a rien à voir avec l’hôpital en tant que tel.



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