Opposabilité des directives anticipées

Clément Guineberteau sur un travail de Camille Senelle (médecins généralistes),
Aurélien Dutier (philosophe), Émilie Le Pape (médecin de soins palliatifs), et Roger Raud (représentant des usagers)

Regards croisés à partir d’une enquête portant sur les directives anticipées et menée auprès de patients consultant en médecine générale.

La loi Léonetti de 2005 visait à renforcer les droits des patients en fin de vie. Pour s’opposer à « l’obstination déraisonnable », elle a introduit l’obligation de rechercher l’existence de directives anticipées (DA), dans le cas où une personne ne serait plus en mesure d’exprimer directement sa volonté.
Les DA correspondent à la rédaction par une personne majeure de ses souhaits concernant la prise en charge de sa fin de vie. Elles peuvent concerner les conditions de poursuite, de limitation, d’arrêt ou de refus de traitement ou d’actes médicaux.
Onze ans après la mise en place de la loi Léonetti, de nouveaux droits ont été accordés au patient par la loi Claeys-Léonetti (2016). Plus spécifiquement, elle a renforcé le statut des DA en leur conférant un caractère contraignant. Désormais, elles s’imposent aux médecins, sauf en cas d’urgence vitale, pendant le temps nécessaire à l’évaluation complète de la situation ou si les DA apparaissent « inappropriées ».
D’après une revue de la littérature, les patients semblent avoir une représentation plutôt positive des DA : soulagement, cheminement, satisfaction, sérénité, liberté, enthousiasme [1]. Pour autant, avant ou après la loi Claeys-Léonetti, 50 % des patients doutent d’une réelle efficacité des DA pour obtenir ce qu’ils souhaitent pour leur fin de vie [2]. On peut faire l’hypothèse que le renforcement du dispositif en 2016 puisse lever une partie des doutes des patients sur son efficacité. Si tel est le cas, il est possible que les patients soient plus enclins à en rédiger.

L’étude
Cette étude, menée par Camille Senelle, médecin généraliste, visait à évaluer l’impact de la connaissance du caractère opposable des DA sur l’intention des patients à en rédiger [3].
Il s’agissait d’une enquête par questionnaire auprès de patients consultant en médecine générale
Pour obtenir la meilleure représentativité de l’échantillon étudié, dix cabinets de médecine générale du Maine et Loire ont été tirés au sort. Les médecins généralistes ont été sollicités un par un jusqu’à l’obtention de dix accords de participation. Tous les patients majeurs consultant dans les cabinets retenus pouvaient participer. Les critères d’exclusion étaient : les patients mineurs, les patients ne lisant pas le français ou ceux refusant de participer.
Les questionnaires sous format papier ont été distribués selon trois modalités : remis par la secrétaire, disposés à l’intention des patients en salle d’attente ou donnés directement par le médecin au cours de la consultation.

Le questionnaire comprenait onze questions. Pour la plupart, il s’agissait de questions fermées, parfois associées à des espaces de commentaires libres.
À la fin du questionnaire, un document d’information sur les DA et la personne de confiance était remis.

Résultats : 364 questionnaires exploitables ont été recueillis du 30 mars au 14 juin 2018. L’âge moyen des patients était de 54 ans et toutes les tranches d’âge étaient représentées (de 20 à plus de 80 ans).
65 % des répondants n’avaient jamais entendu parler des DA et seulement 13 % des patients ayant entendu parler des DA en avaient rédigé.
44 % ont répondu que l’opposabilité des DA les incitait à les rédiger. Ils le justifiaient par la volonté de décider pour eux-mêmes, par le souhait d’épargner le choix à la famille et d’éviter « l’acharnement thérapeutique ». Pour 43 %, la modification législative ne changeait rien.
Les patients ayant été confrontés à une maladie grave déclaraient avoir envie d’être acteur de leur fin de vie de manière significativement plus importante que ceux qui ne l’avaient jamais été.
Les questions ouvertes ont permis de constater l’appréhension des patients vis-à-vis de « l’acharnement thérapeutique ».

Regards croisés

Roger Raud, représentant des usagers personnes âgées au Conseil départemental de la citoyenneté et de l’autonomie (CDCA)
« L’étude menée par Camille Senelle incite à plusieurs réflexions à propos des directives anticipées. Malgré une certaine forme d’ambivalence, compréhensible sur un sujet aussi engageant pour les personnes, l’étude tend à montrer que le renforcement du dispositif incite plutôt les usagers à y recourir.

À ce titre, le dispositif des directives anticipées doit être présenté comme une avancée à caractère citoyen, "prendre en charge sa santé" dont les usagers pourraient se saisir. Pour autant, il semble souvent que les usagers souhaitent que le dispositif soit soutenu de manière très active par les professionnels de santé. Cette intervention pourrait se faire au cours d’un "entretien soutenu par un document clair et court". Peut-être que ceux disponibles actuellement – document de la Haute autorité de santé entre autres – sont à ce titre peu adaptés. Enfin, on peut penser que l’arrivée du Dossier médical partagé (DMP) puisse permettre de renforcer l’autonomie des patients et d’améliorer l’efficience du dispositif. En effet, le DMP contient un onglet dédié aux directives anticipées. Si le patient a écrit et déposé ses directives anticipées dans son DMP, il est aisé pour une équipe de soins d’y accéder en situation d’urgence, rendant ainsi l’information disponible au moment opportun.
La santé doit être l’affaire de tous avec un élément qui me semble incontournable : "la prévention", d’autant que l’environnement sera une clef incontournable de la qualité de la vie, que ce soit dans son bassin de vie ou d’activité professionnelle. La prévention développée par chacun et ensemble sera déterminante pour la vie de chacun mais surtout dans les années de la vieillesse. »

Aurélien Dutier, philosophe, chargé de mission à l’Espace de réflexion éthique des Pays de la Loire (E.R.E.P.L.)
« Les immenses progrès médicaux dans le domaine de la réanimation n’ont pas seulement changé les pratiques du soin, ils ont aussi alimenté certaines représentations angoissantes autour d’une médicalisation aveugle de la fin de vie. Face à la hantise de "l’acharnement thérapeutique", c’est-à-dire d’une mort confisquée, d’une fin de vie déraisonnablement prolongée, fragmentée en une série d’actes techniques coupés du ressenti intime des patients, face à la hantise de ne pas être entendu dans ses choix, d’être dépossédé de sa propre mort, il fallait un outil pour faire valoir l’autonomie des patients en fin de vie.
Le caractère opposable des directives anticipées peut renforcer davantage l’idée pour les patients qu’il s’agit bien d’un outil au service de l’expression de leur autonomie. Avec l’opposabilité des directives anticipées, le législateur marque une volonté de prioriser le respect des choix du patient sur l’expertise médicale et l’avis des proches, y compris de la personne de confiance. Ce nouveau poids donné aux directives anticipées peut favoriser son recours et son appropriation par les patients, encore trop peu au fait de ce dispositif : 65 % des répondants n’ont jamais entendu parler des directives anticipées et seulement 13 % des patients ayant entendu parler des directives anticipées en avaient rédigé.
Attention cependant à ne pas réduire ou enfermer l’autonomie des patients à ce seul dispositif qui comporte d’importantes limites : pouvoir rédiger des directives précises demande une connaissance, sinon une certaine familiarité avec les différents traitements et techniques médicales disponibles. Si les directives anticipées sont insuffisamment précises, elles perdent de leur pertinence et ne permettront pas, le moment venu, de lever toutes les interrogations des équipes médicales, de la personne de confiance ou des proches. Trop précises, elles peuvent également venir figer des choix cruciaux et ne plus être fidèles aux volontés – nécessairement fluctuantes - des personnes confrontées à la douleur ou l’angoisse.
L’outil ne prend véritablement du sens que s’il est souple, discuté, accompagné et contextualisé avec les équipes de soins. Sans cela, les directives anticipées risqueraient de réduire la relation de soin en fin de vie en une série de procédures administratives et normatives, là ou précisément une adaptation de chaque moment est nécessaire. »

Émilie Le Pape, médecin responsable de l’Unité de soins palliatifs « Laroque » du CHU d’Angers
« La fin de vie est dans l’imaginaire collectif accompagnée de souffrances inutiles, de peur de vivre des moments indignes, de subir de l’acharnement thérapeutique, de ne pas être entendu dans ses choix. C’est dans ce contexte que les lois Léonetti puis Claeys-Léonetti ont émergé et, avec elles, de plus en plus de droits accordés aux patients concernant leur fin de vie. Parmi eux, le caractère opposable des directives anticipées a pour objectif de renforcer l’autonomie du patient en lui garantissant, sauf exception, le respect de l’expression de ses volontés concernant la prise en charge de sa fin de vie dans le cas où il ne serait plus dans l’état de le faire. Ce poids donné aux directives anticipées devait rassurer les patients sur la garantie du respect de leurs choix et donc favoriser leur rédaction.

Les résultats de cette étude sont très intéressants.
Tout d’abord, ils révèlent une certaine méconnaissance de ces lois (65 % des répondants n’avaient jamais entendu parler des directives anticipées), peut-être par mauvaise information à leur sujet, mais peut-être aussi par « manque d’intérêt » du citoyen à cette partie de la vie quand il n’y est pas directement ou indirectement confronté. La fin de vie fait peur et beaucoup évitent le sujet le plus longtemps possible…
Par ailleurs, cette étude montre la difficulté que représentent la rédaction et même la réflexion sur des sujets difficiles lorsqu’on est en bonne santé (seulement 13 % des patients ayant entendu parler des directives anticipées en avaient rédigé). Comment s’imaginer en effet ce que nous serions capables de supporter, ce que nous accepterions ou pas des traitements et des gestes médicaux ? Les patients ayant déjà été confrontés à la maladie grave ont déjà parcouru des étapes de pertes et d’acceptations. Il est peut-être plus facile pour eux de se représenter leur fin de vie et de souhaiter plus que jamais en être acteur…
En effet, force est de constater un besoin d’autonomie grandissant de la part des patients et une peur croissante de la toute-puissance médicale. 44 % des patients voient dans les directives anticipées opposables un moyen d’y échapper en augmentant la volonté de décider pour eux-mêmes, d’éviter des traitements inutiles et d’épargner à leurs proches de ces choix difficiles. Mais beaucoup d’autres (pour 43 % des patients interrogés, la modification législative ne changerait rien) gardent une méfiance face aux institutions et au corps médical. Pour beaucoup, les directives anticipées n’apportent pas la garantie d’être entendu. C’est là que doit prendre toute sa place la relation singulière du médecin et de son patient. C’est grâce à une relation de confiance qu’il peut le rassurer et garantir le respect de ses choix. C’est lui qui peut l’aider à parler de ses craintes, de ce qui est acceptable ou non. Mais cela ne peut se faire qu’en établissant une alliance thérapeutique, une écoute bienveillante, une disponibilité, un respect mutuel. Il est nécessaire d’abandonner la toute-puissance médicale au profit d’une médecine plus humaniste, plus centrée sur le patient comme un individu à part entière avec ses craintes, ses peurs et ses angoisses et non plus comme un simple objet de soin.
Les directives anticipées sont un outil qui peut permettre de discuter des choix de chacun concernant sa fin de vie, d’établir un dialogue à ce sujet avec ses proches, de rassurer sur une fin de vie très angoissante. Mais cet outil, seul, ne peut pas être suffisant. Il doit être accompagné d’une relation de confiance avec les équipes de soin. Et c’est sans doute cette alliance qui peut permettre de redonner une meilleure sérénité aux patients par rapport à la fin de vie. »

Clément Guineberteau, médecin généraliste, membre du comité et de la consultation d’éthique du CHU d’Angers, membre du conseil d’administration de la CASSPA 49 (Coordination de l’accompagnement en soins palliatifs Angevine), chargé d’enseignement à la Faculté de santé d’Angers
« En dépit de ses limites méthodologiques (inhérentes aux enquêtes d’opinion adressées aux patients), l’étude de Camille Senelle ouvre en effet plusieurs pistes de réflexion, en premier lieu car elle donne la voix aux patients.

La faible connaissance du dispositif à distance de sa mise en place interroge. Il interroge à la fois le sens de ce constat du point de vue des patients, mais aussi des moyens à employer pour modifier cette situation. S’agit-il d’un simple problème de communication, auquel cas les campagnes médiatiques nationales devraient être en capacité de diffuser l’information ? Ou s’agit-il d’un problème plus complexe, impliquant les dimensions psychoaffectives des citoyens ? Comme l’évoquait déjà Émilie Le Pape, l’expérience du soin montre bien que l’évocation de la fin de vie et de la mort ne va pas de soi chez les personnes a priori bien portantes. Sans parler de tabou de la mort, c’est souvent la peur de heurter l’autre qui freine à la fois les patients, mais aussi les soignants [4] [5]. Paradoxalement, lorsque l’échange se fait, il est finalement rarement source de l’angoisse tant redoutée. À l’inverse, les "occasions manquées" appuyées sur une interprétation parfois erronée de la communication non-verbale, peuvent avoir des conséquences dramatiques, supposant que l’autre n’est pas prêt à avoir cette discussion [6].
À ce titre, les acteurs de soins de premier recours, parmi lesquels les médecins généralistes, ont un rôle clé à jouer. En tant que première interface entre le système de santé et la population, ils peuvent se saisir d’occasions favorables pour en parler. L’étude de Camille Senelle suggère en effet que les évènements de vie traumatiques (perte d’un proche, expérience de la maladie…) sont des éléments qui peuvent conduire les patients à souhaiter "être acteurs de leur fin de vie".
Pour autant, la complexité de cette question ne doit pas faire perdre de vue l’objectif du dispositif : protéger l’autonomie des patients. Perturbée par le deuil ou la maladie, parasitée par des représentations plus ou moins fantasmées (toute-puissance médicale), l’autonomie de décision des patients peut parfois être malmenée. L’urgence de rédaction des directives anticipées dans ces contextes interroge. Quel sens cela a-t-il pour le patient ? Au même titre que certaines demandes d’euthanasie, peut-être le sens profond de la demande doit-il s’entendre au-delà des mots ?
Enfin, même si les patients éprouvent souvent le besoin d’être accompagnés par un professionnel de santé, à un moment ou à un autre dans la rédaction des directives anticipées, je crois que la question des directives anticipées est une question sociale avant d’être une question médicale. Tous les citoyens peuvent participer à la diffusion de l’information sur ce dispositif, prétexte à l’ouverture de la parole et pouvant ainsi rendre à la mort une certaine place dans nos vies. »

Conclusion
Les directives anticipées apparaissent comme un outil permettant de protéger les droits des patients en fin de vie. Pour autant, les différents points de vue exprimés dans cet article témoignent bien de la complexité de ce dispositif : complexité par ce qu’il implique (difficulté à se projeter vers notre mort, difficultés à envisager les différentes situations), complexité par les enjeux relationnels qu’il génère entre les personnes… Les avis convergent également pour utiliser cet outil de manière souple, personnalisée comme un prétexte à ouvrir la parole. L’important réside peut-être d’ailleurs plus dans l’échange autour du dispositif que dans l’objectif de rédaction des directives anticipées.
Enfin, la question de la réévaluation régulière de l’avis du patient est cruciale puisque celui-ci est susceptible d’évoluer en fonction des évènements de vie. Là encore, si l’initiative de la réévaluation peut bien sûr venir du patient par l’écriture de nouvelles directives anticipées rendant obsolètes les précédentes, il existe aussi une forme de responsabilité des soignants à réinterroger régulièrement le patient sur ce sujet.


par Aurélien Dutier, Clément Guineberteau, Emilie Le Pape, Roger Raud, Camille Senelle, Pratiques N°89, avril 2020


[1C. Lebon, « La rédaction des directives anticipées : quel ressenti  ? » Thèse d’exercice, Lille : Université du droit et de la santé, 2014.

[2C. Gordiani, « Directives Anticipées : vécu et représentations des patients en phase palliative », Thèse d’exercice : Université Bretagne Loire, 2016.

[3C. Senelle, « Loi Claeys-Léonetti  : L’opposabilité des directives anticipées a-t-elle un impact sur l’intention des patients à les rédiger  ? » Thèse d’exercice : Université d’Angers, 2018.

[4A. Mondo, « Opinions des médecins généralistes et des patients consultants en médecine générale sur les modalités et les obstacles de la discussion à propos des directives anticipées et de la fin de vie », Thèse d’exercice : Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2008.

[5P. Champion, « Recueillir les directives anticipées  : expériences de médecins généralistes », Thèse d’exercice : Université d’Angers, 2019.

[6C. Guineberteau, C. Merlet, A. Pignon, J. Huez, C. Angoulvant, Des patients parlent de la mort  : un souvenir ancré dans l’histoire de vie et de soin, un atout pour le médecin généraliste, Exercer, la revue francophone de médecine générale, 2018 ;(140):63-69.


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