Marc Gourmelon,
médecin
Personne ne peut nier que la transplantation cardiaque, rénale ou autre, fait partie des prouesses de la médecine d’aujourd’hui.
Ces actes chirurgicaux permettent à de nombreux patients de survivre et même de retrouver une vie « normale ».
La médecine actuelle est-elle représentée par ces « prouesses », ou ces actes chirurgicaux ne sont-ils que l’arbre qui cache la forêt de ses piètres performances ?
L’on pourrait croire qu’en effet nous sommes dans « l’âge d’or » de la médecine où, régulièrement dans nos médias, nous sont présentées les innovations que l’industrie pharmaceutique met régulièrement sur le marché.
Innovation
Ce terme est partout :
Sur le site du LEEM (organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France), sur le site d’un industriel du médicament comme Sanofi, et même sur celui du ministère français des Solidarités et de la Santé.
Ce terme est devenu synonyme de progrès pour tout ce qui touche à la santé.
Qu’il soit employé par ceux qui font du marketing pour leurs produits et cherchent à les vendre largement et le plus cher possible, est somme toute assez normal.
Mais, que la rhétorique de communication et de marketing de l’industrie pharmaceutique soit reprise par les autorités sanitaires a de quoi interroger.
Quelle est la définition du dictionnaire concernant ce terme ?
Le dictionnaire en ligne Larousse nous dit : « 2. Introduction, dans le processus de production et/ou de vente d’un produit, d’un équipement ou d’un procédé nouveau. Procédé nouveau. »
« Innovation » vient de « nouveau »
Le dictionnaire en ligne Robert, lui, est plus précis, il parle de : « Action d’innover ; chose nouvellement introduite. ➙ changement, nouveauté. Des innovations techniques. »
Il donne des synonymes : nouveauté, changement, création, nouveau, transformation, audace, hardiesse, inventivité, originalité, découverte, invention.
À aucun moment, dans les définitions d’innovation, il n’est question de progrès.
Comment se fait-il qu’aujourd’hui tout un chacun pense immédiatement « progrès » et non uniquement « nouveauté », dès qu’il entend le mot innovation ?
L’adoption presque systématique du terme d’innovation dans la communication des industriels du médicament en est sans doute une des causes.
Ce phénomène date de quelques années déjà. Dans l’encyclopédie Wikipédia, pour le terme innovation, on peut lire : « Selon Étienne Klein, directeur de recherche au CEA, le mot "progrès" a brutalement disparu des discours publics. Il est remplacé depuis 2007 environ par le mot "innovation". »
Mais substituer l’un à l’autre, est-ce vraiment un souci ?
Il semble que oui, comme nous l’explique Mélanie Roosen, qui rapporte l’intervention d’Étienne Klein à la conférence des Napoléons du 9 janvier 2019. En tout cas, ce n’est pas anodin.
Qui dit innovation dit-il alors systématiquement progrès ? Tout dépend de quel point de vue on se place.
Du point de vue du patient, seule l’amélioration de l’espérance de vie et de la qualité de vie est réellement un progrès.
Mais si l’on se place du point de vue de l’industrie pharmaceutique, toute thérapeutique, qui n’existait pas auparavant et qui a obtenu son Autorisation de mise sur le marché (AMM), est considérée comme un progrès, même si la santé des patients n’en est pas améliorée.
Hélas une grande partie de ces médicaments sont remboursés par l’Assurance maladie sans preuves suffisantes d’un réel bénéfice pour les patients. Et c’est bien là qu’est le problème.
Les médecins présentent souvent au patient le nouveau médicament, mis sur le marché depuis peu et remboursé par l’Assurance maladie, souvent très cher, comme une chance pour lui.
Quand on souffre, on espère le « médicament miracle » qui nous apportera un soulagement, d’autant plus que le prescripteur le présente sous son jour le plus favorable.
Mais il y a loin entre toutes ces innovations et l’espoir que les patients en attendent. Même la Haute autorité de santé (HAS) est souvent très réservée sur ces nouveaux médicaments, leur attribuant régulièrement le qualificatif de service médical rendu (SMR) faible.
Ces informations sur les réels bénéfices d’un traitement sont également peu accessibles aux patients, et ce d’autant plus que les médias, souvent dithyrambiques sur les innovations, reprennent les communiqués de presse des fabricants.
Les médecins eux-mêmes sont peu informatifs sur les réels bénéfices des médicaments qu’ils prescrivent.
Indépendance
Pourquoi est-il si difficile pour les patients de connaître précisément les bénéfices des traitements qui leur sont prescrits ?
La première réponse est que le système de santé, en général, et les médecins, en particulier, sont très dépendants de l’industrie pharmaceutique. Pourtant l’indépendance des médecins est inscrite dans le Code de déontologie médicale qui s’impose à tous les médecins. De plus, la loi du 29 décembre 2011 impose que chaque professionnel de santé déclare ses liens d’intérêts quand il intervient dans les médias ou ailleurs. Avez-vous jamais entendu un médecin qui intervient à la télévision ou à la radio déclarer ses liens d’intérêts ? D’ailleurs, avez-vous également entendu un journaliste avant chaque intervention de médecins lui demander de déclarer ces liens d’intérêts ?
Il est vraisemblable que non.
Pourquoi ?
Parce que la loi n’est quasiment jamais appliquée, pourtant elle existe et prévoit des sanctions.
Juste un exemple d’un médecin, professeur de médecine, que l’on a beaucoup vu intervenir durant la crise de la Covid : Mme Karine Lacombe. Sur le site Eurofordocs, nous pouvons lire : 885 déclarations, 248 000 euros d’argent reçu (mais tout n’est pas accessible), 158 conventions sans montants. La page Wikipédia de ce professeur n’indique, elle, que cinq industriels cités sur quarante-sept rapportés sur Eurofordocs.
Pour mémoire, le site Transparence Santé du gouvernement liste les avantages reçus par les médecins et le site DPI (Consultation des déclarations publiques d’intérêts), la déclaration de leurs liens d’intérêts. Mais ils sont peu ergonomiques et moins faciles d’accès que le site Eurofordocs.
Outre cette absence de déclarations des liens d’intérêts, il est fréquent de voir affirmer qu’un médecin est « indépendant » alors qu’il a des liens d’intérêts manifestes. Ainsi le Dr Marc Gozan, qui vient d’ouvrir un nouveau blog sur le diabète, n’hésite pas à affirmer : « Vous aimez l’indépendance, la rigueur et le sérieux de “Réalités Biomédicales”. Il en est de même sur mon second blog “Le diabète dans tous ses états”. Sa ligne éditoriale est parfaitement claire. Lisez-la »
Or ce site présente de nombreux « partenaires » industriels qui « adhèrent » à ce site. Ce médecin se défend de toute influence des industriels sur son travail oubliant les nombreux travaux sur le sujet.
Alors, c’est ça être « indépendant » ?
La deuxième réponse est l’existence de convictions, la croyance que les médecins ont des performances de la médecine qu’ils exercent.
Et cette conviction, cette croyance, est forgée par ce que leur enseignent les professeurs de médecine à la faculté qui sont très proches de l’industrie, mais aussi par les études publiées dont les résultats sont repris par les médias et les autorités sanitaires.
Vous ne vous êtes jamais posé la question de savoir pourquoi tant de médecins ont prescrit du Médiator® ? Non pas parce qu’ils étaient « payés » par l’industrie pour prescrire, mais parce qu’ils avaient été poussés à croire au bénéfice de ce médicament.
Et aujourd’hui, rien n’a changé.
Cette influence, nous allons le voir, est plus le résultat d’une communication très orientée non seulement par l’industrie, mais aussi par son expression dans les études scientifiques, elles-mêmes reprises dans les médias sans esprit critique.
Bénéfice relatif contre bénéfice absolu
Le 26 mars 2022, le Dr Olivier Véran, ministre de la Santé, écrivait dans un tweet : « Le savez-vous ? Il existe désormais un traitement efficace contre la Covid-19. Il réduit de 85 % le risque d’hospitalisation et de décès. Si vous êtes âgé de +65 ans ou malade et que vous venez de contracter la Covid, avec des symptômes, n’hésitez pas à en parler à votre médecin. » Cette affirmation, que n’aurait pas reniée un commercial de l’industrie pharmaceutique, fait la promotion d’un nouveau médicament commercialisé par Pfizer : le Paxlovid®.
Le bénéfice de ce nouveau médicament est annoncé : « Il réduit de 85 % le risque d’hospitalisation et de décès. ». Nous ne pouvons que vouloir ce médicament, car nous comprenons, par cette formulation, que sur 100 personnes qui le prendront, 85 verront leur risque d’hospitalisation et de décès réduit. Or cette compréhension de tout un chacun est fausse. En effet, notre ministre de la Santé et, de surcroît, médecin, ne précise pas que ce chiffre de 85 % de réduction du risque, est relatif et non absolu. Or seul le chiffre absolu donne une représentation exacte du bénéfice attendu. Pour ce médicament, la réduction du risque en chiffre absolu est de 7 % environ.
Sur 100 patients qui prennent ce médicament, il n’y en aura donc que 7 qui verront une réduction de leur risque et non 85. Mais pour le savoir, il faut aller fouiller dans le dossier de l’HAS sur le sujet et il comporte 94 pages.
Il y a très peu d’articles qui expliquent cette problématique de différence entre l’expression d’un risque ou d’un bénéfice de façon relative ou absolue. Un article de blog de médecin tentait d’expliquer ce sujet complexe .
Cette présentation « trompeuse » est quasiment la règle dans les conclusions des études scientifiques qui « prouvent » le bénéfice d’un médicament ou d’un traitement.
Un article récent du Journal of the American Medical Association (JAMA), une publication médicale américaine de haut niveau, en apporte une « preuve » supplémentaire pour les médicaments qui font baisser le cholestérol et qui font partie de la classe des statines. Cette étude montre que ces médicaments n’apportent pas les bénéfices mis en avant et la qualification d’« intérêt indiscutable » de ce médicament par la HAS est pour le moins exagérée.
En effet, les auteurs retrouvent :
- Une réduction relative du risque de mort toutes causes de 9 % et une réduction absolue du risque de 0,8 %.
- Pour le risque d’infarctus du myocarde, la réduction du risque relatif est de 29 % et la réduction du risque absolu 1,3 %.
- Pour le risque de survenue d’un AVC, le risque relatif est de 14 % alors qu’il n’est en réalité que de 0,4 % en risque absolu.
Or seul le risque absolu donne une évaluation de la réalité, pas le risque relatif. Exprimé en chiffre relatif, la perception des réductions des risques est ici de l’ordre de plus de 10 à 30 fois supérieure à la réalité. « Bénéfice indiscutable », dit pourtant la Haute autorité de santé.
Comme l’écrit la Société française de médecine d’urgence dans son texte explicatif sur son blog, « Bien comprendre la signification de chacune de ces expressions permet d’évaluer à sa juste valeur les résultats et le bénéfice du traitement pour les patients. » Telle est en effet la difficulté de perception des bénéfices et risques dans leur expression en relatif ou en absolu, ce qui explique pourquoi nombre de médecins ont une interprétation complètement faussée des bénéfices des traitements qu’ils prescrivent. Un article du 27 octobre 2019 sur le site de BIO Web of Conferences intitulé « Le paradoxe du risque relatif » explique : « Le souci survient lorsque ces risques sont extraits des études. Cités sans précision du contexte, ils donnent une impression faussée des options offertes… le risque relatif consiste à cacher le risque réel… L’idéal serait de présenter les résultats des études médicales en risques absolus. Le désavantage est que ceux-ci feront moins souvent la une des journaux… On cache le risque réel (absolu) derrière une augmentation (ou diminution) de celui-ci (risque relatif), de la même manière que, lors des soldes, on cache le prix d’un bien derrière la réduction affichée… On voit donc, qu’en matière de santé notamment, le risque intéressant à prendre en compte est le risque absolu et non pas l’augmentation du risque ou risque relatif. »
La conclusion s’impose : « Dans un monde idéal, il faudrait exprimer les risques de manière absolue et non relative afin de donner une meilleure perception de la réalité, notamment dans les études médicales. »
Or force est de constater, que loin de vivre dans « un monde idéal », nous sommes en permanence trompés par tous ceux qui ont intérêt à obtenir la prescription médicale, ou le consentement des patients quand il leur est demandé.
Conclusion
Comme nous l’avons vu, avoir une perception de la réalité en matière de risque et de bénéfice de traitements ou de dispositifs médicaux est particulièrement ardu. Il est pourtant capital, que l’on soit soignant ou patient, d’avoir une connaissance réelle des bénéfices et risques, et non la communication qui en est faite.
En témoigne l’exemple d’un nouveau médicament contre la Covid-19, cité par notre ministre de la Santé, qui est loin d’apporter les bénéfices (sans parler des effets secondaires et des contre-indications) qui sont mis en avant par ce dernier.
Deux ouvrages peuvent nous aider à comprendre et sont donc d’une lecture essentielle :
Daniel Kahneman : Système 1/Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2011. Ce premier ouvrage nous explique combien le fonctionnement de notre cerveau est complexe, mais surtout que ce dernier nous trompe dans l’interprétation des chiffres.
Gerd Gigerenzer : Penser le risque, apprendre à vivre dans l’incertitude, Éditions Markus Haller, 2009. Ce deuxième ouvrage, lui, prend toute une série de chiffres statistiques etc. que l’on rencontre quotidiennement en médecine et nous les décortique pour nous permettre une compréhension optimale.
Voir le site : Club des médecins blogueurs, article du 1er janvier 2017.